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Anthropologie religieuse
René Girard    Collectif   Sanglantes origines
Flammarion - Champs 2013 /  11 € - 72.05 ffr. / 392 pages
ISBN : 978-2-08-128952-9
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication en janvier 2011 (Flammarion)
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Depuis Mensonge romantique et vérité romanesque (1961), l'œuvre de René Girard (né en 1923) connaît une renommée croissante, écrite non sans courage il est vrai, étant donné qu'elle est fort dérangeante et qu'elle fut longtemps plus ou moins rejetée par l'université française et surtout peu enseignée, un peu à l'égal de celle du philosophe Paul Ricoeur. A ces deux intellectuels, on a préféré ceux de la révolte comme Bourdieu, Foucault, Deleuze, Derrida, un choix qui n'est pas dû au hasard...

Pourquoi ce silence relatif, pourquoi René Girard n'a-t-il pas encore la notoriété d'autres anthropologues et philosophes ? De fait, cet anthropologue d'un genre particulier en agace plus d'un. Transgressant les frontières disciplinaires entre psychanalyse, littérature et christianisme, ses textes cherchent à expliquer des réalités aussi diverses que les sacrifices aztèques, le snobisme proustien, le ressentiment dostoïevskien ou les attentats terroristes ! Ce dernier essai, intitulé Sanglantes origines, date en fait de 1983, quand, en Californie, plusieurs spécialistes acceptèrent de discuter avec René Girard et de confronter leurs recherches à sa théorie.

On connaît ce que René Girard appelle le désir mimétique : pour expliquer le fonctionnement de nos sociétés, il part du désir humain et de la relation triangulaire qu’il instaure ; celui-ci se porte sur ce que désire autrui (d’une façon matérielle aussi bien qu’immatérielle). Ce n’est pas tant l’objet qui intéresse les deux personnes en rivalité que la rivalité elle-même dans la quête de cet objet, par imitation réciproque. C'est parce que l'être que j'ai pris comme modèle désire un objet, que je me mets à désirer celui-ci, et l'objet ne possède de valeur que parce qu'il est désiré par un autre. Le modèle est par conséquent aussi exposé que le sujet. Tous les deux cherchent à fixer leur désir et ils attendent qu'on leur désigne quelque chose de désirable. Le désir du modèle a besoin de sentir d'autres désirs pour être conforté. Il tend à susciter lui-même la concurrence, c'est-à-dire à provoquer l'émergence d'un rival qu'il lui appartiendra ensuite de supplanter. Ce désir mimétique met à bas l’autonomie de l’individu et tout romantisme sur l'individualité, notamment sur la liberté et l’émancipation.

La théorie de cet auteur d’un remarquable essai sur Shakespeare pourrait ainsi se résumer à cette phrase du dramaturge anglais dans l'un de ses sonnets : «Tu l’aimes, elle, car tu sais que je l’aime». D'où la prolifération des conflits mimétiques, l'emballement de la spirale rivalitaire (rivalité des doubles et des frères jumeaux). Pensons au conflit israélo-palestinien où chacun inflige à l'autre une blessure qu'il transforme en acte de justice. Ce cycle se résolvait dans les temps anciens par le sacrifice d'une victime innocente qui permettait à la foule de se réconcilier après une crise. Ce mécanisme du bouc émissaire nourrit les mythes archaïques comme les chasses aux sorcières. Pour René Girard, ce cycle sacrificiel est à l’origine de la société, et non, comme chez Rousseau, l’élaboration d’un contrat social par lequel les hommes s’entendraient rationnellement. D’où le titre : Sanglantes origines. Les tenants et les aboutissants de cette théorie en montrent toute l'ampleur.

L'essai est structuré en quatre parties, suivies à chaque fois d'une discussion autour de l'exposé principal. La première partie est consacrée à l'exposé de René Girard, également professeur émérite de langue, littérature et civilisation françaises à l'université de Stanford : "Un mécanisme générateur : le bouc émissaire". Viennent ensuite Walter Burkert (professeur émérite de philologie classique à l'université de Zürich) avec "Le problème du meurtre rituel", Jonathan Z. Smith (historien de la religion, enseignant à l'université de Chicago) avec "La domestication du sacrifice", et enfin Renato Rosaldo (membre de l'Académie américaine des arts et sciences) pour "La chasse aux têtes". Une annexe, "De la religion et des rituels", de Burton Mack (professeur émérite à la Claremont School of Theology), clôt le livre en reprenant succinctement les théories des principaux intervenants.

René Girard développe dans le premier texte sa théorie concernant les mythes (déjà développée dans Le Bouc émissaire en 1982). Ceux-ci seraient le travestissement des persécuteurs qui, afin de dissimuler leur entreprise malfaisante, réécrivent l'histoire en leur faveur. Cependant, personne ne croirait de nos jours les persécuteurs des chasses aux sorcières en substance et l’on pense à coup sûr détenir la vérité sur ce sujet. René Girard propose de transposer cette vérité de la chasse aux sorcières aux mythes. Et là, plus personne n'est d'accord. Ce qui dérange en fait est que la théorie girardienne est reliée au christianisme qui, loin d’être un mythe, dévoilerait justement ce que cachent les mythes. Là où ces derniers mettent en scène un bouc émissaire (Œdipe et d'autres récits), le Nouveau Testament met au grand jour l'innocence du bouc émissaire, l'acte sacrificiel que commettent les persécuteurs, en refusant le ressentiment, la vengeance, la réplique mimétique. Que l’on soit croyant ou pas, la théorie mérite toute notre attention par sa pertinence, et d'être au moins discutée.

Le problème serait au fond non pas que la théorie girardienne soit fausse (même approximativement) mais qu’elle est donc reliée au christianisme. Du Nouveau Testament, les textes tireraient une supposée vérité au lieu de pouvoir être confondus à un mythe. On voit tout de suite ce qui est reproché à René Girard de nos jours : d'être un religieux ou un chrétien, au fond de faire le pont entre découverte scientifique et théologie ! Or, si l'on formule une telle remarque, on se devrait d'opérer la même critique à l'envers : celle d'être athée. Ce que l'on fait rarement car, alors, on est étrangement moins suspect d'être idéologiquement orienté.

Certes, à raison, René Girard ajoute que, à notre époque si peu croyante, si immanente et si horizontale, au point où l’on ne peut plus déclarer aucune vérité, on peut se permettre de se réclamer athée sans risques et de reprocher au christianisme ses croyances avec autant de conviction que cette même religion quand elle s’en prenait à d’autres. De même en ce qui concerne le mythe de l’émancipation dont beaucoup croient au mirage hédoniste, alors qu’on nous manipule en accentuant le cynisme de la consommation, grâce au travail des publicitaires. Balzac dans La Peau de chagrin avait compris ce mécanisme.

Cela se voit très nettement dans l’intervention de Jonathan Z. Smith qui considère que la question de l'origine n'a simplement pas de sens, cédant à un relativisme à tout crin. Le problème est qu’il ne propose qu’une affirmation gratuite, sans ne rien dire d’essentiel. La position de Renato Rosaldo est tout autre : il met en avant son expérience de terrain. Il souligne ce qui le rapproche et ce qui le sépare de Girard : jusqu'à un certain point, la pratique de la "chasse aux têtes" peut être envisagée comme un sacrifice mais il est sceptique face à la thèse de Girard qui affirme que le rituel est irréductible à une seule explication. Une explication occidentale ! Avant même d’être discutée et argumentée, une telle déclaration est d’emblée réfutée parce qu’elle mettrait en avant une «défense de l’occident». Là est le problème. Sans oublier que notre défense des droits des victimes vient à juste titre du christianisme ! Voilà encore une épine dans le pied de ceux qui veulent séparer droits de l'homme et christianisme ; pour René Girard cette défense des victimes vient en droite ligne du Nouveau Testament. Ce victimisme est d’ailleurs dangereux car il occulte le mécanisme du bouc émissaire en prenant soi-disant la défense des victimes. Comme on le voit, l'enjeu est de taille.

A chaque échange, les mêmes questions reviennent concernant les pratiques sanglantes de telle ou telle société archaïque (chasse aux animaux, cannibalisme, sacrifices). Permettent-elles d'éclairer le rituel sacrificiel ? Peut-on en déduire une théorie de la religion ? Peut-on fonder un discours universel sur l'origine de la culture ? Selon que l'on sera unilatéralement pour ou contre, on opposera un front du refus. Si l'on préfère les explications multiples, on sera contre la théorie de René Girard. Sans doute notre époque pousse-t-elle à préférer les causes diverses et variées au nom du relativisme et de la diversité. Mais a-t-on raison pour autant ? Car pourquoi la théorie girardienne ne serait-elle pas juste en elle-même ? Veut-on alors voir la vérité ou se rassurer ? Vaste enjeu que pose cet essai...


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 10/12/2013 )
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