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Les mensonges de Katyn
Victor Zaslavsky   Le Massacre de Katyn - Crime et mensonge
Perrin - Tempus 2007 /  7.50 € - 49.13 ffr. / 164 pages
ISBN : 978-2-262-02651-6
FORMAT : 11x18 cm

Première publication française en octobre 2003 (Le Rocher).

Ouvrage traduit par Christine Vodovar.

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.

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Le 13 avril 1943, l’Allemagne nazie révélait au monde une découverte des plus inquiétantes, celle de plusieurs milliers de cadavres assassinés et enterrés dans le bois de Katyn, en Biélorussie. Remarquons d’emblée le terrible paradoxe que représente cette exhumation, cette «mise en lumière» d’un crime d’État par un régime qui fit tant disparaître d’innocents dans «la nuit et le brouillard». Le processus de dévoilement mit toutefois près de cinquante années pour aboutir, et il fallut attendre 1992 pour que du crime, on découvre – officiellement - le coupable… Les morts de Katyn semblent s’être noyés dans le gouffre des millions de victimes des divers massacres et génocides : leur sort fut pourtant des plus sordide si l’on considère qu’au crime matériel s’est substitué pendant plus de quarante années un crime de mémoire.

C’est par l’analyse de cette mémoire que débute l’étude de Victor Zaslavsky, historien russe et professeur à l’université Luiss de Rome avec, en toile de fond, l’histoire officielle de l’URSS et ses ambiguïtés, difficiles à assumer encore aujourd’hui. L’ouvrage mêle donc constamment le rappel des faits – c’est à dire le mécanisme politique qui aboutit au massacre de 4100 officiers polonais – et celui de la mémoire, ou plutôt du mensonge, de Katyn.

Les faits, tout d’abord. L’affaire de Katyn illustre la logique du totalitarisme stalinien dans toute son horreur. Elle trouve son origine dans le pacte Molotov-Ribbentrop de 1939 et le dépècement de la Pologne. Les partis communistes occidentaux eux-mêmes, pourtant habitués à plier docilement l’échine devant les «suggestions» du Komintern dans une adoration qui confine à la servilité, renâclent à opérer un tel revirement. Cela n’empêche pas l’URSS de procéder, en septembre 1939, à l’invasion de l’Est de la Pologne, dans la partie qui lui était échue par partage avec l’Allemagne, et ce au prétexte désormais classique de répondre à un appel à l’aide. Entre le marteau et l’enclume, l’armée polonaise n’a aucune chance et la conquête est vite achevée, d’autant que les armées allemande et soviétique s’entraident. La nasse qui se referme sur les cadres de l’armée polonaise ne laisse rien passer, et entraîne une grande part des élites militaires (et civiles du fait de la conscription) polonaises dans les camps de concentration de deux régimes. La collaboration des deux totalitarismes va même plus loin : dans ce qui fut l’un des plus répugnants «trocs» idéologiques, l’Allemagne livra en 1939 à l’URSS près de 14 000 soldats et officiers polonais (tandis que l’URSS livrait 43 000 polonais, mais également des communistes allemands détenus dans des camps soviétiques). Quelques milliers d’officiers particulièrement rétifs à l’aide soviétique furent internés dans trois camps, Kozielsk, Starobielsk et Ostachkov, et soumis à la pression du NKVD : interrogatoires et contre-interrogatoires, harcèlement psychologique, propagande lourde, bref, un traitement à des milliers de lieues des conventions internationales sur les prisonniers de guerre. Durant l’hiver 1940, la décision d’exécuter est prise : au final, seuls 448 officiers ont survécu, le reste ayant disparu ou, comme le suggère Staline au général polonais Anders, devenu – bien malgré lui – son allié, ayant fui au hasard dans la steppe russe… La mécanique du mensonge se met en place et trouve son chemin vers Nuremberg, via la conférence de Moscou de 1943 : la culpabilité allemande est un objectif prioritaire et dans le contexte de la guerre, les Alliés sont prêts à céder sur de nombreux points. Nuremberg entérine donc un mensonge fondé sur des expertises fantaisistes, ce dont les démocraties occidentales sont pleinement convaincues. Mais tout cela relève du secret d’État, dans un climat «de complicités et d’indifférence».

La vérité s’avère pourtant difficile à étouffer, qu’elle vienne d’Allemagne (où les nazis comprennent bien l’intérêt qu’ils ont à exploiter l’affaire), de Pologne ou d’Angleterre, voire du régime soviétique même : en 1945, un procureur soviétique à Nuremberg, Nikolaï Zoria, refuse de se taire… et est retrouvé assassiné dans sa chambre, sur ordre de Staline. L’affaire, en dépit des objurgations diverses, est recouverte d’une chape de plomb, qui engloutit témoins, experts et archives dans une même nuit totalitaire, dont les effets se manifestent jusque dans les démocraties occidentales, les militants communistes jouant à cette occasion un rôle de chien de garde au service d’une véritable entreprise de mystification historique. La solution n’intervient que tardivement, presque par hasard : dans les années 80, les travaux de la commission d’enquête polono-soviétique sur l’affaire de Katyn aboutissent à un «fonds spécial» perdu dans une myriade d’archives secrètes, fonds jusque là géré par le KGB et qui éclaire les responsabilités exactes du massacre. Mais une fois les preuves (re)trouvées, la question redevient politique et idéologique : la chute du communisme seule en viendra à bout.

L’ouvrage est intéressant, tout d’abord parce qu’il illustre significativement les rapports entre l’histoire et l’idéologie, dans un conflit qui vit Staline passer du statut d’agresseur à celui de héros. Surtout, l’auteur retrace bien le parcours sinueux de la vérité historique via celui des archives et de leur divulgation, même si la logique institutionnelle semble parfois un peu floue. Mais l’autre intérêt de l’ouvrage, ce sont les 25 annexes documentaires qui fournissent au lecteur matière à réflexion et preuve – accablante – d’une double culpabilité. La démonstration, s’appuyant sur ces sources, est efficace.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 20/09/2007 )
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