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Poches -> Histoire |
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Louis Chevalier nous parle | | | Louis Chevalier Splendeurs et misères du fait divers Perrin - Collection Pour l’Histoire 2011 / 7 € - 45.85 ffr. / 180 pages ISBN : 978-2-262-03439-9 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en décembre 2003 (Perrin - Pour l'Histoire)
L'auteur du compte rendu : maître de conférences habilité en Histoire contemporaine à l'université de Paris-I, Sylvain Venayre est spécialiste d'histoire culturelle. Imprimer
Faut-il encore présenter Louis Chevalier (1911-2001), le grand historien de Paris au XIXe siècle, lauteur du classique Classes laborieuses et classes dangereuses (1958), lun des premiers historiens à avoir marié, avec un incroyable bonheur, lhistoire sociale et lanalyse des grands textes de la littérature, démographe expérimenté et fin connaisseur et admirateur de Balzac et de Victor Hugo ? Les éditions Perrin publient aujourd'hui dans leur collection de poche les notes du cours que Louis Chevalier prononça au Collège de France en 1981, sur lhistoire du fait divers. Il serait oiseux de se prononcer sur cette politique éditoriale. Reste quelle conduit nécessairement le lecteur de ce livre à deux conclusions évidentes.
Dune part, les énormes progrès de la recherche dans le domaine de lhistoire du fait divers, depuis vingt ans, rendent à peu près inutiles toutes les conclusions de Louis Chevalier, en termes stricts de connaissances. Lorsque Louis Chevalier prépare son cours, au début des années 1980, la bibliographie sur la question est bien mince : louvrage de J.-P. Seguin sur les «canards» au XIXe siècle, celui de Roland Barthes sur la structure du fait divers, et celui de Georges Auclair, Le Mana quotidien. A quoi sajoutent quelques réflexions éparses, dont celles de Jean-Paul Sartre, utilisées par Louis Chevalier. Délaissée par les historiens universitaires, la question du fait divers est donc abordée, à lépoque, par des auteurs venus du structuralisme ou de la littérature, qui tentent dy répondre par des raisonnements fortement marqués par lanthropologie ; et le cours de Louis Chevalier sen ressent. Sil nest pas question pour lui daborder le fait divers par le «ras du sol» ce qui ne lempêche pas de raconter quelques affaires quil juge particulièrement importantes, comme la très oubliée affaire Syveton de 1904 , et sil tente didentifier des césures chronologiques à commencer par celle des années 1880 qui voient souvrir lâge dor du fait divers , Chevalier peine en effet à se dégager du questionnement anthropologique. Sa réflexion, fondée certes sur une érudition sans faille, reste ainsi impressionniste, qui sattache à limportance du mystère ou du sang dans le fait divers, ou à lidée vague que trop de fait divers tue le fait divers. Les thèses dhistoire qui ont été consacrées depuis lors à lhistoire du fait divers à la Belle Époque (on pense surtout à celles dAnne-Claude Ambroise-Rendu et de Dominique Kalifa) rendent toutes ces considérations un peu superficielles.
Dautre part, il y a lintérêt de la parole vivante de Louis Chevalier. Léditeur du texte, Emilio Luque, a en effet choisi de garder la forme orale originelle du cours, et bien lui en a pris. On pourrait critiquer ce choix, au motif que lécriture dun livre permet déviter les rapprochements rapides, les digressions étranges qui sont la marque dun cours oral. On aurait tort. Le sentiment dêtre face à Louis Chevalier parlant conduit ainsi le lecteur à ne pas lâcher le livre qui très court, il est vrai se lit dune traite. Louis Chevalier fait alterner les souvenirs de son enfance vendéenne, sur la plage de lAiguillon, ceux de ses amis de la rue dUlm parmi lesquels Georges Pompidou, qui leur confie en plaisantant quil a lui-même tué Ben Barka, ce qui est pour Louis Chevalier loccasion dune réflexion sur le mystère nécessaire au fait divers et les grands faits divers qui marquèrent le début des années 1980 : la traque de Mesrine, lassassinat de sa femme par Althusser (et le rire qui sempare de Chevalier lorsquil voit alors tracée sur la façade de la rue dUlm la phrase fameuse dAlthusser : «Jai toujours rêvé dêtre un travailleur manuel», qui lui rappelle que depuis ses origines, lhorreur du fait divers se marie avec le burlesque) ou laccident de la circulation qui coûte la vie à lauteur de Structures du fait divers, Roland Barthes.
On prend ainsi beaucoup de plaisir à se replonger dans lambiance du début des années 1980, où un grand maître au Collège de France mêle ses souvenirs personnels et son immense culture, pour inviter à une réflexion impressionniste sur le fait divers. Et cela fait de ce livre davantage un objet dhistoire, voire un étrange objet littéraire (et on songe à «lamer plaisir davoir renoncé» à la littérature, dont parle joliment Chevalier à propos de lhistorien), plutôt quun livre dhistoire du fait divers.
Sylvain Venayre ( Mis en ligne le 01/02/2010 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Crime et culture au XIXe siècle de Dominique Kalifa L'Affaire de Bruay-en-Artois de Pascal Cauchy
Ailleurs sur le web :Une présentation de Louis Chevalier par Daniel Roche sur le site du Collège de France. | | |
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