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L’impossible morale ?
Zygmunt Bauman   La Vie en miettes - Expérience post-moderne et moralité
Hachette - Pluriel 2010 /  10.50 € - 68.78 ffr. / 412 pages
ISBN : 978-2-01-279328-6
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en novembre 2003 (Rouergue)
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Sociologue trop peu lu dans nos régions, Zygmunt Bauman offre dans La Vie en miettes une analyse brillante, érudite et dense des conditions de possibilité de l’action comme de la conscience morale au sein des paradigmes et du vécu post-moderne. Cette analyse a le double mérite de ne se laisser enfermer dans aucun champ disciplinaire et de rester, contrairement au travail intéressant mais un peu impressionniste de Lipovetsky, rigoureuse dans ses définitions et la description des phénomènes qu’elle aborde. Les références aux travaux d’Ulrich Beck ne sont à cet égard pas un hasard.

L’ouvrage est divisé en deux parties. La première traite de la post-modernité, tente d’en identifier les caractéristiques, les traits, les mentalités et les figures spécifiques ; la seconde se penche sur la moralité proprement dite. Pour Bauman, la post-modernité voit, tout d’abord, la fin des institutions (armée, industrie, etc.), des valeurs (travail, progrès) et du projet de construction et fixation d’une identité sans autre référence que la volonté et l’action humaines, censées justifier, encadrer et combler le vide de sociabilité laissé par l’opération de destruction des organisations traditionnelles, «communautaires», et de la transcendance religieuse. Surtout, la post-modernité marque l’accentuation mais aussi le retournement de certains aspects érosifs de cette modernité contre elle-même.

À la figure moderne du pèlerin, souvent dangereusement éthique, succèdent les figures post-modernes du touriste, du flâneur, du vagabond et du nomade, dominées par l’esthétique. Autrement dit, si le moderne transformait le monde en désert, en un espace homogène, sans lieux, seulement déterminable par lui, par son parcours, s’il y traçait une piste afin de s’y construire une identité et était avide de limites, de frontières à franchir pour en ordonner l’au-delà, le post-moderne pour sa part fuit la détermination, l’identité fixe ; il expérimente, dans sa vie quotidienne (du boulot à contrat à durée déterminée à la multiplication des formes et des instances de pouvoir, en passant par le morcellement des structures familiales et la représentation à la fois spectrale et saccadée du réel par l’ingénierie médiatique), non plus tant un espace homogène, mais un temps discontinu : sa conscience, donc sa capacité de considérer les causes, les conséquences ou les intentions de ses actes, est en miettes. Un peu à l’image du schizophrène, il a autant de réalités que d’identités, et autant d’identités que d’expériences vécues. De surcroît, il ne dispose plus des institutions modernes pour donner à son action un cadre de référence, alors même que le processus de déresponsabilisation qu’induisaient ces institutions (comme l’expérience de Milgram l’a montré) ne cesse, lui, de s’approfondir, notamment par le biais technologique (par exemple, la possibilité accrue de tuer sans apercevoir ses victimes).

En somme, l’individu post-moderne se trouve dans une situation difficile et périlleuse où, d’une part, il est obligé d’agir sans formule disciplinaire pour réguler, orienter son action, et où, d’autre part, il est plongé dans une logique et dans un vécu déresponsabilisant, au lien de causalité perçu comme diffus, voire dissout : il est à la fois libre de ce qui pesait sur sa conscience et prisonnier d’une sorte de présent perpétuel, d’un réel désossé, d’un décor dont il ne perçoit plus vraiment la continuité. Le pari, sans doute trop optimiste, de Zygmunt Bauman est que cette situation inédite donne la possibilité à l’homme de se reconstruire une nouvelle morale, de nouvelles modalités d’action.

Si l’exposé de Bauman est éclairant de lucidité, au point qu’il n’hésite pas, dans la lignée de Pichot, à égratigner quelques grandes évidences de notre temps (concernant les liens entre logique de l’avortement et logique eugénique, notamment), il est sans doute critiquable pour son optique décidément trop «ethnocentrique», puisqu’il assimile, en bon (post-)moderne, l’Homme à l’homme occidental - comme si la majorité de la population mondiale vivait la même expérience qu’à Berlin ou à New York, ou comme si la discussion sur les possibilités de la morale ne concernaient pas les «périphéries» de l’Occident. De plus, il néglige les aspects techno-scientifiques des mentalités modernes et post-modernes, et malgré les mentions qui en sont faites, il sous-estime largement le processus de représentation, l’importance de la mise en spectacles et de ses usages dans l’émiettement qui caractérise l’expérience de vie post-moderne.

Reste à voir si, d’une vie en miettes, on peut encore faire autre chose qu’un pain de sel…


Frédéric Dufoing
( Mis en ligne le 20/04/2010 )
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