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Seul l'oiseau moqueur chante à l'orée du bois
Walter Tevis   L'Oiseau d'Amérique
Gallimard - Folio SF 2005 /  6.20 € - 40.61 ffr. / 386 pages
ISBN : 2070306259
FORMAT : 11 x 18 cm

Traduit de l'américain par Michel Lederer
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Seul l'oiseau moqueur chante à l'orée du bois. Cette phrase vaguement nostalgique, extraite d'un dialogue de film, vient régulièrement chatouiller les pensées de Paul Bentley, le personnage principal du roman, dont elle éclaire du coup le titre original*. De quel film est-elle tirée, l'auteur ne le précise pas. Mais que la question reste ouverte n'affecte en rien l'appréhension par le lecteur de ce roman de science-fiction, paru pour la première fois aux Etats-Unis en 1980 et dont Folio propose ici une nouvelle réédition en France.

L'Oiseau d'Amérique est dans la lignée des grands classiques de la speculative fiction, au même titre qu'un Meilleur des Mondes ou qu'un Fahrenheit 451, avec lesquels il partage les thèmes de l'aliénation, du contrôle des masses et du bannissement de la culture. Ce n'est donc pas tellement pour l'originalité de son contexte que l'on abordera le livre mais plutôt parce qu'il vient intelligemment compléter la vision proposée par ses glorieux aînés et qu'il en explore d'autres facettes avec une certaine réussite.

Abrutis de programmes télévisuels formatés, dressés au sexe sans sentiments, les Hommes, gavés pour leur bien de drogues diverses (les sopors) et éduqués à un individualisme forcené, sont en voie d'extinction, sans même en avoir conscience. Ils ont peu à peu abandonné les tâches pénibles et finalement le pouvoir, aux machines. Les psi-bus, véhicules collectifs intelligents et télépathes, ont remplacé les autres moyens de transport. Les robots femelles de classes inférieures font office de serveuses - bornées - dans les Burger Chefs. Dans les vivariums du zoo, même les reptiles sont animés par des servo-mécanismes. Dans cette société apathique, mécanique, privée de sens et bientôt d'avenir, trois destinées se télescopent. Celle de Robert Spofforth, le plus sophistiqué des robots jamais conçus, dernier représentant de sa catégorie, qui a décidé d'en finir avec la vie mais à qui sa programmation "parfaite" empêche de se nuire, donc de passer à l'acte.

Celle de Paul Bentley, petit universitaire sans relief, qui a appris à lire dans un monde où on ne sait même plus ce que lire veut dire, et qui découvre peu à peu les bienfaits de cette connaissance, en même temps que ses risques. Celle enfin de Mary Lou, trentenaire rebelle, qui a compris que la soumission à laquelle ses contemporains se sont résolus n'a plus de raison d'être dans un monde où le pouvoir s'est délité depuis longtemps. Amour, apprentissage, émancipation et rencontres inattendues seront au rendez-vous. Et ouvriront peut-être la voie à un ultime sursaut…

L'écriture de Walter Tevis n'est pas particulièrement plus inventive que son cadre de départ. Le style est classique, la langue de bonne tenue et la narration sans grande surprise, même si l'alternance des épisodes vécus - et racontés à la première personne par chacun des trois protagonistes, brise la linéarité. L'intérêt du livre est ailleurs et réside en fait :
- dans la rigueur avec laquelle l'auteur construit son Amérique du futur. Règles et devoirs, comportements, éléments matériels, valeurs, références : les personnages évoluent dans un univers cohérent et crédible, qui ne se contente pas de servir de décor en arrière-plan. Il y a une réelle profondeur de champ;
- dans la façon de traiter les différents thèmes et les bonnes idées qui renforcent cette crédibilité et ajoutent à cette profondeur : à titre d'exemple, lorsque Paul et Mary Lou apprennent à lire, ils utilisent des supports très divers (du livre de classe primaire au recueil de recettes de cuisine en passant par le roman classique) et le fait qu'ils ne les hiérarchisent pas, ne leur attribuent aucune valeur relative, sonne juste. Dans un autre registre, on apprécie l'introduction des nombreuses références cinématographiques qui parsèment le début du livre, lorsque Paul visionne de vieux films dans sa cellule. Celles-ci introduisent un lien efficace avec le réel qui facilite l'immersion du lecteur dans le récit;
- dans quelques-uns de ses postulats, tel celui d'un robot parfait, hanté par les souvenirs inaccessibles de l'humain sur le modèle duquel il a été conçu et qui rêve de suicide;
- dans le traitement efficace que fait en fin de compte Walter Tevis d'un thème classique, en offrant d'intéressants points de vue sur une société en perte d'humanité.

Au total, on pourra reprocher au livre quelques longueurs : la vie de Paul dans la communauté Baleen et les épisodes qui la précèdent ou la suivent directement ont leur raison d'être, mais ne sont ni les plus convaincants, ni les mieux calibrés. Certaines scènes peuvent paraître un peu désuètes aussi, amenées en tout cas de manière un peu démonstrative pour des lecteurs auxquels le cinéma et la télévision, à défaut de la littérature SF elle-même, ont donné le goût de l'ellipse.

En ces temps troublés où la réalité à tendance à dépasser la fiction, où l'équilibre global du monde décrit par Tevis paraît moins que jamais en passe d'être atteint, et ce malgré la "mondialisation", on n'est pas certain que les lecteurs voient dans l'Oiseau d'Amérique le tableau d'un avenir suffisamment probable pour s'inquiéter et réfléchir. Mais on doit le reconnaître pour ce qu'il est : un très solide roman d'anticipation.


*Le Mockingbird, moqueur polyglotte (mimus polyglottos) est un oiseau d'Amérique du Nord, surnommé aussi «le rossignol Américain». Les manuels d'ornithologie nous apprennent que son chant est très particulier, puisqu'il inclut des éléments mélodieux nombreux et variés, parmi lesquels des imitations d'autres oiseaux (plus de 200 espèces, paraît-il) ainsi que d'animaux tels que chats et chiens… et même d'êtres humains.


François Gandon
( Mis en ligne le 29/08/2005 )
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