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Il était une fois l’homme | | | Jens Harder Beta… civilisations (volume 1) Actes Sud - l'An 2 2014 / 38.50 € - 252.18 ffr. / 39 pages ISBN : 978-2-330-02818-3 FORMAT : 19,5x30,5 cm Imprimer
Il y a des projets éditoriaux un peu fous qui régulièrement agitent le monde de la bande dessinée. On pense par exemple à lintégrale Peanuts en 25 volumes, à celle de Calvin and Hobbes, à nimporte quel livre de Chris Ware ou à cette trilogie annoncée de Jens Harder. Cinq ans après Alpha, voici le deuxième tome de cette grande aventure de lHumanité racontée en images (et un peu en textes) par un auteur ambitieux, méticuleux et sans doute un peu fou lui aussi.
Dans cette deuxième partie (qui comportera une suite), le héros cest donc lhomme et son évolution. Des premiers primates apparus il y a 50 millions dannées aux grandes civilisations antiques. Cest lhominidé qui utilise des outils, puis qui se met debout, avant de découvrir la roue, lécriture, puis de construire des temples et des cités grandioses. Ainsi, on découvre les grandes étapes, les migrations, les combats contre lenvironnement, puis la rivalité avec lautre, le besoin de construction, les premières croyances et les premières sociétés.
Si le propos est très sérieux et sappuie sur des connaissances scientifiques solides et précises, Jens Harder ne fait pas de ces ouvrages des manuels scolaires. Il y a dabord une esthétique certaine et un amour immodéré pour le dessin qui transparaît dans toutes ces vignettes. Les images, les compositions de planches, les encres employées, forment de magnifiques et riches paysages graphiques dans lesquels il fait bon se perdre. Cest la première qualité de ces livres : il sont captivants, hypnotiques, et cette succession de représentations, ce flot qui semble inépuisable, emprisonnent le lecteur dans une énergique farandole, pleine de force et délan.
Le premier tome avait cette difficulté supplémentaire de ne pas avoir de « personnage » à mettre en scène: tout était affaire datomes, de poussières détoiles, de nucléotides et de bactéries
Une suite de dessins incroyables représentant textures, soupe primitive et bouillons de cultures. Il ny avait rien dautre à quoi se raccrocher quà ce discours pictural ininterrompu et, au final, passionnant. Un drôle de trip graphique. Le pari était risqué et pourtant réussi puisque Jens Harder parvenait à embarquer son lecteur dans cette folle aventure où le passage dune vignette à lautre représente 7 millions dannées !
Avec Beta, Jens Harder renforce son système narratif qui était ébauché dans Alpha : à savoir ce jeu dassociations didées qui fait quune vignette en amène une autre, brassant époques, temporalités et cultures dans un même ample mouvement. On se rappelle de 2001 de Kubrick où los lancé par un australopithèque devient, en cut, une navette spatiale flottant dans le vide intersidéral. Lellipse était osée et parfaite ; un grand moment de cinéma aussi bien esthétique que dans lidée transmise, à savoir lhéritage et le progrès. Harder reprend cette idée et en propose plusieurs variantes à la fois ludiques, pédagogiques ou futiles. Ainsi le feu dompté par lhomme est une première source dénergie comme le sera bien plus tard lélectricité. Mais cest aussi les Jackson Five qui chantent leur tube ABC grâce à linvention de lalphabet ! On le voit, la rigueur méthodique de Harder ne vient jamais étouffer le plaisir de la lecture. Science, histoire, philosophie, religion, anthropologie, et cultures populaires font finalement bon ménage et tout le travail de Jens Harder consiste à mettre en relation des registres a priori éloignés.
Pour mettre en scène cette grande histoire, et pour mettre en images le temps qui passe, Harder puise en effet sans a priori dans une banque dimages qui se voudrait totale: ainsi Uderzo côtoie Arcimboldo, et Maradona croise Einstein et Confucius. Peu importe la cohérence des sources, limportant est quil y ait un lien entre ces visuels. À partir dun élément précis de son discours (la chasse, la religion, la nourriture
), Harder établit un brainstorming survolté qui lui permet de rapprocher tout un tas de notions et didées. Chaque vignette est donc une référence, un élément copié puis collé dans un plus vaste ensemble qui forme alors un tout cohérent : Harder englobe toutes ses images dans un seul univers, le sien certes, mais aussi le nôtre celui de cette civilisation dont lincroyable épopée défile sous nos yeux. Cette compilation dimages que rien ne semblait pouvoir rapprocher prend ici tout son sens. Tout fait partie de cette même planète, tout est lié, tout se tient. La mémoire collective, les faits scientifiques, les vagues souvenirs et les grandes certitudes se retrouvent dans ce vaste assemblage, ce Google Images déréglé et sensible, cette Bible unique et inépuisable. Autant quune histoire de lhumanité, Beta peut aussi se voir alors comme une histoire des images et comment celles-ci, des fresques des grottes à la photographie people, se sont intéressées aux mêmes thèmes, aux mêmes représentations.
Un vertigineux voyage qui, loin dêtre épuisant, est tout du long stimulant et enthousiasmant.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 11/03/2014 ) Imprimer
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