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Le sel de la vie
Mélanie Trugeon   Claire Malary   Le désert d’Ata
Actes Sud - l'An 2 2021 /  23 € - 150.65 ffr. / 104 pages
FORMAT : 24x32 cm
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Au Nord du Chili, une ambiance de fin de monde. De grandes étendues de sécheresse, des montagnes, la nature laissée à elle-même. Les déserts de sel. Et un van, qui les parcourt sans route ni panneau.
On a l’impression que de la poussière du sol a émergé l’image. Mélanie Trugeon et Claire Malary ont visité le désert d’Atacama, en ont écouté les mythes, en ont observé le relief. Les mots de l’une, les mains de l’autre modèlent un chant de terreur et de solitude, un véritable poème en image dont on ne saisit d’abord que la force.

L’intrigue est pourtant là, sous-jacente : Jahel, cette jeune femme attirée par les flamants roses, se perd dans le désert d’Atacama à la recherche d’une balise GPS, et rencontre un être sauvage. Mais le récit semble faire peu de cas de cet enjeu. Il laisse la part libre à l’interprétation, suivant Jahel pas à pas dans une geste poétique où les notions de découverte, de désir, de perplexité sont plus importantes que leurs objets éventuels.
L’indignation, aussi. Dans le désert s’élève la main de Mario Irarrázabal, dont on dit parfois qu’elle rend hommage aux victimes de Pinochet. Et le Chili est aussi la mine de cuivre à ciel ouvert la plus grande du monde. Riche de lithium, le salar d’Atacama meurt de sa fortune. Enfin, Le Désert d’Ata renverse les genres et les habitudes : ce n’est peut-être pas un hasard si Claire Malary, la dessinatrice, a remporté il y a peu le prix Artémisia. Jahel erre en tenue masculine et voit monter sa fascination pour une figure mâle, nue, virile, avec qui elle se bat en corps à corps et finalement étouffe, tous deux ensevelis par le sable sous l’orage. On ne sait plus à qui sont ces bras, à la jeune femme ou à son double masculin, à celle qui incarne encore une forme de civilisation ou à celui qui n’est plus qu’à l’état sauvage.
Vignette après vignette, nous nous laissons porter par un rythme plus que par le sens. Latitudes et longitudes sont parfois les meilleures indications que nous ayons, comme si un algorithme de Google nous obligeait à voir se succéder les instantanés, sans mouvement intermédiaire, à la recherche d’un instant plus significatif qu’un autre.

De quoi est fait ce désert : de sel ou d’anthracite ? Le crayon dessine les corps, les pleins comme les vides, les gris comme les blancs. Si les images nous livrent sans explication le passé, le présent ou le futur, elles nous laissent voir de tous temps la matière et le corps. D’ailleurs, n’est-ce pas synonyme, puisque les montagnes, à leur tour, prennent forme humaine ? Les personnages s’éloignent, se rapprochent et se découpent. Les humains se confondent avec le sol, avec le sel, avec le sable, ils s’enlisent dans un désert blanc d’où seuls décollent les flamands roses. Eux vivent la couleur, taches de désir dans un océan de sécheresse. Ils s’effondrent couleur de sang, sacrifiés par la rapacité des êtres, mais laissent échapper une nuée de plumes et de pétales en guise de retour de la nature.
Notre émotion, celle de Jahel, tout se confond.


Clément Lemoine
( Mis en ligne le 20/04/2021 )
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