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L'art mature
Martin Vaughn-James   La Cage
Les Impressions nouvelles 2006 /  18 € - 117.9 ffr. / 192 pages
ISBN : 2-87449-011-3
FORMAT : 17x24 cm
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Trente ans après sa construction par Martin Vaughn-James, La Cage n’en finit pas d’emprisonner de nouveaux lecteurs dans un étonnant labyrinthe, succession d’images fortes et de textes troublants, faux récit fantastico-policier aux confins du genre, vrai voyage hallucinant et totalement fascinant. Un piège prêt aujourd’hui à faire de nouvelles victimes grâce à cette réédition attendue. Inclassable, se situant quelque part entre bande dessinée, livre illustré et roman visuel, dans un territoire habité par lui seul, le livre de Vaughn-James n’a rien perdu de son incroyable singularité ni de son pouvoir d’évocation.

Le principe initiateur fut de réaliser un récit graphique sans personnage, développer une œuvre où l’absence de tout protagoniste ne serait pas un frein mais au contraire un alibi, une motivation pour mettre en place une narration totalement nouvelle, entre exercice de style à la Perec et Nouveau Roman. Le seul personnage c’est le lecteur, promené (et parfois malmené) à travers cette série de cases méticuleusement agencées au sein de la double page blanche. Dans le texte inédit qui ouvre aujourd’hui le livre, Martin Vaughn-James cite Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, mais aussi les films noirs américains où la caméra subjective souvent utilisée met le spectateur à la place du personnage, comme si substituer ainsi les rôles permettait à chacun d’avancer dans l’enquête, de chercher les indices éparpillés sur les lieux du crime. La Cage va en effet mettre en alerte toute l’attention de son lecteur : il y a beaucoup à voir ici, des liaisons à comprendre, des échos à saisir, des liens à tisser. Mais la caméra subjective c’est aussi le moyen le plus direct d’une identification réussie, de changer le lecteur en quelqu’un d’autre, de l’emporter ailleurs. Un avatar numérique récent de ce procédé cinématographique est à trouver dans ces jeux vidéos où le joueur se promène dans divers endroits avec des créatures souvent horribles qui rôdent alentour. Avec deux bonnes décennies d’avance, Martin Vaughn-James mettait sur papier ce dispositif simple mais terriblement efficace. La Cage est un voyage pour le lecteur. Un périple invraisemblable dans une énième cité obscure*, au sein d’un monde en constante mutation où les minces repères qui s’offrent à tel endroit du livre disparaissent souvent immédiatement après. Un univers inédit où le temps et la distance sont régis par des règles différentes que celles du récit traditionnel. Ici, le dessin (accompagné du texte souvent en décalage) est à la fois balise et moteur de la narration s’appuyant sur ses seules ressources pour faire avancer, à pas mesurés, l’« intrigue ». Une intrigue qui de plus se mord la queue puisque le désert qui ouvre le livre le terminera également, comme pour emprisonner encore un peu plus le lecteur.

L’absence de personnage donc. Une absence remarquée évidemment, et remarquable, et sur laquelle l’ouvrage revient, en plus, continuellement, comme pour insister. Un lit défait, des habits sur une chaise, des architectures et des rues désertes, une tâche de sang (de sang vraiment ?) : l’absence est partout, le personnage qui manque est là observé par d’autres, les fantômes guettent, les objets sont mus par quelque mystérieuse force invisible, et de diaboliques agencements évoquent, en creux, d’inquiétants sacrifices et autres éprouvantes séances de tortures. Le dessin de Martin Vaughn-James, noir et blanc précis construit sur une armature solide aux perspectives implacables, accentue la violence sourde qui rythme chaque page. Un graphisme froid, maniaque, où le détail obsessionnel impressionne autant qu’il perturbe. Et partout, des signes, des rappels, des indices laissés au lecteur pour qui ce livre dont il pensait être le héros devient un lieu de perte, un dédale démoniaque, un endroit où l’on se plonge un instant qui peut devenir une éternité, à l’image de ces lieux dessinés à divers moments de leur existence, ici rutilants, là-bas en ruines.

Si La Cage, au fil de ses rééditions depuis 1975 (et 1986 pour la première traduction française) n’a jamais connu un grand succès commercial, il a cependant acquis rapidement le statut d’album exemplaire pour tous les critiques et théoriciens s’intéressant aux « littératures de l’image ». L’ouvrage est cité, pris en exemple ; on fait l’inventaire de ses spécificités, on cherche à l’éloigner de la bande dessinée ou au contraire on en fait la référence ultime du neuvième art… La Cage rend fou ! Mais pourtant, nul besoin d’être exégète pointu ou historien phraseur pour apprécier tous les trésors que contient La Cage et se laisser captiver par ce livre unique : au-delà de l’évidente beauté du livre qui frappe dès les premières pages feuilletées, chacun aimera ensuite y apporter son début d’interprétation et tentera de réaliser l’itinéraire idéal. C’est une expérience de lecture rare qu’il serait dommage de laisser passer…

*Martin Vaughn-James a prêté ses traits au peintre Augustin Desombres, personnage emblématique de la série créée par Schuitten et Peeters…


Alexis Laballery
( Mis en ligne le 05/07/2006 )
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