|
Bande dessinée -> Autre |
| Blutch La Beauté Futuropolis 2008 / 25 € - 163.75 ffr. / 120 pages ISBN : 978-2-7548-0154-6 FORMAT : 22x31,5 cm Imprimer
Pour son nouveau livre, Blutch décide de jouer une nouvelle fois la surprise. Et de nous prendre à rebrousse-poil, en nous livrant, au lieu dun album de bande dessinée au sens classique du terme, une série de dessins à la logique visiblement obscure, et réunis sous un titre extraordinaire : La Beauté.
Il ny a dailleurs même pas de titre sur la couverture, et pas non plus dexplication entre les dessins pleine page qui senchaînent, hormis ce léger argument à louverture : vous trouverez entre ces pages « limpression diffuse que nous donnent les albums de famille que lon feuillette des fois, discrètement, en visite chez des gens ».
Et nous voilà, effectivement, transportés dans une intimité fabuleuse, allant de lindiscrétion à lobscénité, du portrait en pied dans une pose nonchalante à la scène érotique et improbable, femme à moitié dénudée suspendue par un fil sous le regard absent des maîtres de maison. Dans le va-et-vient, quelques thèmes sattardent, quon avait déjà vus dans les livres de Blutch et qui insistent à nouveau, forts de leur impact visuel : la dissimulation, les bêtes, et surtout le corps féminin. Dans ces dessins voilés, hachurés, obscurcis, les femmes sont des coulées de lumières, parfois tout aussi mystérieuses. Comme la beauté, mot féminin bien sûr, éternellement cherchée, et dont Blutch nous dit, paradoxal, quelle est tout et rien à la fois.
Est-ce encore de la bande dessinée ? Il nest pas sûr que cette longue séquence soit encore chronologique, mais dans le fond ça na pas dimportance. Blutch joue avec les limites, il sefforce de trouver un objet frontalier, qui tienne à la fois de lart contemporain, du catalogue de photos et de la bande dessinée. Lordre des dessins est inexplicable, mais il est incontestable, puisque posé comme appartenant à lacte du créateur.
Ce nest quen acceptant cette règle de lincompréhensible que lon peut, parfois, opérer des rapprochements. Voir dans le face-à-face dune pêche miraculeuse et dune femme allongée la représentation figurée dune femme-objet moderne, animalisée par les pêcheurs ? Ou lire une séquence volcanique comme un zoom arrière de la coulée de lave vers la réception mondaine, qui rejette la nature dans un coin du salon, comme un décor paysager, privé de sa dangerosité et de son absolu ?
Le lecteur pourra aussi prendre les dessins comme autant dimages surréalistes, issues du trouble et tâchant de le restituer, valant finalement comme des regards isolés. Sur chacune de ces pages, on pourrait sarrêter, à la recherche dune logique graphique propre et dun dessin entre réalisme et imaginaire. Blutch, riche dune formation académique et dun goût pour liconoclasme, parvient à faire naître des images entre deux mondes, mélangées des fantasmes et des albums-photos.
Tout cela est plus gênant que convaincant. Forcément. En présentant la beauté comme un désir impossible, Blutch, malin comme un singe, nous retire aussi le droit de le juger. On peut apprécier certaines fulgurances du dessin, certaines audaces dans la composition, ou la douceur des couleurs, on ne peut pas pour autant estimer simplement belles les images du recueil. Bloquant tout discours critique, Blutch nous laisse perplexes, inévitablement dépassés par les événements.
Clément Lemoine ( Mis en ligne le 03/03/2008 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:C'était le bonheur de Blutch Donjon Monsters (tome 7) de Joann Sfar , Lewis Trondheim , Blutch | | |
|
|
|
|