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Bande dessinée -> Réaliste |
| Cosey Une maison de Frank L. Wright - et autres histoires d'amour Dupuis - Aire Libre 2003 / 12.94 € - 84.76 ffr. / 64 pages ISBN : 2-8001-3403-8 FORMAT : 24 x 32 cm Imprimer
Voici donc le dernier Cosey, très attendu et par là même très exposé dautant plus que le genre des « short stories » est en lui-même très périlleux. Les histoires courtes, en effet (cet album en compte quatre), risquent toujours de laisser le lecteur sur sa faim. Elles courent également le risque de ne pas être convenablement liées les unes aux autres, et leur ensemble dapparaître comme une marquetterie mal ajustée.
Disons-le demblée : bien que les histoires réunies dans cet album ne puissent être comparées au grand souffle maîtrisé qui animait la Recherche de Peter Pan ou le Voyage en Italie, elles doivent être placées parmi les plus belles productions du neuvième art. On serait bien en peine de trouver dans ce dernier album un affaiblissement du style de Cosey. Quil sagisse de représenter un paysage de neige, un lac en automne, une île la nuit ou une maison de Frank Lloyd Wright, les dessins sont fabuleux. Il serait dune grande mauvaise foi dimaginer également une sorte de déperdition de lénergie créatrice, qui aurait fait préférer à Cosey la forme courte aux longs récits. Une Maison de Frank L. Wright et autres histoires damour est un très pur chef-duvre.
A la vérité, cet ensemble de variations sur le thème de lamour forme comme un livre apaisé. Le Bouddha y fait dailleurs de furtives apparitions, comme le signe dune sagesse trouvée, dun point déquilibre entre les vux de lesprit et les vux du corps, que lamour exauce ensemble. Cest aussi le livre dun auteur au sommet de son art, qui soffre le luxe dune réflexion délicate sur la bande dessinée destinée aux enfants. Les amateurs de BD et ceux de Cosey nont ainsi pas fini de se pencher sur la page 60 de cet opus, qui représente quinze albums incarnant pour Cosey « le noyau dur, substratum dun immense bonheur partagé » ; un tabernacle renfermant ce que Cosey considère comme le trésor de la bande dessinée pour enfants. Intrigué, le lecteur qui reconnaît entre autres les Pieds Nickelés, Tintin, Astérix ou Lucky Luke (dessinés par Cosey !) médite nécessairement longtemps sur labsence dautres héros qui lui furent chers pourtant
Cosey appelle dailleurs à discuter cette sélection et la dernière histoire de lalbum sachève sur le compte, forcément secret, des grandes uvres de la bande dessinée actuelle.
Lessentiel, toutefois, nest pas là. Le livre est dabord un livre sur lamour et ses saisons. Les quatre histoires sont ainsi quatre histoires damour, à des titres divers, et ont pour cadre les quatre saisons. Procédé ? Certes pas. Les quatre saisons sidentifient aux différents âges de la vie et se mêlent entre elles comme les âges entre eux. Des vieillards se retrouvent en hiver et évoquent leur printemps. Deux jeunes adultes vivent lété de leur amour dans une maison de Frank Lloyd Wright. Un adulte, une nuit dété, se remémore ce qui fut laube de son printemps. Lhistoire la plus belle, peut-être, est celle dun automne qui veut mourir rencontrant un printemps qui signore : cest la vieille Lily jouant tristement au jeune Chuck le Printemps de Debussy, et recevant en échange léternelle leçon du printemps ; il est impossible den dire ici davantage sans casser le charme de cette histoire (la troisième, intitulée Only love can break a heart). Cosey y délivre avec une infinie tendresse, et lair de ne pas y toucher, un beau message despoir.
Les histoires sentremêlent donc pour celui qui veut bien considérer que lamour en est à chaque fois le héros. Le livre est celui de toutes les fusions : fusion des saisons, qui voient par exemple une tache de peau en forme de tulipe faire fondre la neige en hiver ; fusion des espaces, qui voient lamour envelopper une île, une forêt, un lac ou une montagne ; fusion des temps, lorsque par exemple lenterrement dun vieil oncle donne à un homme à la fois la possibilité de se souvenir de son passé et de se saisir de son avenir
On comprend que Frank Lloyd Wright soit la figure tutélaire de ce livre : nest-il pas larchitecte qui a voulu la fusion de lhabitat et de la nature ? Dans une case magistrale où les ombres de deux amoureux ne font plus quune, au pied de la maison de Frank L. Wright superbement stylisée, Cosey fait de celle-ci la métaphore de toutes les unions. Comme Wright la fait dans le paysage, Cosey inscrit dans lespace de la page, en style magique, une magnifique image damour.
Sylvain Venayre ( Mis en ligne le 28/11/2003 ) Imprimer | | |
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