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Bande dessinée -> Réaliste |
| Charles Masson Soupe froide Casterman - Ecritures 2003 / 12.50 € - 81.88 ffr. / 136 pages ISBN : 2-203-39605-9 FORMAT : 17 x 24 cm Imprimer
Soupe froide raconte la longue nuit derrance désespérée dun SDF échappé dune maison daccueil où une infirmière lui a servi une soupe froide. Vexé et écuré, lhomme quitte les lieux et repart pour lhôpital, espérant que là-bas on veillera un peu mieux sur lui et quil pourra enfin avoir un repas chaud. Il nen demande pas beaucoup plus. " Jveux être considéré mieux quun chien", répète-t-il à qui veut lentendre dans sa longue et périlleuse course nocturne. Lhomme est malade, transi de froid et il commentera toute sa marche dun monologue rageur et emporté.
Son discours répétitif, ses colères et ses peurs rythment lalbum de façon fort pertinente et jamais ennuyeuse. Ce qui est dit démontre une cohérence certaine bien que biaisée par les événements, un raisonnement logique et implacable. Il en a après tout le monde : cette infirmière dabord, qui lui a servi cette soupe froide, ce médecin qui ne semble avoir quune idée en tête, lui ôter la mandibule
Et tous les autres jusquà Celui là-haut - qui font quaujourdhui, le voilà, pieds nus et crevant de froid dans cette campagne désolée.
En parallèle à ces cogitations énervées, on assiste à dautres scènes dont on peut dailleurs se demander si elles ne sont pas seulement fantasmées par le pauvre homme délirant. Il revoit ainsi sa fille, puis sa femme qui la mis à la porte quelques années plus tôt, pour le remplacer par un autre. Lhomme de la maison devenu sans domicile rumine et fulmine. On retrouve aussi linfirmière qui rentre chez elle et prend un bain chaud, et le médecin qui passe une soirée en famille. Toutes ces fausses digressions narratives sont prétextes à des contrastes aussi saisissants que vrais : le confort et la chaleur dun côté, le froid et la solitude de lautre.
Charles Masson mène ce premier album avec une belle maîtrise et un joli sens du découpage et de la mise en scène. Et de la maîtrise, il en fallait pour gérer ce long monologue qui sétale sur plus de cent planches. Lexercice était difficile, mais le résultat final est plus quhonnête et prometteur. Médecin ORL de profession, Masson ne connaît que trop son sujet comme il lexplique en postface de lalbum. Cest un fait divers quil relate ici, et fort de son expérience, il évite toute démagogie ou sensationnalisme qui auraient pu saborder son récit. Tout est juste ici, et si lon peut regretter un étrange épilogue quelque peu ironique et en décalage avec le reste (apparition du Nestor de Tintin ?
), force est de constater que Masson sait raconter ses histoires avec une belle sensibilité. Pour dramatiser son récit, Masson sintéresse autant aux situations quaux sensations et cest là lune des grandes forces de lalbum. Attentif aux détails, il sait restituer la dureté de cette glaciale et interminable nuit : les pieds blessés et gelés, les morsures du froid sur tout le corps
Le trait sec et expressif, même s'il est parfois encore maladroit, convient parfaitement bien à lhistoire. Le parti pris est radical ; Masson nutilise pas de grosses ficelles pour que lon sintéresse à son personnage. Le visage de lhomme anonyme (ou presque, son nom napparaissant que très tard, sur un formulaire administratif
) est sombre et torturé, se résumant parfois à une tache sombre sur laquelle se détache seulement un rictus inquiétant. Soupe froide place demblée son lecteur dans laction pour ne plus le lâcher. Un étonnant album qui, sil nest pas totalement réussi, nen reste pas moins une belle uvre de bande dessinée, courageuse et vraie.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 29/12/2003 ) Imprimer | | |
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