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Bande dessinée -> Réaliste |
| Gipi Notes pour une histoire de guerre / Les Innocents Vertige Graphic - Coconino Press - Ignatz 2005 / 9 € - 58.95 ffr. / 32 pages ISBN : 2-84999-005-1 FORMAT : 21,5 x 29 cm
Notes pour une histoire de guerre, Actes Sud BD, 2005, 22 , 20 x 28 cm. Prix du meilleur album Angoulême 2006
Les Innocents, Vertuge Graphic / Coconino Press, 2005, 9 , 21,5 x 19 cm. Imprimer
Le cinéma italien est (presque) mort ? Vivent la bande dessinée italienne et le néo-réalisme de Gipi ! Hasard du calendrier ou non, deux ouvrages de cet auteur paraissent en même temps chez les libraires. Les bédéphiles avaient déjà pu remarquer le talent du dessinateur dans les pages de la revue Black, mais ces courts récits, aussi bons soient-ils, nont rien à voir avec la beauté et la qualité des deux ouvrages aujourdhui traduits. Un grand auteur est né, au style brut et sans fioriture, et qui frappe dentrée très fort avec ce couplé gagnant.
Outre le fait dêtre un incontestable chef-duvre (cest dit), Notes pour une histoire de guerre marque de plain-pied lentrée des éditions Actes Sud dans la publication de bandes dessinées, et ce après quelques timides mais convaincantes tentatives les années passées. Et quelle collection ! Couvertures soignées, qualité du papier et de limpression, impeccable finition, et choix éditorial pointu et curieux. Voilà une nouvelle série promettant déjà de fort jolies choses, et qui prouve une fois de plus lincroyable richesse de la bande dessinée contemporaine. Gipi, parrain malgré lui, trouve dans cette édition un écrin idéal pour mettre en valeur son admirable travail.
Gianni Pacinotti, dit Gipi, est né en 1963 à Pise et a commencé comme illustrateur pour la publicité et lédition. Après quelques courtes bandes dessinées, Notes pour une histoire de guerre représente sa première incursion dans le format long. Dans un pays en guerre, peut-être européen, trois jeunes gens vivent de petits larcins pour sen sortir sous les bombes. Il y a Julien, le narrateur, fils à papa un peu timoré, Christian, sentimental et espiègle, et Stéphane, dit « Ptit Kalibre » : un gamin de 17 ans enragé et prêt à tout pour se faire un nom, une place au soleil. Le chemin de ce trio va un jour croiser celui de Félix et de sa bande. Soldat et gangster qui profite de la guerre pour mener à bien des petites affaires peu légales, Félix se prend de sympathie pour Kalibre et lembauche lui et ses deux amis dans son gang. Les trois garçons partent rejoindre la grande ville, là où la guerre na pas de prises, et tenir le rôle de messagers, redoutables et redoutés, de Félix. Mais bientôt tout ira trop vite et lengrenage de violence ne sarrêtera pas de tourner avant davoir tout broyé sur son passage.
Avec cet album, Gipi frappe donc un grand coup : son trait sec et nerveux, habilement rehaussé de lavis, fait vivre chaque protagoniste avec force et une incroyable justesse. En quelques cases et dialogues, le personnage est campé, humain et vivant, avec dans le regard, quelque chose qui échappe au dessin pour atteindre une saisissante vérité. Comme dans toutes les grandes uvres traitant de la guerre, celle-ci reste quasiment toujours off ; un hors-champ dont on parle beaucoup, dont on retrouve parfois les traces, et qui laisse des cicatrices profondes, physiques ou non, pour tous ceux qui lont vécu. Au début de laventure, les trois jeunes héros traversent un no mans land, une terre sans homme, comme seuls au monde, profitant de quelque habitation désertée pour se reposer. Pour eux, la guerre se résume à quelques patrouilles de miliciens dont ils ne connaissent même pas le camp dappartenance. Lorsquils rencontrent Félix, la guerre va devenir le terreau daffaires qui rapportent, une bénédiction. Mais à trop sapprocher de la flamme, le risque est de se brûler, et tôt ou tard pour les trois héros, la confrontation avec la réalité, avec cette guerre qui ne leur appartient pourtant pas, devient incontournable.
Dans Les Innocents, court récit de létonnante collection Ignatz, on retrouve le talent de Gipi pour faire vivre ses personnages, les bons comme les mauvais, qui sont dailleurs parfois les mêmes. Dans cette histoire, un petit garçon et son oncle font un voyage en voiture pour aller y retrouver un vieil ami de l'homme. Comme dans Notes pour une histoire de guerre, les thèmes de linnocence perdue, et celui des choix de vie qui peuvent tout faire basculer sont abordés. Avec finesse et sensibilité, Gipi brosse le portrait de personnages attachants et dune belle humanité. La force narrative de lauteur réside dans ce refus du psychologique lourdaud ou des focalisations trop exagérées. Ainsi, dans Notes pour une histoire de guerre, le personnage de Ptit Kalibre nest par exemple jamais soumis à un quelconque interrogatoire prétexte qui révélerait complètement son monde intérieur. Par une mise en scène dune grande finesse, le jeune homme se dessine peu à peu, ses parts dombre restant intouchables et secrètes. En lisant Gipi, on pense parfois à lascèse et le mordant dun Baru. Il y a chez ces deux auteurs la même rage qui prend aux tripes, une violence sourde tapie dans les recoins de chaque planche, un feu intérieur qui brûlera encore pour chaque lecteur bien après le livre refermé. Magistral !
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 06/04/2005 ) Imprimer
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