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Bande dessinée -> Réaliste |
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Réédition mineure d’une œuvre majeure | | | Loustal Philippe Paringaux Marc Villard La Nuit de l'alligator Casterman 2005 / 16.95 € - 111.02 ffr. / 110 pages ISBN : 2203366052 FORMAT : 22 x 30 cm Imprimer
Cet album de 108 pages regroupe dix-neuf histoires courtes (de deux à dix-huit planches) dessinées par Loustal et scénarisées par lui-même ou, pour la majorité, par son collaborateur habituel, Paringaux. Il convient demblée de dénoncer le défaut majeur de cet album, à savoir lédition, qui dailleurs nest pour lessentiel quune réédition. Ces histoires sont tout dabord présentées sans indication de date ni du support initial de publication, alors que lordre dexposition fait alterner des histoires racontées dans un style « première manière », en noir et blanc, avec celles qui témoignent de recherches plus avancées en matière de couleur, sans quà aucun moment on ne saisisse le principe qui préside à cette organisation. Mais cest surtout la reproduction des couleurs qui est scandaleuse, léditeur ayant manifestement utilisé les anciens films, sans à aucun moment retravailler la densité des teintes qui, dès lors, sont pâles, sans vivacité et dont les nuances sont la plupart du temps écrasées. Quand on connaît limportance de celles-ci dans luvre de Loustal, on ne peut que sindigner dun tel traitement, qui dénature une grande partie son travail, sans savoir sil faut dénoncer le laxisme de lauteur ou la cupidité de léditeur. Malgré les qualités intrinsèques de cet ouvrage, il importe davertir le futur acheteur, et de lenjoindre à éviter lacquisition dun tel livre, afin de forcer ceux qui en sont à lorigine à ne pas se moquer du lecteur. Ces défauts sont dautant plus regrettables que lalbum offre un panorama presque complet dun auteur qui, depuis une vingtaine dannées, a contribué de manière originale à renouveler la narration en bandes dessinées ; et ces histoires témoignent tant de ses recherches que de son évolution. Derrière la diversité des sujets et des styles, on retrouve à la fois une communauté de thèmes et un même dispositif narratif.
Concernant le premier aspect, lalbum évoque le même univers moite et glauque, où voisinent lérotisme et la mort. Il sagit dun monde de plages désertes, de bars sordides, dhôtels miteux, occupés par des ratés ou paumés de lexistence hommes en sueur, tricots de corps et mal rasés ; femmes adipeuses au teint fané et aux chairs avachies écrasés par le poids de leur échec, frayant pour leur malheur avec le milieu interlope de la drogue, des paris ou de la prostitution et qui, pourtant, en un ultime sursaut de dignité, trouvent encore la force daller au bout de leur obsession. On retrouve là les thèmes dune frange de la littérature doutre-Atlantique dont à lévidence les auteurs sont épris. Ce qui est remarquable, cest la manière dont ces motifs rémanents on pourrait citer lAfrique aussi, mais une Afrique coloniale et célinienne, celle des « petits Blancs » que la métropole envoyait croupir sous les tropiques, de même que les Noirs exploités, américains ou africains, reviennent régulièrement dans le récit, comme la boxe ou le blues la manière, donc, dont ces motifs entrent en accord avec tout un dispositif narratif où le style décriture, le dessin et la mise en scène forment un ensemble particulièrement cohérent, doté dune grande force dévocation.
La marque de fabrique la plus visible consiste tout dabord à révoquer les phylactères, pourtant constitutifs du genre, au profit de récitatifs qui sintercalent entre de larges cases généralement deux par planche afin dobtenir un rythme de lecture très particulier, qui aboutit à un nouveau rapport entre texte et image. Tant lhistoire que le graphisme mettent en effet laccent sur les pauses, les entre-deux de laction, les ellipses, jouant essentiellement sur lattente qui précède lacte, ou éventuellement sur ses effets, afin de focaliser la description sur latmosphère, la sensation du temps, détirement, qui aboutit à de brève ruptures, violentes pour la plupart. Lintérêt de cet album repose justement sur le fait quil montre toutes les variations que ce dispositif autorise. Il y a tout dabord le Loustal « première manière », qui cherche encore la meilleure voie pour sexprimer, avec des histoires très courtes, ramassées, sans couleur, où les traits entrecroisés concourent à un rendu de la matière très travaillé, à côté de larges à-plat blancs ou noirs qui organisent la composition et font circuler la lumière ; on peut ranger dans cette catégorie, bien que la couleur apparaisse, deux autres histoires, dailleurs graphiquement moins convaincantes, où le trait et les noirs jouent encore un rôle important. Le texte, à lépoque, est placé verticalement, à côté de la case, système quon retrouve dans une ou deux histoires en couleur. Mais rapidement celui-ci est intercalé entre les images, dans les bandes blanches qui habituellement servent à éviter les effets de contiguïté. Toutefois, Loustal sessaie à dautres variations autour de ce même dispositif, incrustant le texte dans son dessin, essayant parfois rarement les bulles, ou même racontant une histoire presque uniquement à laide du dessin.
« La nuit de lAlligator », histoire la plus longue qui donne à la fois le titre et la couverture de cet album, combine un peu toutes ses approches, avec un nombre de cases par page plus important que dans les autres récits, mais avec un incipit et un exorde pleine page, utilisés déjà à merveille dans dautres ouvrages de lauteur, comme Curs de sable, Barney et la note bleue ou Un garçon romantique. On préférera, pour notre part, le système à deux cases, qui laisse aux images tout lespace pour évoquer, et au texte tout le temps dinteragir avec le dessin, dimposer ce rythme de lecture si particulier qui tient à la fois de la forme et du fond. Quant à la couleur, composante majeure du travail de ce dessinateur, dont le trait volontairement simplifié laisse de larges surfaces où se déploie une gamme très riche de tons, souvent à dominante bleue ou parfois jaune (le ciel, la mer et le sable sont des motifs iconiques récurrents), entrecoupés de couleurs, parfois vives, déclinées à partir de teintes plus chaudes qui oscillent entre le rouge, le rose, le mauve ou le violet ; mais ces termes recouvrent bien mal la subtilité des tons utilisés, dont on peine à se faire une idée juste compte tenu du caractère désastreux de la reproduction.
Un album au total passionnant, qui permet dapprécier toutes les composantes et lévolution dun style, remarquable et original, qui sépanouit ailleurs en de vastes « romans graphiques » ; raison de plus pour tenter de trouver en occasion la première édition, de qualité supérieure, ou dattendre la suivante, qui devra dêtre à la hauteur de luvre quelle prétend reproduire.
Xavier Lapray ( Mis en ligne le 30/05/2005 ) Imprimer
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