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Bande dessinée -> Réaliste |
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La perfection dans tous ses états | | | Rùben Pellejero Denis Lapière Un peu de fumée bleue Dupuis - Aire Libre 2000 / 12.37 € - 81.02 ffr. / 80 pages ISBN : 2-8001-2973-5 FORMAT : 23 X 32 Imprimer
Cest une fumée bleue qui séchappe de la bouche de Laura, jeune serveuse à lauberge de la Route des Dames. Une fumée bleue qui sévapore de cigarettes vieillies, où sont inscrits des mots, des vers de Tristan Corbière, quelle conserve et fume pour se rappeler un temps où elle connut lamour. Dans un pays qui nest pas nommé mais que très vite on associe aux ex-pays communistes dEurope de lEst (on reconnaît Prague et une certaine ambiance slave), ces cigarettes ont autrefois permis à Laura de communiquer avec lhomme quelle aimait.
Tous les jours, devant la Route des Dames, passait le camion qui amenait les prisonniers se faire torturer à la caserne militaire. Pour les femmes, cétait la seule occasion dentrevoir leur mari. Laura, elle, faisait comme les autres et courait derrière, espérant trouver lamour dans le regard de tous ces hommes qui passaient, cet amour dont labsence dun père lavait privé. Et Ludvik sest présenté à elle, avec sa belle gueule et son besoin de soutien, son air de défi et la dureté de son regard.
Ils tombent amoureux dans cette étrange situation. Plus tard, quand le régime sécroule à la faveur dune révolution, ils se découvrent vraiment et saiment passionnément. Ils vivent une véritable idylle dans la capitale jusquà ce que Ludvik soit rattrapé par ses démons, par ces souvenirs qui le hantent et lempêchent de vivre. Le jeune homme, auteur de pièces de théâtre, ne se remet pas de lexpérience de la caserne. Il quitte Laura pour se fuir lui-même, pour punir les responsables de ses malheurs et régler ses comptes avec ses bourreaux. Et Laura, désespérée, retourne à lauberge chez sa mère et se met à attendre, attendre quelquun quelle ne connaît pas. Elle fait le deuil de son histoire, de cette histoire quelle-même raconte. Elle la dit à un voyageur de passage, un homme qui parcourt le pays avec son appareil photo et son sac à dos rouge, qui prend à chaque étape des clichés de la vie, des instantanés de son séjour.
Cest un récit à deux niveaux que nous offrent Pellejero et Lapière. Il y a dune part le passé de Laura, évoqué à coups de flash-back. Il y a aussi le présent, la relation entre Laura et le voyageur, la confiance qui sinstaure et qui permet la confession, le début dun sentiment amoureux qui pointe le bout de son coeur. Lalbum balance sans cesse entre ces deux degrés, ces deux histoires qui devant le lecteur dénouent leurs fils au fil des pages.
La construction, en effet, est peut-être la plus grande réussite de cet album. Les intrigues qui se chevauchent sont si finement menées quon se laisse embarquer, les yeux bandés, on se laisse happer par ces fabuleuses histoires damour, ces destinée qui senchevêtrent devant nous. Point de coïncidences, pas de hasard dans cet album où, dans un scénario qui donne à chaque détail son importance, tout est réglé sans quon le sache. Le scénario en effet est dune grande richesse parce quil mêle des sentiments universels à des destinées individuelles, dans un contexte politique dont la présence est bien évidemment fondamentale. Le propos est autant métaphysique quhistorique. Lalbum esquisse une poétique, mais se garde le droit davoir une portée politique. Il dénonce la torture, la dictature, celle des pays de lEst comme celle de lAmérique latine ou de lAsie, et toutes les autres. Mais il montre son horreur à travers les sentiments de ses personnages, ceux qui la vivent et la subissent, et non en en décrivant crûment les effets.
Le graphisme est fabuleux et supporte avec une grande classe ce scénario millimétré. Entre gros plans et vues panoramiques, du détail des visages à la précision des décors, et des focus sur les corps à la saisie des mouvements, Ruben Pellejero montre avec autant de talent la multiplicité des situations, des lieux, des sentiments. Les couleurs savent parfaitement souligner les ambiances : on a pêle-mêle le confiné des lieux clos, le bleu noir des scènes nocturnes, le jaune ocre des lumières naturelles ou artificielles, le chaud des intérieurs et le froid des dehors, le vert de la nature. Et toujours ce rouge du sac à dos, pièce maîtresse de lhistoire, doù tout part et où tout revient. Toute la palette chromatique sert avec la plus grande émotion et une parfaite exactitude la richesse des ambitions des auteurs.
Un peu de fumée bleue, cest pour le lecteur beaucoup de bonheur, une parenthèse de pureté, de beauté, une émotion qui le touche en plein coeur. Cest un roman, un film de cinéma, cest une peinture et une musique. Cest tout cela à la fois. Cest un chef doeuvre, tout simplement.
Thomas Bronnec ( Mis en ligne le 21/02/2001 ) Imprimer | | |
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