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Bande dessinée -> Fantastique |
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Le fantôme et le président | | | Christian Durieux Un Enchantement Futuropolis Musée du Louvre 2011 / 17 € - 111.35 ffr. / 72 pages ISBN : 978-2-7548-0608-4 FORMAT : 26,5x28 cm Imprimer
Cest soir de gala au musée du Louvre. On organise un dîner privé dans les salles en lhonneur dun grand homme, sans doute un Président (il a des faux airs de François Chirac et de Jacques Mitterrand). Les majordomes se pressent sous la Victoire de Samothrace, les tables se dressent dans les salles rouges, et les invités endimanchés sont le miroir de ceux exposés au-dessus, sur une toile de David. Mais comme un vieil acteur adulé avant une cérémonie, lhomme ne peut sempêcher de trouver le temps long et lambiance hypocrite. Il na pas envie dêtre la star de la soirée et veut échapper à son sacre. Choisissant la fuite, il sengouffre dans une salle adjacente, jeter un il du côté des Italiens.
Et il y a là cette femme, cette apparition soudaine que les gardiens ne voient même pas lorsquils passent à un mètre delle. Elle est apercue pour la première fois de dos, face à un tableau, les cheveux attachés en chignon : on pense à Kim Novak dans Vertigo, et la voilà déjà implicitement présentée comme un fantôme. Mais ça nest pas Belphégor pour autant ; cette jeune femme est drôle, dynamique et sait ouvrir une bouteille de vin avec une chaussure. Elle sémerveille de la peinture de Cimabue alors que les autres convives ne font que parader et se baffrer sans apercevoir les beautés qui les entourent. Pour le vieil homme, cette jeune femme est comme la providence ; elle va le sauver de ce qui aurait pu être la pire soirée de son existence. Elle est comme une dernière respiration pour un homme qui a sa vie derrière lui, muse et guide à la fois, le temps dune courte nuit. Le musée est comme la mémoire du président : il a vécu, cest un lieu peuplé de fantômes, de traces du passé.
Cest donc à une poétique virée nocturne, des appartements de Napoléon III à Watteau que ce couple insolite va alors se livrer. Passant du coq à lâne, de lépée de Charlemagne à une scène libertine de Fragonard. Point dhistoire de lart ni de conférence laborieuse, juste loccasion de contempler les uvres, de prendre le temps. Comme dans un discours dadieux, lhomme se souvient, revoit quelques épisodes de sa vie défiler, et samuse enfin, à nouveau, pour une nuit.
Il ne se passe finalement pas grand-chose dans cet album. Christian Durieux choisit lerrance narrative, sans pour autant se laisser aller au hors sujet. Avec ses héros, et en accord avec ce que se doit dêtre une visite dun musée en général, et du Louvre en particulier, lauteur décide de se perdre, de se laisser aller. Quoi de mieux que de voguer de salle en salle - de nuit - et de se laisser capter par un regard, un marbre, un objet, quitte à oublier derrière soi certains chefs duvre. Cette dernière parenthèse dans la vie de cet homme dont on imagine une vie passée au sommet, envahie de responsabilités, aura eu pour origine lart et la façon de lappréhender.
Le dessin est dune grande pureté, sans esbroufe. Cest le résultat dun travail minutieux qui ne cherche pas à impressionner, mais tout au service dun récit porté sur lintime, le sentiment, les personnages. Avec sa silhouette unicolore, la jeune femme est comme sortie dun carton à dessin, un sépia devenu vivant. Quant au personnage principal, le musée, il est capté avec précision et minutie (les visiteurs reconnaîtront sans peine toutes les salles traversées), et donne juste envie de sy précipiter une nouvelle fois pour retrouver telle allée, ou redécouvrir cette peinture oubliée.
Depuis le début, depuis la Période Glaciaire, cette collection centrée autour du Louvre na pas donné un seul mauvais livre. Entre cet album de Durieux et le précédent (Rohan au Louvre de Hirohiko Araki), il y a un monde ! Celui dune bande dessinée riche et variée, qui refuse de senfermer dans des questions de genres, de format ou de pagination.
Un Enchantement ? Oui, en effet.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 05/09/2011 ) Imprimer
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