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Bande dessinée -> Science-fiction |
| Simon G. Phelipot Ma'at - Première partie Carabas 2007 / 18 € - 117.9 ffr. / 96 pages ISBN : 978-2-35100-301-5 FORMAT : 24x32 cm Imprimer
Derrière cette belle couverture, ce visage aux traits fins et apaisés se cache une explosion de couleurs et de textures. Un chantier déclaboussures et de flous qui envahissent les pages, ou la rencontre enthousiaste entre Pollock et Turner. Cest un tourbillon de lignes violentes et de taches granuleuses doù émergent des corps longilignes, des visages blafards aux yeux noirs. Cest une suite de petits big-bang graphiques, chaque vignette étant lépicentre dun mini-séisme pictural, dun bouleversement intérieur qui devient vite généralisé. Puis louragan passe, laissant la place à dautres instants au calme trompeur, baignés dans des lumières tour à tour terreuses, bleutées, ou oranges brûlants. Pour recentrer les ébats, la séquence simpose malgré tout, brisant les grandes illustrations démonstratives de ses rigides cadres blancs pour en faire une suite narrative dans laquelle se frayent peu à peu le récit.
Dans la religion égyptienne, Maat est la divinité qui fait régner lordre universel, lentité qui régule les forces du monde et maintient léquilibre et la justice. Lalbum est la transposition du mythe, une fable située à laube de lan 3000 : la jeune Isis, autrefois objet de mystérieuses manipulations génétiques, possède des pouvoirs extraordinaires, capable de résister à toute attaque, enfermant dans son corps dapparence fragile une énergie démesurée. La voilà aujourdhui de retour, messie inattendu et en quête de son amour perdu, le jeune Soh.
Avec une esthétique audacieuse, pour le genre, et un rythme volontairement contemplatif, Simon G. Phelipot, dont cest le premier album, traduit donc dans ces pages lexpression dune force immense, dun pouvoir au-delà du raisonnable. La suite de la série dira si le scénario, pour le moment plus attendu et un peu mince, est sur le même pied dégalité que lébouriffante représentation et ses audacieuses créations. Cest en effet sur la forme que le jeune auteur marque dincontestables points. On pense à dautres artistes du neuvième art qui ont éclaboussé leurs planches de leurs visions hallucinées, Ashley Wood, Sienkiewicz ou McKean. Phelipot est de la même trempe que ces peintres du neuvième art, élaborant des planches de bande dessinée toujours surprenantes et aventureuses. Il nhésite pas à malaxer sa matière, en venant à corrompre les images attendues du genre: ainsi cette autoroute aérienne avec taxis volants, image dÉpinal de Blade Runner au 5e élément ; ici la voie routière devient espace brumeux, traversé de traînées de lumière filandreuse qui sentrecroisent, superbe. Et tout le reste est à lavenant, lauteur faisant peu de cas de la représentation classique, triturant les formes jusquà de savoureux moments suspendus, faisant planer sur ces pages une certaine poésie mélancolique. Laventure est dès lors assez envoûtante et toujours stimulante, pour peu quon se laisse aller à ce rythme un peu lent, flirtant parfois dangereusement il est vrai avec une certaine complaisance. Luvre tire sa densité et son originalité, de ces images colorées et riches ; le travail dun artiste qui prend plaisir à laisser le temps seffilocher, percé çà et là dévocations marquantes.
À la fois magnifique et glacial, voilà un très beau livre, un récit danticipation centré sur lindividu, comme dans les meilleures histoires de science fiction, lorsque les technologies avancées mettent lhumain face au surhomme, bouleversant les certitudes de la physique et repoussant les limites du rationnel. Une expérience.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 11/12/2007 ) Imprimer
Ailleurs sur le web :Le site de Simon G. Phelipot | | |
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