|
Bande dessinée -> Chroniques - Autobiographie |
 | |
Bombardement sous un crâne | | | Felipe Hernández Cava Pablo Auladell Je suis mon rêve Les Impressions nouvelles 2012 / 18 € - 117.9 ffr. / 72 pages ISBN : 978-2-87449-127-6 FORMAT : 24x32 cm Imprimer
On se souvient peut-être de lépisode de Corto Maltese intitulé La Lagune des beaux songes. Hugo Pratt y dépeignait un officier mourant, dont les souvenirs et les rêves se mélangeaient sans distinction entre militaire et privé.
En dépit de la rupture stylistique, cest un peu aussi lhistoire à la base de ce remarquable Je suis mon rêve. Erich Hafner, jeune aviateur nazi, est sauvé dune mort certaine par une paysanne tartare. Autour de ce moment sarticulent les différentes périodes de sa vie, rythmées par la conscience davoir un destin à vivre et un monde à transformer.
Felipe Hernández Cava, un des scénaristes majeurs de la scène espagnole, utilise les mécaniques narratives avec une puissance impressionnante. Les séquences se suivent en dépit de tout ordre chronologique, comme les pièces dun puzzle, reconstituant le parcours malheureux dun allemand du troisième Reich : le couple déchiré de ses parents, lombre de lamant juif de sa mère, ses fantasmagories enfantines de western, la rencontre avec un jeune travailleur soviétique ou encore ses missions militaires.
On peut y reconstituer, comme le suggère la préface, les différentes étapes dun vingtième siècle confus et emporté ; on peut aussi se perdre dans les superbes images de Pablo Auladell, marquant son trait limpide de gris charbonneux et de discrètes trames, mêlés de quelques documents darchives. On peut surtout y retrouver un récit psychologique dune profonde richesse : les errances dun homme comme les autres, à la conscience si troublée quil ne distingue plus le réel de limaginaire, cherchant à reprendre pied.
Dans Je suis mon rêve, il y a être et il y a suivre ; lessence de la pensée et le fil de la narration, limmobilité et le temps. Cest une histoire quon naurait pas pu raconter autrement quen bande dessinée. Dabord parce que les audaces formelles sont pensées par et pour le médium : différents rythmes narratifs (selon les narrateurs qui senchaînent, et les images qui semboîtent) qui se croisent et se dépassent, se rejoignant parfois. Mais aussi parce que le récit construit une cage toute stripologique. Cest un simulacre de temps qui tourne en boucle et qui retient Erich dans un vide concret, comme la coexistence de différentes unités temporelles dans une bande dessinée. Et cest le retour des mêmes images qui forme le vide. Chaque case se répète, toujours proche et toujours différente. « Les jours ne se ressemblent pas. »
Erich est délimité de part et dautre par les contraintes idéologiques et par les lectures de son enfance : la fiction est plus réelle encore que la réalité. Lhomme est son propre personnage, construit dans le regard quont porté sur lui ses parents et ses connaissances. Il rêve dune objectivité totale, qui le ferait un héros de romans populaires, mais aussi de la naissance de sa volonté, dune force subjective et héroïque à la fois. Bien sûr, il ny parviendra pas. Témoin de la grande Histoire, il ne peut pas sen sortir vivant. La seule issue, cest la mort.
Clément Lemoine ( Mis en ligne le 20/04/2012 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La Tour Blanche de Pablo Auladell | | |
|
|
|
|