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Bande dessinée -> Chroniques - Autobiographie |
| Gipi Vois comme ton ombre s’allonge Futuropolis 2014 / 19 € - 124.45 ffr. / 128 pages ISBN : 978-2754810319 FORMAT : 19,5x26,5 cm Imprimer
Vois comme ton ombre sallonge est lhistoire dun homme perdu. Retrouvé sur la plage, suite à ce qui semble être un malaise et envoyé ensuite à lhôpital en convalescence à durée indéterminée. Pour quelques semaines, pour quelques mois. Il sappelle Landi, il a la cinquantaine. Cest un écrivain reconnu. Du moins cétait. Aujourdhui, cest un homme aux propos confus, totalement déboussolé. Qu a-t-il bien pu se passer pour en arriver là, cest tout lenjeu.
Y a t-il un lien avec ce second récit qui souvre quelques planches plus tard ? on y suit le périple dramatique de deux soldats sur le front, pendant la Première Guerre mondiale. Il y a le froid, la boue, la solitude, et la mort partout. Peu à peu, par petites touches, les deux époques se rejoignent et un semblant dexplication apparaît.
Cest une histoire qui nen nest pas vraiment une. Un récit qui ne suit pas une seule direction. On préfère parler dévocations, de scènes mises bout à bout, dinstants éparpillés sous forme de puzzle. La forme rejoint le fond, surtout lorsquil sagit de mettre en scène ce qui semble être un cas de schizophrénie. Les digressions semblent nombreuses, et Gipi sautorise quelques parenthèses (lorigine de linvention de la mitrailleuse automatique ou comment tout à dégénéré à cause dune frustration sexuelle...).Lauteur se plait à bousculer sa narration, donnant au lecteur tous les éléments pour reconstruire ce qui se passe mais sous une forme éclatée, brisée. Pour rendre compte du dérangement psychique de son héros, lauteur brouille les pistes, mélange les voix, et fait se demander constamment ce qui se dit ici, pourquoi et par qui. Cest un moyen efficace pour faire littéralement entendre des voix à son lecteur. Faire lire le délire. Cest aussi un aveu dimpuissance face à la difficulté de raconter quelquun. Lidentité dun homme ne peut se résumer à quelques vignettes et dessins. Il doit y avoir quelque chose dautre qui se glisse entre les lignes, entre les cases. Tout est forcément plus complexe.
Cest le but dune uvre dart de traquer une vérité qui au bout du compte, peut réveiller des émotions. Il y a différentes manières de sy prendre. Gipi ne choisit pas la facilité, ni la ligne droite. Tours et détours, confusion et chaos semblent être au coeur de cette traque de lintime. Il risque de laisser des lecteurs sur le bas-côté mais ceux qui saccrochent à ses roues ne seront pas déçus du voyage. Une virée poétique et belle, originale et forte.
Le dessin de Gipi est à son sommet. Il explose dans toutes les directions. On pourrait parler dun best-of, dune compilation de ses meilleurs moments: il passe du noir et blanc à la couleur avec la même passion, la même fougue, le même amour pour ce dessin qui vit, qui respire qui a une âme. Ses visages ressemblent à des arbres, craquelés, divins, et ses arbres ressemblent à des hommes, vivants, forts. La nature et lhumain intimement lié dans une même vérité, une même émotion profonde. Cest aussi un dessin qui se montre, qui sexhibe en tant que tel et qui ne cherche pas à se faire oublier. Non pas quil soit prétentieux ou excentrique mais il se donne à voir comme ce quil est: le fruit dun travail, dun labeur. Le grain du papier est visible, les taches, les traits de stylos, le dessin qui nest quesquisse. Humain avant tout, dégagé de toute considération quant à la mode, simplement honnête.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 04/02/2014 ) Imprimer
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