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Bande dessinée  ->  Chroniques - Autobiographie  
 

Dans le mille
Baptiste Deyrail   Le Pas de la Manu
Actes Sud - l'An 2 2020 /  28 € - 183.4 ffr. / 232 pages
ISBN : 9782330141028
FORMAT : 26x19 cm
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Attention, chef-d’œuvre. Pour les amateurs d’histoire sociale et de récit fort, ce Pas de la Manu est une réussite, tant sur le plan graphique que de la narration. On entre avec l’auteur, qui a connu ce milieu comme « fils de », dans la manufacture d’armes de Saint-Etienne… Pas le Saint- Etienne des Verts et du stade Geoffroy Guichard non, mais plutôt l’usine où l’on fabrique de quoi tuer, du simple pistolet au char. Et dans cette usine à la fois étrange, gardée par des soldats, et normale, vivent des gens, ouvriers, ingénieurs, employés, contremaîtres, tous dévoués à leur travail ainsi qu’à ses à-côtés, la « perruque », c'est-à-dire les « petits » détournements. Jean est l’un d’eux, ouvrier habile et efficace, taiseux aussi, qui, dans le secret de son travail, réalise, à coup de perruque, un moteur pour son vrai rêve, son bateau. Tout le récit tourne autour de cette histoire, qui, de la fabrication du moteur, jusqu’à sa sortie, relève d’un suspens étonnant. Mais autour de Jean, il y a les autres, tous ceux qui vivent et travaillent, un peuple soudé, une communauté de plusieurs milliers d’ouvriers qui se soutient. On partage le quotidien d’un alcoolique veillé par ses collègues, comme les doutes d’un chef d’équipe réputé peau de vache. On entre dans les bistrots et les cafés, en quête d’une évasion ou d’une bagarre cathartique. Chaque personnage émerge avec ses joies, ses petits calculs, au sein de l’équipe. On se croirait dans une version légère, et dessinée d’un bon Zola, une étude sociale fine avec en toile de fond, une usine « monstre » et une production qui fait débat. Et dans l’horizon, la guerre d’Algérie, la modernité (avec l’arrivée des premières machines outils automatiques), la fin des mines, le statut de l’ouvrier, etc. Un récit immense qui vous prend et vous laisse pantois et souriant.

Car le graphisme va parfaitement à cette ambiance : la technique est singulière, chaque image étant d’abord gravée sur une plaque, puis imprimée à l’aide d’une encre grasse qui donne à l’ensemble un ton sombre, alternant les noirs et les gris. Cela pourrait plomber l’ambiance, mais au contraire, il y a, passées les premières pages et l’accoutumance, une légèreté et une lumière, qui émanent non pas de l’image mais du récit et que le contraste entre les deux accentue. Il y a des images superbes de promenade de nuit, dans une ville sombre et industrielle. On imagine parfaitement les longs bâtiments assombris, les petits matins où les ouvriers arrivent, les soirs de paye avec les épouses dehors, à attendre les billets, et le café qui se profile, pour oublier un peu la vie avec quelques verres. Mais on voit aussi la chaleur d’une solidarité sans faille (ou presque) d’une communauté qui a encore conscience d’elle-même. Une grande bande dessinée sur le monde ouvrier, sans misérabilisme, et avec une tendresse réelle.

Une pépite, un album à découvrir et un récit qui illustre ce qui se fait de meilleur dans l’histoire sociale.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 11/01/2021 )
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