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Bande dessinée -> Chroniques - Autobiographie |
| Craig Thompson Blankets - Manteau de neige Casterman - Ecritures 2004 / 24.75 € - 162.11 ffr. / 582 pages ISBN : 2-203-39608-3 FORMAT : 17 x 24 cm Imprimer
Avant den dire plus sur cet album, autant commencer par lessentiel : Blankets, pavé graphique de près de 600 pages écrit et dessiné par un jeune Américain de 28 ans a tout du chef-duvre. Le futur classique qui ne vieillira jamais, marquant dune croix blanche une certaine tendance de la bande dessinée actuelle, la veine dite autobiographique. Insolence supplémentaire, Blankets est de ces albums susceptibles de plaire aussi bien à ceux qui ne lisent jamais de bandes dessinées quaux acharnés bédéphiles à qui on ne la fait pas.
Craig Thompson raconte donc sa «semi-autobiographie». Quelques souvenirs denfance avec son petit frère Phil, et surtout son histoire damour avec la jolie Raina rencontrée dans un camp paroissial dété, et avec qui il va passer quinze jours. Le jeune homme a été élevé dans une famille chrétienne ultra pratiquante et toute sa vie, jusquà aujourdhui, sera marquée par cette éducation rigide et étouffante. Craig lit un passage de la Bible tous les soirs, et chacun de ses actes est associé aux péchés à ne pas commettre. Cest là le thème central de Blankets : la difficulté dexister sous le joug dune foi trop importante. Craig est marqué par un terrible sentiment de culpabilité qui empoisonne toutes ses actions. Jeune homme malingre un peu gauche et autrefois souffre-douleur de ses camarades plus costauds, il a du mal à se construire, à évoluer au-delà de ses dessins et de ses rêves.
Ce qui fait toute la force et loriginalité de Blankets, cest avant tout sa fausse décontraction qui semble régir tous les niveaux de lalbum. Loin dêtre une longue succession anarchique de souvenirs collectés pour loccasion, lintrigue est minutieusement écrite, élaborée avec une impeccable maîtrise. On parle ici damour, de souffrances, de Dieu, de création artistique, de Socrate, de neige, du temps qui passe et de beaucoup dautres choses encore. Et pourtant, telle la couverture patchwork offerte par Raina, seul souvenir matériel que Craig gardera de cette histoire, chaque motif est indissociable des autres, donnant une couleur particulière à un ensemble défini et cohérent.
Fausse décontraction encore dans le ton adopté par Thompson. Derrière la légèreté apparente du propos (un amour de vacances et des souvenirs denfance), se cache toute une gamme de souffrances parfois juste esquissées, à peine dévoilées, comme ce terrible passage avec le baby-sitter adepte de «blagues» vraiment pas drôles. Thompson raconte son histoire avec une simplicité bienvenue, nen rajoutant jamais dans le pathos. Lémotion surgit alors naturellement, belle et sincère. Lattention aux petites choses, aux gestes simples, aux lieux, fait aussi partie intégrante de cette atmosphère unique, mais sans jamais tomber dans linsignifiant ou le niais. Il y a de luniversalité et un peu de chacun de nous dans cette autobiographie.
Enfin, dans le dessin, il y a à nouveau cette apparente désinvolture dans le trait au pinceau, cachant une redoutable précision, un sens du dessin remarquable et pourtant jamais tape à lil. Thompson ose aussi les mises en page stylisées : les vignettes ondulent, les cadres disparaissent, la case devient la page, le blanc du papier est un décor neigeux, etc. Et tous ces jeux avec la planche qui auraient semblé maladroits ou datés chez un autre, fonctionnent ici à chaque fois. Sans doute parce que dans Blankets, tout semble éminemment honnête et sincère, et que chaque détail, chaque personnage sont justes. Sil fallait trouver un équivalent graphique européen à ce jeune dessinateur américain, on pourrait citer Blutch ou plus encore Frederik Peeters : même graphisme jeté nonchalamment, comme issu dun geste ininterrompu, quelque part entre lécriture automatique et le carnet desquisses.
Après létonnante fausse fable animalière quétait Adieu Chunky Rice (Delcourt, 2002), Craig Thompson frappe donc un grand coup et se place directement parmi les grands auteurs américains daujourdhui. Une uvre magistrale.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 27/03/2004 ) Imprimer | | |
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