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Effets de manche
Alain Ayroles   Juanjo Guarnido   Les Indes Fourbes
Delcourt 2019 /  34.90 € - 228.6 ffr. / 160 pages
ISBN : 978-2-7560-3573-4
FORMAT : 25,3x34 cm
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Ils sont rares, les bédéistes à prendre leur temps entre deux livres. À s’offrir les conditions d’un sans-faute, quitte à se faire attendre, mais pour mieux convaincre à chaque fois. Ayroles et Guarnido ont cela en commun, malgré leurs différences : à ma gauche, le scénariste de De Capes et de crocs et de Garulfo, joyeux inventeur épris de littérature et de morceaux de bravoures ; à ma droite, le dessinateur de , formé à l’école Disney, habitué des records de vente. Le mariage de ces deux talents ne pouvait qu’aiguiser notre intérêt, et le résultat ne manque pas de panache.

Dans Les Indes Fourbes, au sous-titre interminable, Ayroles se réfère explicitement au roman picaresque, ce grand genre espagnol qui fait se succéder les rencontres dans la vie d’un témoin sans lettre de noblesse. Une des grandes formules de la littérature depuis des siècles, mais qui n’est pas des plus conventionnelles en bande dessinée, où le format ramassé des livres a plus souvent tiré les récits vers des aventures en trois actes, des mystères et des intrigues à sens unique. Ayroles et Guarnido prennent donc un parti littéraire et jouent avec les attentes d’un lecteur qui, pendant un moment, ne sait trop si on lui promet une construction à étages ou un voyage désordonné. C’est l’alguazil, un des personnages les plus antipathiques du livre, qui s’en fait le porte-parole en se mettant en rage à chaque digression. Les auteurs plaisantent avec nos nerfs et nous obligent bon gré mal gré à nous laisser aller au plaisir de l’épisode. Et quel plaisir ! Ayroles exploite ses lettres, fait flèche de tout bois par un dialogue subtil et l’évocation de nombreuses scènes typiques. Guarnido se lance tout aussi généreusement dans la peinture des paysages et des communautés, multipliant les effets de caricature et les détails chaleureux. Pour un peu, on croirait lire un de ces livres qui ne tiennent que par la force de leur style, comme le souhaitait Flaubert. Mais ce serait encore trop peu. Les Indes Fourbes s’attachent également à dresser le portrait d’une époque et d’un lieu : l’Amérique du Sud à l’heure de la colonisation. Les premières séquences mettent successivement en images les esclaves venus d’Afrique, les Indiens d’Amérique décimés, la conquête de l’or, les mines d’argent… soutenues par un discours moral qui semble délimiter le bien et le mal. Et brusquement tout change, car les mises en abymes successives et les coups de théâtre nous révèlent à quel point toute littérature est un jeu de dupes. Plus que du roman picaresque, Ayroles et Guarnido s’inscrivent dans la lignée de Don Quichotte, qui servit de première base à leur projet : tout ici n’est qu’ironie vis-à-vis de la fiction et de ses illusions. Le personnage principal se déguise sous des figures multiples, brille, monte au sommet, explose, sans que jamais nous parvenions complètement à deviner ses intentions, sans non plus que nous renoncions à le croire.

Le livre, en avançant, nous révèle les dessous de ses pages précédentes, comme pour démystifier son propre travail. Derrière l’apparente littérature du credo « ne jamais travailler », Ayroles laisse surgir la triste réalité de celui qui ne veut pas mourir de faim, et le discours social vient miner les enjeux moraux du lecteur qui ne sait plus s’il doit ou non condamner son narrateur.
Enfin, Les Indes Fourbes s’ouvrent et se ferment sur les Ménines de Velazquez. Comme dans la célèbre toile, tout ici se résume à un jeu de miroir où le réel et le reflet ne se distinguent plus, tandis que les pauvres quittent la place où ils sont assignés pour se mettre au centre du tableau. Les auteurs donnent un rôle à la littérature : effacer le réel pour lui substituer une autre mémoire, plus riche, mais surtout plus juste, où la naissance n’a plus sa part. Le lecteur, emporté comme un fétu, applaudit.


Clément Lemoine
( Mis en ligne le 23/09/2019 )
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