|
Bande dessinée -> Aventure |
| Yann Edith Basil et Victoria (tome 2) - Jack Les Humanoïdes associés - Les 3 Masques 2003 / 12.35 € - 80.89 ffr. / 48 pages ISBN : 2731662573 FORMAT : 24 x 32 cm Imprimer
Voici quelque temps déjà quétaient introuvables en librairie les trois tomes des aventures de Basil et Victoria, quEdith et Yann avaient fait paraître au début des années 1990. Heureuse politique éditoriale des Humanoïdes associés : après la réédition en janvier 2003 du tome 1, « Sâti » (publié pour la première fois en 1990), cest au tour du tome 2, « Jack », dêtre réédité. Le tome 3, « Zanzibar », sera réédité prochainement.
Rappelons largument : Basil et Victoria sans oublier leur chien Cromwell sont deux enfants abandonnés errants dans le Londres de lépoque victorienne. Lépisode précédent leur avait associé la jeune Sâti, à laquelle les deux héros avaient sauvé la vie, au grand dam dailleurs de Victoria, qui napprécie pas du tout que son fiancé Basil trouve autant de charmes à la petite Indienne. Ce nouvel épisode est également loccasion dagrandir la bande de gosses, par ladjonction dun petit Noir surnommé Kangourou.
Il est surtout loccasion de croquer davantage encore le Londres victorien, à travers une affaire qui na sans doute pas fini de fournir aux auteurs de bande dessinée un motif de scénario : les assassinats de prostituées commis en 1888, et la fièvre qui gagna alors Londres, via une presse populaire en plein essor, à partir de la figure de Jack the Ripper. Loin dinterprétations oniriques de lévénement, telles celles quont magistralement mises en forme Alain Moore et Eddie Campbell, dans leur «roman graphique» From Hell, Edith et Yann proposent ici une lecture classique de lévénement : le meurtrier aurait été le médecin de la reine Victoria, qui aurait cherché à faire le silence sur lexistence dun bâtard du prince héritier, le libertin duc de Clarence.
Mais, contrairement à From Hell, Jack lEventreur nest ici quun prétexte. Ce qui intéresse les auteurs, ce nest pas le fait divers, mais la ville de Londres elle-même, ou plutôt ses bas-fonds, ce «peuple de labîme» dont parlait Jack London en 1902. La capitale de lEmpire (comme dans le premier tome, les références coloniales sont multiples, des Indes au massacre du général Gordon dans Khartoum) apparaît ainsi comme une ville hantée par des fléaux aussi dissemblables que le choléra, dabord, les figures ambiguës de lordre policier, ensuite (Scotland Yard, les «bobbys», la prison de Dartmoor ou le gibet de Newgate) et la rigide morale victorienne, enfin, qui fait de Londres une «Babylone du vice» certes profondément méprisée, mais dont les bourgeois et les aristocrates profitent en même temps honteusement, quil sagisse de leurs déambulations canailles dans le quartier populaire de Whitechapel, au milieu du peuple des prostituées, ou de leur satisfaction à la lecture des sordides faits divers qui sétalent à la une des journaux. Ainsi se dessinent les contours dune cité sinistre, dans laquelle la bande denfants abandonnés apporte une sorte de gaieté terrible, à limage de Basil, gentil héros débrouillard, vendeur de journaux à la criée et chasseur de rats deux pennys par tête.
Certes, ce tableau de la Londres victorienne a des airs de déjà vu, voire de cliché. On peut même repérer quelques erreurs grossières : que ferait encore à Londres, en 1888, un proscrit français du 2 décembre 1851, alors que Napoléon III nest plus au pouvoir en France depuis dix-huit ans ? Comment lécrivain Dickens pourrait-il visiter les quartiers mal famés de Londres en 1888, alors quil est mort en 1870 ? Comment ironiser en 1888 sur lhomosexualité dOscar Wilde, alors quil nest encore quun poète inconnu ? Peu importe : ce petit peu derreur ne nuit pas vraiment à un tableau qui prétend restituer, non la réalité, mais la vérité dune époque. Vérité que traduisent à la fois la dénonciation décalée des inégalités sociales de lAngleterre du XIXe siècle, résumée par la petite Victoria («à mon âge les autres fillettes ont des nounous aux doux genoux et plein de joujoux !
Moi, jai juste des poux !!!
») et la volonté de vivre de ce peuple des bas-fonds, incarnée par lallégresse insouciante des prostituées de Londres sindignant, à propos du duc de Clarence, «dodieuses pratiques françaises quune honnête prostituée refuserait».
La démonstration de cette vérité doit beaucoup, enfin, au talent dEdith. Parler de «coup de crayon», ici, convient parfaitement, tant les personnages et le décor urbain semblent plus crayonnés que dessinés. Les formes sestompent au profit de silhouettes qui semblent surgir du brouillard, inquiétantes jusque dans leurs éclats de rire. Par le trait du dessinateur, une brume semble ainsi recouvrir tout lalbum fog de la ville de Londres, bien sûr, mais aussi allégorie de lénigme finalement irrésolue de Jack lEventreur, et enfin frontière poreuse entre la morale rigide de la société victorienne et les passions troubles qui animaient alors ses membres.
Sylvain Venayre ( Mis en ligne le 07/12/2003 ) Imprimer | | |
|
|
|
|