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Bande dessinée -> Les grands classiques |
| Didier Comès Eva Casterman - Classiques 2003 / 12.50 € - 81.88 ffr. / 104 pages ISBN : 2203397012 FORMAT : 22 x 29,5 cm Imprimer
Les éditions Casterman poursuivent la réédition de leurs classiques de la bande dessinée avec Eva, enrichie dune intéressante préface inédite du réalisateur Jan Kounen («Doberman», «Blueberry») qui éclaire luvre de Comès. Ce dessinateur belge a produit dix bandes dessinées en trente ans. Si Silence éclipse un peu ses autres livres, cette nouvelle édition le replace parmi les grands artistes du neuvième art en permettant de découvrir ou de redécouvrir une de ses uvres majeures : Eva.
Une panne de voiture pousse Neige à pénétrer dans une demeure isolée pour téléphoner. Les propriétaires, les jumeaux Eva et Ives, lui proposent de passer la nuit chez eux et dappeler un garagiste le lendemain. Rapidement, Neige se laisse envoûter par latmosphère inquiétante de cette maison. Ives se dévoue totalement à sa sur invalide et à sa passion : la création dautomates. Neige va simmiscer dans la relation ambiguë quentretiennent les jumeaux. Malgré les risques encourus et poussée par sa curiosité, Neige va vouloir percer leffroyable secret qui les lie.
Sur un scénario classique du genre fantastique la voiture en panne et la découverte dune maison isolée où vivent d'étranges personnes , Comès réalise une bande dessinée passionnante et personnelle. On y retrouve les éléments récurrents de son uvre : lamour, la mort, les forces de la nature, le rêve, la fantasmagorie et lattrait pour des personnages hors normes. Au niveau graphique, on ressent les influences dHugo Pratt et du cinéma expressionniste allemand.
Lesthétisme de luvre frappe demblée le lecteur. Comès utilise le dessin au trait pur avec de larges à-plats noirs dramatisant limage. Le choix du papier glacé de cette nouvelle édition renforce ce fort contraste du noir et du blanc. Lauteur dessine de manière très stylisée. La sobriété du graphisme tend vers labstraction, nous faisant basculer dans un monde étrange, dans une autre réalité, où le fantastique naît du quotidien.
Comès utilise le dessin, la pagination, la structure et les raccords entre ses cases pour nous faire entrer dans un univers claustrophobique. Le rythme hypnotisant de chaque planche, ponctué à intervalles assez réguliers par des intertitres sous forme de pages noires, annihile toute perception temporelle. On ne peut pas dire combien de temps sécoule entre les chapitres, ni combien dure lhistoire dans sa totalité. Laction se déroule en huis clos entre la maison et le jardin. Un fort contraste sépare les extérieurs lumineux des intérieurs très sombres. Les corps et les visages des personnages occupent beaucoup de place dans les cases, où ne sont visibles que les détails nécessaires. De cette sensation détouffement découle un malaise. Les propriétaires de la maison senferment sur eux-mêmes, fuyant la réalité du monde. Comès déstructure lespace par des cadrages de type expressionniste et par détranges perspectives. Il morcèle même les corps, comme on peut le voir sur la superbe page de couverture. En bousculant ainsi espace et temps, il traduit visuellement le déséquilibre mental : les angoisses, le refoulement des pulsions, la fuite de la réalité et la folie.
Son style sert le récit en créant un climat propice à la tension psychologique qui se noue entre les trois protagonistes. Lapparition de Neige remet en question le mystérieux microcosme, le rêve éveillé où se sont enfermés les jumeaux. Mais lorsquon vit dans les faux-semblants, entouré dautomates et de fantasmes, la révélation de la vérité peut être terriblement dangereuse
Près de vingt ans après sa création (1984), Eva reste une uvre fascinante. Sa puissance graphique, la qualité du scénario, la complexité des personnages lui ont permis de ne pas prendre une ride. A (re)découvrir.
Jean-Sébastien de Casamayor ( Mis en ligne le 22/10/2003 ) Imprimer | | |
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