|
Bande dessinée -> Illustrations, graphisme et dessins d’humour |
| Nicoletta Ceccoli Beautiful Nightmares Venusdea Soleil 2010 / 34.90 € - 228.6 ffr. / 136 pages ISBN : 978-2-630201-081-9 FORMAT : 25x27 cm Imprimer
Née en 1973, Nicoletta Ceccoli est une jeune illustratrice italienne peu connue en France, mais pourtant dotée dun grand talent qui explose à chaque page de ce très bel ouvrage.
Dans la lignée de Mark Ryden, Marion Peck ou, plus près de chez nous, Benjamin Lacombe, Nicoletta Ceccoli aligne une suite dimages autour dun monde à la fois enfantin et cruel, où les morales de contes de fée se brisent en morceaux.
Aussi, même pour ceux qui ne sintéressent que dun il au vaste et méconnu monde de lillustration, le style de Nicoletta Ceccoli rappellera certainement quelque chose: ces images mettant en scène des héros aux allures de petites poupées dans des univers fantastiques peuplés de bêtes étranges (entre peluches et dragons), baignées dans des couleurs pastel et des textures granuleuses rappellent inévitablement le travail dautres artistes. À première vue, lItalienne est dans la droite lignée stylistique de Ryden, mais un examen plus attentif fera vite la différence et distinguera ce quil y a ici de singulier. Les images de Ceccoli sont plus douces, nimbées dans des nuages de couleurs qui seffilochent, comme si tout était en train de seffacer peu à peu. Tout est plus flou, plongé dans des atmosphères cotonneuses, a priori plus douillettes.
Dans le monde de lillustration contemporaine, ce genre de travail du surréalisme mâtiné dillustrations jeunesse est encore décrié par les esthètes au goût sur qui regarderont de haut ces images trop figuratives pour eux. Ce sont les mêmes qui crieront au génie devant nimporte quelle bobine, aussi déjà vue soit-elle, de Tim Burton. Allez comprendre. Limportant est pourtant ici de souligner que lon est face à une uvre cohérente, soignée, peut-être académique par moments, mais lacadémisme est parfois tellement plus bénéfique que lamateurisme underground.
Contrairement aux créatures parcourant luvre de Mark Ryden, les petites filles de Nicoletta Ceccoli ne sombrent jamais dans le gore ou lhorreur. Si préjudice physique il y a, il sera toujours suggéré ou pris avant le fait. Ceccoli a ainsi su séloigner du style et surtout de lunivers de ses aînés. Là où Ryden fait couler le sang des yeux, décapite ses jouets ou samuse de croix gammées sur un uniforme rose; là où Marion Peck joue du kitsch et du ridicule, Ceccoli reste dans son univers de coton, un monde rose bonbon piquant. On nest pas pour autant dans le nunuche idiot, on en est même très loin ; il se passe dans chacune de ces images quelque chose de tragique, et le hiératisme des personnages ne fait quaccentuer les drames qui se jouent ici. Quont-elles donc ces petites filles pour avoir lair si grave ? Avec leur regard fixe, un peu triste et déjà mûr, leur petite bouche implacablement fermée, elles ont lair davoir déjà vécu mille vies, elle semblent toujours tiraillées entre deux pulsions contradictoires : la passivité qui les fait dun côté fermer les yeux et se poser en attendant « que ça se passe », et dun autre côté lagressivité et lattaque calculée à linstar de cette petite reine qui orne la couverture, une Saint Michel revisitée à la sauce Ceccoli.
Serait-ce, hypothèse évidente, la figure menaçante du mâle qui rendrait ces filles si soucieuses ? Rien de tout cela : en tout et pour tout, une seule figure masculine traverses ces pages, celle dun petit petit prince ridicule et inoffensif. Et puis, malgré leurs frêles silhouettes, ces héroïnes au teint porcelaine ont lair de savoir se défendre. Alors quoi ? Où est le danger ? On pencherait plutôt vers des petites surs dAlice : celles pour qui lennui devient mortel et pousse aux extrémités. Cest lennui qui les submerge à cette période de la vie, lorsquelles ne sont plus ni petites filles ni encore femmes et que rien ne soffre à elles, rien ne se passe si ce nest, peu à peu, le grignotage de linnocence, le regard des autres qui change, et la perception du monde qui devient complètement autre.
Alice courait après un lapin, les petites de Ceccoli en ont après les abeilles et les bonbons géants. Lunivers de lenfance est tout entier avalé, malaxé, puis recraché brutalement, avec quelques déformations : les insectes que les petits samusaient à torturer innocemment reviennent plus gros et plus menaçants. Les friandises se transforment en forêts, et les poissons rouges ne meurent plus au bout dune semaine mais prennent le pouvoir et se font la belle, les jouets sont les meubles dun quotidien devenu à la fois étranger et ô combien familier. Au final, cest à la fois la cruauté et linnocence de lenfance qui est mise en avant, et tout le travail de Ceccoli revient finalement à mettre en évidence ces contradictions évidentes.
Chacune de ces images révèle un cauchemar mélancolique qui interpelle autant par son évidente maîtrise graphique que par son inspiration cruelle. Derrière cet univers de coton, cest linéluctable qui se joue, le temps qui passe et avec lui linévitable perte. Ces héroïnes de fables amères et de contes de fées morbides ne le savent que trop bien, et renvoient au spectateur ce chavirement cruel, enrobé dans un joli papier délicat qui fait passer la dragée, ou du moins la rend moins piquante.
En début de livre, un petit dessin de Nicoletta, 4 ans. Lartiste donne le ton, ce livre parle et bien denfance envolée, dimages perdues que lon sefforce de retrouver, et dautres gravées à jamais. Le livre parle de ces jouets cassés qui accompagnent un bout de vie, de ces doudous protecteurs, petits machins de tissus aux allures inoffensives mais capables danéantir nimporte quelle menace.
En fin douvrage, cest un collage dimages qui ouvre sur les principales inspirations de Nicoletta Ceccoli : Little Nemo, Méliès, Freaks de Browning, Max Ernst se bousculent entre autres ici. Lartiste peut revendiquer tout cela à la fois : surréalisme, imaginaire et merveilleux sont les moteurs de son uvre, lensemble au service dune poésie à la fois douce et morbide. Le livre est superbe, remplissant à merveille son rôle de conteneur de fantaisie. Une belle couverture cartonnée épaisse, une impression impeccable et surtout une maquette sobre et aérée qui met parfaitement en valeur tous les travaux de lartiste. Louvrage est à feuilleter tranquillement, certaines images interpellant plus quune autre, quelques scénettes accrochant fermement le regard. Cest un plaisir constant, une réflexion graphique sur lenfance qui, lespace dun instant nous fait nous-mêmes redevenir lenfant que lon était, admiratif et béat devant un livre dimages ouvrant sur des mondes merveilleux.
Alexis Laballery ( Mis en ligne le 08/11/2010 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:La Voleuse de larmes de Carol Ann Duffy , Nicoletta Ceccoli
Ailleurs sur le web :Le site de Nicoletta CeccoliLe blog de Venusdea | | |
|
|
|
|