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Rencontre avec François Huguenin autour de l’Action française | | | Entretien avec François Huguenin
François Huguenin, LAction française. Une histoire intellectuelle, Perrin (Tempus), 680 pp., 12 , ISBN : 978-2-262-03571-6 Imprimer
Parutions.com : Que pensez-vous avoir apporté de neuf à la compréhension de lAction française, qui avait pourtant déjà été copieusement étudiée par Eugen Weber ?
François Huguenin : Le travail de Weber, très précieux, concerne le mouvement politique. Il est assez peu orienté vers les idées et cest la limite de son livre. Jai quant à moi voulu étudier lAction française dans le registre de lhistoire des idées, avec comme fil rouge cette question : comment se situe la pensée dAction française dans larticulation entre pensée traditionnelle et pensée moderne ? De ce point de vue, je crois avoir montré, dans la lignée de mon travail précédent sur la pensée réactionnaire et la pensée libérale, Le Conservatisme impossible, que lAction française penche au moins autant vers la modernité que vers la tradition.
Parutions.com : LAF fut excommuniée par lautorité catholique, se montra rétive aux totalitarismes, dénonça le pouvoir de largent et le libéralisme, ne trouva pas de réelle articulation avec la gauche révolutionnaire
Est-ce à dire que cest son non-alignement aux grandes idéologies qui a en grande part signé son arrêt de mort ?
François Huguenin : Je ne crois pas. Cest au contraire ce qui a fait son succès, y compris parce que, dune génération à lautre, on pouvait être maurrassien de manière différente. Larrêt de mort de lAction française se marque en deux temps. Après guerre, elle paye lengagement inconsidéré de ses chefs derrière le Maréchal Pétain, en contradiction avec sa germanophobie et son nationalisme. Depuis les années quatre-vingt, cest son antisémitisme qui tient lieu de repoussoir. Sur un second plan, sa focalisation excessive sur la question de linstitution dans un monde où le politique est de moins en moins puissant nest pas de nature à attirer aujourdhui.
Parutions.com : Vous critiquez à diverses reprises dans votre ouvrage les conclusions de Zeev Sternhell. À quels égards lidée que lAF relèverait dun pré-fascisme «à la française» vous paraît-elle infondée ?
François Huguenin : Sternhell fait un certain nombre de contresens comme interpréter lexpression «possession détat» de La Tour du Pin, reprise par le corporatisme dAction française comme possession des moyens de production par lÉtat, alors quil sagit du mot «état» comme dans lexpression «devoir détat», et qui signifie à vrai dire «possession du fait de son état». À cet égard, rien dans lAction française ne se rapproche de létatisme mussolinien. Dailleurs, comme la bien montré Raoul Girardet, lAction française a, de par son influence, fait barrage à la pénétration du fascisme en France.
Parutions.com : On a tendance à réduire lAF au triumvirat Maurras Bainville Daudet, et parfois même au premier de ces noms. Le mouvement na-t-il pas autant profité que souffert du poids monopolistique de Maurras à sa tête ?
François Huguenin : Comme souvent, Maurras en tant que véritable fondateur de lAF, au sens où il lui donne limpulsion royaliste, est à la fois essentiel et excessif. Essentiel car sans lui, jamais le royalisme naurait eu une telle aura intellectuelle au XXe siècle. Excessif, car il fut tellement vénéré comme un maître que personne ne crut pouvoir contester ses axiomes.
Parutions.com : Parmi les militants de la première AF, lequel pensez-vous qui soit le plus injustement oublié et qui mériterait dêtre redécouvert ?
François Huguenin : Jai envie de citer Pierre Gilbert, tué à la guerre le 8 septembre 1914, qui fut à la fois lun des représentants de la jeune critique littéraire dAction française (un des animateurs de la belle Revue critique des idées et des livres) et un membre du Cercle Proudhon qui tenta le rapprochement avec le syndicalisme révolutionnaire de Georges Sorel. Elégance, audace, engagement : cest là tout le meilleur de lAction française.
Parutions.com : LAF regorgea de hautes figures intellectuelles et littéraires, qui ne rechignaient pas à la polémique ; mais ne manqua-t-elle pas dun tribun, surtout quand, après 1919, elle consentit à se frayer dans laventure du parlementarisme, en présentant notamment des candidats aux élections ?
François Huguenin : Elle avait son tribun en la personne de Léon Daudet, mais lAction française était trop intellectuelle et surtout trop en marge de la politique réelle, malgré son immense influence intellectuelle, pour peser sur le jeu démocratique. Plus fondamentalement, il me semble quelle na jamais voulu le pouvoir, en tous les cas après 1918. Elle na vraiment joué ni la carte de linsurrection, ni celle de la pénétration du système.
Parutions.com : Parmi les héritiers de lAF et de Maurras, vous comptez bien sûr Pierre Boutang. Cette figure naura-t-elle pas contribué plus que nulle autre à la radicale transformation du «laboratoire didées» que fut lAF originelle en champ spéculatif et en pure philosophie, partant en une pensée élitiste éloignée de tout ancrage populaire ?
François Huguenin : Cest mitigé. Boutang, qui était par ailleurs un tribun et un homme de coup de poing, est un immense intellectuel. Il ne pouvait être suivi que par une élite. Il a emmené les royalistes dans la seule voie possible : celle de la pensée, car toute action politique concrète était devenue impossible pour les raison exposées plus haut. Mais il nest pas allé jusquau bout. Il na pas résolu toutes ses propres contradictions entre un attachement filial à Maurras et la vision très fine des impasses de sa pensée.
Parutions.com : LAction française appartient-elle définitivement à lhistoire des idées ou pourrait-elle connaître, à votre avis, un regain dintérêt qui pourrait la voir «ressusciter» ? Qui sont aujourdhui, en 2011, les plumes ou les esprits que lon pourrait qualifier dhéritiers de lAF ?
François Huguenin : Il me semble quen tant que telle, lAction française constitue un trop lourd héritage pour les héritiers éventuels et ce pour deux raison. Dabord du fait des «casseroles» quelle traîne et parce quelle na jamais fait son «aggiornamento». Ensuite parce que son âge dor est tellement brillant quil est incapacitant pour tout successeur. Je ne crois pas quil existe de vrais héritiers de lAction française dans la sphère intellectuelle. Je pense en revanche quun certain nombre de ses idées, et en premier lieu la vigilance face à lincapacité de linstitution démocratique à dépasser les clivages partisans pour agir en fonction du bien commun, peuvent, non pas être reprises telles quelles, mais contribuer à un nouveau questionnement politique, libre et sans tabou.
Propos recueillis par Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 06/12/2011 ) Imprimer
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