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JFK : derrière les images... | | | JFK : un entretien avec Yann-Brice Dherbier et Pierre-Henri Verlhac
Yann-Brice Dherbier et Pierre-Henri Verlhac, John Fitzgerald Kennedy, les images dune vie, Phaidon, 2003. Imprimer
Parutions.com : A quel titre publiez-vous ce beau livre de photographies sur John F. Kennedy ?
Yann-Brice Dherbier et Pierre-Henri Verlhac : Nous avons chacun une formation commerciale. Après avoir suivi lenseignement dune école de commerce, nous sommes rentrés dans le monde de la finance, lun dans la banque daffaires et lautre au sein du département financier dun groupe de cosmétiques. En fait, dès les classes prépa, nous avons partagé le goût de la photographie. En en faisant, en tant quamateurs, et en collectionnant livres et albums. Mais très vite, si lintérêt na pas faibli, nous nous sommes rendus compte que le genre éditorial ne se renouvelle pas beaucoup et que les publications se ressemblent quant à leur format et leur inspiration : des séries autour dun sujet ou des clichés émanant dun même individu artiste. Nous avons voulu faire autre chose : un ensemble de photographies dorigines très diverses illustrant la vie dun homme. Or nous nous sommes aperçus quil ny avait pas de tel livre sur JFK. Certes, il existe à son sujet des albums de photographes particuliers, mais rien qui suive son parcours en lillustrant par des clichés issus de différentes sources. De plus, lhomme est demeuré un mythe, qui passionne les foules. Aux Etats-Unis, il existe à son sujet plus de 30000 sites internet personnels. Faire un tel livre sur lhomme nous est en somme apparu comme une «niche» éditoriale, qui nous a emballés. Nous avons quitté nos emplois pour mener la recherche nécessaire à la réalisation de cet ouvrage et passé environ huit mois dans les collections américaines. Au total, ce livre est le résultat de 18 mois de travail.
Parutions.com : Quels sont les fonds que vous avez utilisés et les documents que vous avez privilégiés ?
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Nous avons beaucoup travaillé à la JFK Library de Boston, à laquelle ont été versées nombre darchives officielles et familiales et qui contient plus de 40000 clichés. Laccès à la collection la moins protégée et la moins secrète est très facile : elle comporte néanmoins 5 à 6000 photographies. Sa consultation nous a laissé une impression de déjà vu. La perle rare est difficile à dénicher. Mais à force darpenter les lieux et de travailler sur place, laccès au reste du fonds sest ouvert à nous : nous avons ainsi obtenu un sésame pour consulter les trésors quil abrite. Soit environ des dizaines de milliers dautres tirages dorigine, chacun dans sa pochette. Inutile de dire quil nous a fallu un temps fou pour les visionner un à un. Mais cétait tout dun coup comme si nous vivions la vie publique du président et les époques quil a traversées. En plus du bonheur de la découverte de perles rares, la joie de tomber sur des images inédites, inconnues, oubliées. Ce bonheur, nous avons voulu le partager : notre sélection comporte plus de 70 inédits, et de très nombreux clichés peu connus.
Parutions.com : Quel est votre rapport aux Etats-Unis ?
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Les Etats-Unis, lun et lautre, nous les connaissions déjà. (Pierre-Henri Verlhac a vécu à Los Angeles et Yann-Brice Dherbier a passé 18 mois à New York, ndlr.) Cest dailleurs au cours de ces séjours prolongés que nous nous sommes rendus compte à quel point JFK là-bas était et restait une icône. Un mythe extrêmement populaire. Cest un peu léquivalent américain de Lady Di. En fait, pour nous, JFK représente dans les têtes aux Etats-Unis «une sortie du politique», la fusion de lidéal et de la politique, en fait lentrée dans le rêve. Le personnage renvoie à la star de cinéma, et sa présidence, cest un peu Hollywood à Washington.
Parutions.com : Quelle option avez-vous choisie pour présenter votre « sujet » ?
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Nous avons recherché le «glamour» Le sujet sy prête. Il la même soigneusement mis en scène. Mais ça a été une sorte de gageure, puisquil sagit de la trajectoire dun homme et dune époque vieilles chacune de plus de 40 ans. Or ce que la consultation des archives nous a montré, cest la très grande proximité que nous, contemporains, pouvons avoir avec ces années 50 et 60 aux Etats-Unis. On na pas limpression dun âge ancien, révolu. Certes, ces photos présentent un caractère documentaire. Mais elles nous ont aussi fortement parlé, nous ont paru très actuelles, très modernes en somme. En fait, nous pourrions les trouver dans des magazines contemporains.
Nous avons privilégié lapproche classique chronologique. Histoire de montrer la formation, litinéraire et les réalisations de lhomme. Et de permettre à chaque lecteur de sy retrouver facilement, étant entendu que chacun connaît le sujet sans pour autant forcément bien le connaître. Donc pas dapproche pointue ou spécialisée, mais une approche générale, par la restitution dun parcours.
A ce titre, nous avons délibérément occulté le débat sur lassassinat de JFK. Cest le sens de la page noire qui figure dans louvrage pour le 22 novembre 1963. Nous navons pas la légitimité pour faire valoir une interprétation plutôt quune autre, nous ne sommes pas des historiens. Or le choix de photographies illustrant lévènement, outre le fait quelles peuvent être particulièrement choquantes, constitue en soi une prise de parti et en oriente la lecture. Qui plus est, ce livre, en sattachant aux images de lhomme, frère, époux, père, politique, président, et en privilégiant le côté «glamour» associé à ces différentes facettes du personnage, recherche une certaine atemporalité. Le choix dune hypothèse explicative parmi dautres risquait de rendre le livre caduc ou obsolète en fonction des rebondissements sur la question et des recherches toujours en cours des historiens. Nous nous sommes donc cantonnés au brillant et clinquant, à limage, qui, elle, existe en tant que telle et de ce point de vue du moins nest guère contestable.
Parutions.com : Précisément, ne pensez-vous pas avoir reproduit le «mythe» du «personnage» Kennedy, et lavoir davantage alimenté, plutôt que davoir réellement suivi «les images dun homme» comme le laisse entendre le sous-titre ?
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Il faut savoir que du temps où il était président, JFK a de son propre chef orchestré ce mythe, et quil est difficile de le détruire, linvalider ou le nuancer à partir des images qui ont été alors prises de lui : il avait un droit de contrôle et de destruction sur tous les clichés le représentant, et il sattelait à ce travail de tri dès 7h du matin. Il ny a pas déchappatoire à la mise en scène du personnage pour les années 1961 et 1963. Et même avant, dans les années 1950, le politicien averti et ambitieux prenait bien soin de contrôler limage quil donnait. Quand il ne le faisait pas, sa famille et son père le faisaient pour lui. JFK est en effet le premier homme politique à comprendre à quel point limage était importante dans la carrière dune personnalité politique. Il est en outre difficile pour ne pas dire impossible dillustrer visuellement la face cachée dun homme, par définition occultée. En loccurrence, cétait matériellement impossible. Et si nous savons quil y avait dans cette mise en scène une large part de propagande, en même temps, nous considérons que cette image existe et quelle a eu un impact sur les contemporains, quelle conserve dailleurs jusquaujourdhui.
Parutions.com : A propos de cette face cachée susceptible de nuancer limage de lépoux exemplaire, quid de ses très nombreuses conquêtes, notamment dactrices ? Ny a-t-il pas des clichés de jeunesse le représentant aux côtés, par exemple, de Gene Tierney ? Le couple modèle ne doit-il pas aussi être relativisé au regard du comportement de Jackie, souvent déprimée, et fort dépensière et capricieuse ?
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Pour le coup, sur ce point, cest sa mère Rose qui a filtré les informations et les images qui pouvaient circuler. Au sein de la famille. Le père de John Kennedy, Joseph, était un grand tombeur de femmes, en particulier un grand consommateur de stars dHollywood, milieu avec lequel il entretenait toutes sortes de relations qui étaient loin de nêtre que financières. Rose, sa femme, et mère de «Jack», ne voulait pas entendre parler de ses conquêtes, sujet de rupture potentielle. Aussi le nom et le visage des actrices passaient-ils pour sulfureux et étaient littéralement proscrits à la maison. Or linterdiction qui avait pour origine le comportement du père valait aussi pour les fils, qui menaient eux aussi en la matière une sorte de partie de cache-cache avec leur mère. De fait, les photos qui présentent JFK avec des actrices célèbres sont tellement «léchées» quelles nous sont apparues sans grand intérêt. Cest ainsi quon peut le voir dans des studios, entouré de visages variés, en fait comme noyé. Ou même, les photos le montrant avec Marylin au Madison Square Garden en mai 1962 sont prises de telle sorte que JFK et lactrice ne sont jamais seuls. Nous avons reproduit un des clichés de lactrice, seule sur la scène lançant «Happy Birthday Mr President» comme un clin dil à ces fréquentations (p.174).
De même, les clichés illustrant Jackie en maîtresse de maison, en hôtesse dhonneur en habit dapparat ou de gala, en ambassadrice de charme lors de ses voyages à létranger, comme au moment de sa somptueuse visite en Inde en 1962, avec ses belles tenues sans cesse renouvelées indiquent son bon goût, qui est aussi un goût du luxe et renvoient à ses folles dépenses. Aux pages 251, 257 et 259, on la voit aussi triste et isolée, ce quelle était souvent. Reste que cette très belle femme élégante et cultivée a apporté elle aussi son aura à limage que les Américains se faisaient de la Présidence, la renouvelant et rehaussant. Pour les Américains, cétait un couple en tous points princier qui était à leur tête. Un couple idéal, jeune, beau, riche. Comme au cinéma. Et dans les têtes, cest cette représentation qui demeure.
Parutions.com : Comme vous le signalez dans votre commentaire, JFK était un homme en mauvaise santé depuis sa plus tendre jeunesse ; il souffrait même de nombreuses et graves maladies. Il avait souvent du mal à se déplacer. Pathologies lourdes, accident de guerre en 1943, interventions chirurgicales multiples : nexiste-t-il pas des clichés le montrant avec des béquilles ou dans un lit dhôpital, loin de limage du fringuant quadragénaire, dynamique et toujours en mouvement ?
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Là encore, on se heurte au filtre présidentiel, et au contrôle exercé par sa famille. Certes, nous aurions pu montrer des images plus figées de sa présidence, mais il nous a fallu aussi tenir compte du format du livre et de la contrainte du nombre de pages, 250 photographies. Ca a été dailleurs une contradiction énorme entre le sujet, le personnage dune part, et dautre part le contenu, les limites en volume à lui donner. En fait, quelques clichés indiquent ces fragilités : pp. 40-1 et 43, on voit un jeune homme maigre, émacié, portant même un sparadrap (également p.94), qui na rien à voir avec lathlète quil était quelques années plus tôt (p.39). Citons aussi la photographie de sa belle-sur laccompagnant dans une limousine au retour de lhôpital (p.151). On aurait pu le montrer avec des béquilles en 1944 ou présenter Jackie à son chevet au milieu des années 1950, ou encore signaler le monte-charge que parfois il utilisait à la montée ou à la descente davion, mais là encore, cela aurait été au détriment dautres clichés. Il a fallu faire des choix. Et puis, à nouveau, il ne sagissait pas pour nous dentrer dans la polémique et les débats sur la gravité des maux dont il souffrait. Nous navons pas non plus voulu effectuer un reportage à la manière des paparazzi sur la vie cachée de lhomme. Nous avons suivi les images produites à son sujet, publiées ou non, officielles le plus souvent. Donc filtrées. Pour suivre son parcours et brosser sa biographie. Enfin, des considérations esthétiques nous ont motivés. Dans les choix que nous revendiquons entre en ligne de compte notre propre plaisir damateurs : nous avons également privilégié langle de vue, la qualité de la photographie, le graphisme, la sensibilité du photographe
Encore une fois, 250 clichés, cest peu sur le sujet, et cela implique des choix drastiques.
Pour faire le lien avec la précédente question, signalons que gravement malade depuis son plus jeune âge, JFK a décidé très tôt de croquer la vie à pleines dents comme sil ne devait pas vivre vieux. Il a donc multiplié les conquêtes. En outre, les médicaments quil na pas cessé de prendre ont dû avoir des effets sur sa libido. Mais nous le répétons, ce nétait pas là lobjet de notre travail.
Parutions.com : Sagissant des campagnes électorales, on ne voit que le folklore et la foule des élections américaines, ainsi que la détermination dun candidat jeune et énergique ; mais JFK, comme tout homme politique, ainsi que la montré le photographe Jacques Lowe par exemple, ne rencontre parfois que très peu de sympathisants lors de ses premiers meetings de 1960 : nauriez-vous pas pu le mettre en scène en proie au doute, à lhésitation, à la solitude aussi ?
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Cest un peu le sens de la belle photo de campagne p.103, où napparaît que lombre de JFK sur lestrade. Evoquons aussi celle p.142 où lon voit un agent de sécurité de la Maison Blanche surveiller une allocution télévisée derrière des rideaux, avec des rangées de fauteuils vides au premier plan. On aperçoit également le sénateur candidat seul ici et là, au cours de ses voyages par exemple (p.95). Par ailleurs, nous avons, pour des raisons esthétiques, évité les clichés statiques. Là encore, les considérations esthétiques lont aussi emporté parfois : par exemple, dans le cas du splendide portrait de lharangueur de foule sur fond de drapeau au vent (p.105). Ajoutons une fois encore que nous navons pas voulu porter ombrage à la mémoire de lhomme, dautant que sa fille est toujours vivante. Il y a suffisamment de gens qui se chargent de le faire et de détruire le mythe.
Parutions.com : On ne voit pas beaucoup lentourage de JFK, ses conseillers, le groupe dexperts quil a entraînés à sa suite à la Maison-Blanche. Est-ce pour coller à lhomme exclusivement ? Le mythe du moderne «Camelot» ne va-t-il pas pourtant avec lidée quil est accompagné de «the best and the brightest» ?
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Quelques photographies le montrent entouré de conseillers, au Congrès (p.92) ou pendant la campagne dans un avion (p.96), puis, une fois président, lors de la crise de Cuba (p.213), en 1963 (pp.214 et 278) ou en pré-campagne, sur un tarmac à Portland, Oregon (p.264). Il nétait pas question de faire croire que les décisions de lhomme politique émanaient de lindividu seul, au mieux guidé par ses frères. Nous avions donc pensé prendre quelques photos des «inaugurations» de ministres, mais ces clichés sont assez «lourds», avec leurs brochettes de costumes noirs prêtant serment. Et puis, quel secrétaire ou conseiller choisir plutôt quun autre ? Le risque était celui de la redondance. Là encore, les contraintes de place et de volume, ainsi que les motivations esthétiques expliquent cette sélection. Pour rendre compte de la complexité du personnage, et des difficultés de son mandat, il aurait fallu un deuxième tome. Notez que lors des réunions et des conseils au sommet, daprès les photographies que nous avons consultées, laimant, cest bien JFK.
Parutions.com : On voit assez peu le contexte social et politique : par exemple, lors de la jeunesse dorée de JFK, le pays connaît la plus grave crise économique de son histoire ; au tournant des années 1960, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes que sont les Etats-Unis. La pauvreté sévit toujours, comme lintolérance dont a pu souffrir le candidat, et le racisme et la ségrégation contre lesquels le nouvel élu a bien hésité puis eu du mal à combattre. De même, on ne voit pas beaucoup les difficultés auxquelles sest heurté le président : lopposition larvée du Congrès, les interrogations au sujet de la politique des droits civiques et les obstacles apposés à sa mise en oeuvre. Par ailleurs, les débuts de lintervention au Vietnam ne font lobjet que dun cliché.
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Lenfance heureuse nous a paru devoir figurer, au détriment du contexte, connu, parce que les clichés que nous présentons, eux, ne le sont guère. En outre ils sont superbes ou surprenants. Ainsi des photos de classe, ces souvenirs de grande famille unie, ces bribes du «tour dEurope» entrepris en 1937, avec ses images de France, dItalie, des Pays-Bas, et même plus tard dEgypte. Ainsi aussi des photos de vacances en Floride ou dans le Massachusetts, et plus tard des loisirs présidentiels, de lappel de lOcéan et du goût des régates. Outre leur beauté plastique, ces photos sont à la fois pénétrantes et parfois empreintes dun mystère troublant. On a souvent limpression à leur vue que lhomme quelles immortalisent entrevoit son destin.
Plus généralement, à propos des difficultés rencontrées, pour retracer lensemble du parcours de JFK et le resituer dans ses différents contextes, il faudrait plusieurs volumes. Quant aux photographies officielles, elles proviennent des tirages autorisés, où pour des raisons de marketing politique, il est peu question des problèmes qui dérangent. Au sujet de la déségrégation en particulier, nous ne voulions pas nous engager sur le terrain politique ou plutôt politicien et faire lapologie du Parti Démocrate. Ou évoquer ses divisions. A propos des mesures prises par lAdministration comme à propos de labsence de mesures, que ce soit pour les Peace Corps, la pauvreté, les initiatives économiques, le Vietnam, autant de sujets de débats, nous avons privilégié la neutralité du propos et cherché à surfer sur la vie de Kennedy. Nous nous adressons aussi, par le biais de la Maison Phaidon, aux lecteurs britanniques et américains. Par conséquent, nous avons recherché léquilibre des points de vue en matière politique. Notre projet est en effet datteindre un large public, en lui donnant dans ce livre un plaisir visuel et un contenu historique. Sans que pour autant il soit catalogué dans le rayon «Histoire». Aux spécialistes les critiques, bilans, pesées. Ce que nous avons voulu faire, cest plus dun document sur un homme et lépoque quil reflétait, même si le reflet pouvait être biaisé. Nous navons pas voulu produire un énième ouvrage photographique sans intérêt historique, mais nous navons pas non plus voulu «tomber dans le pointu». Doù cette poursuite dune sorte de double légitimité, visuelle et documentaire.
Parutions.com : Comment expliquez-vous limportance et la prégnance du «mythe Kennedy» dans lAmérique daujourdhui ?
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Les photos de lhomme montrent bien la capacité quil a eue de projeter une image, peut-être décalée, mais saisissante et toujours actuelle, de léternelle jeunesse, de lintelligence, du charme et de la séduction. Il symbolise lAmérique de labondance et de la prospérité, loptimisme et la foi en le progrès. Il la fait renouer, après des années dites dassoupissement, avec ses grands idéaux davancées, de dépassement et de frontière. Bref, il détermine et incarne un nouvel élan en lequel lAmérique non seulement se reconnaît mais se retrouve.
Le clan joue aussi en sa faveur. Il donne limage dune famille européenne qui a réussi, malgré les oppositions (et lorigine plus ou moins douteuse de son immense richesse). La success story de cette famille dorigine irlandaise et catholique, cest lincarnation de l«American Dream». En outre, le clan subit des épreuves et impose des règles, dont chacun des membres a souffert : lambition du père, la mort du frère aîné promis aux plus hautes fonctions, le relais transmis au cadet, voici autant de marques, détapes et de passages dun parcours initiatique ; cette épopée, qui plaît, recouvre la dimension du mythe, actualisé et modernisé. Dautant que ses acteurs semploient à dépasser leur héritage : JFK comme ses frères ont cherché et réussi à se démarquer de linfluence très forte et pesante du père. Là encore, ce sont des épisodes et des expressions de personnalités qui évoquent la saga familiale et captivent. Et puis, le clan, cest la famille, dans le contexte des années 1950 où son modèle traditionnel demeure une valeur clé.
JFK projette aussi limage de la Nouvelle-Angleterre, cest-à-dire dune sorte délégance, de raffinement un peu intellectuel, et de proximité avec lAncien Monde notamment britannique, référence qui a longtemps donné le la en Amérique. Regardez les jeunes Kennedy : ils ont comme un physique dAnglais, une aisance innée. Cest un peu les racines européennes WASP, quand bien même elles ne le seraient pas tout à fait, quils incarnent dans une Amérique qui les reconnaît et valorise encore fortement. La déconstruction de ce modèle, le multiculturalisme, la revendication de lethnicité et des différences nen sont alors quà leurs balbutiements. Laura et le charme de ce physique «Nouvelle-Angleterre» et même tout simplement «British» a disparu. Aujourdhui dailleurs, ces caractères très marqués ne passeraient pas, ils ne séduiraient plus.
Le côté «glamour» interprété avec brio par les époux joue aussi à plein. Pour les Américains, la façade présentée par le couple, cest un film hollywoodien en «live». Les gamins qui jouent dans le bureau ovale (et même sous le bureau présidentiel) ou dans les jardins de la Maison Blanche, cest un rayon de jeunesse et de fraîcheur dignes des plus beaux scénarios. Nous navons pas présenté le trampoline sur la pelouse ou la cabane dans les arbres du jardin, mais des scènes danniversaires, de fêtes ou de jeux familiaux. Et de complicité entre le père et sa fille et / ou son fils. Ce script fascine lAmérique du baby-boom, il symbolise le ménage rêvé. Dautant quil apparaît après un long épisode plutôt sombre : les années 1950, du point de vue de la politique générale ou tout simplement de la Maison Blanche, nont rien de «fun».
Il convient aussi de tenir compte de la mort tragique du président, de linterruption brutale de la jeunesse, et, comme dans les récits antiques, du destin de la jeune et belle veuve. Le parcours ultérieur de cette dernière, son mariage avec J. Onassis, lhomme le plus riche de la terre, et les épreuves successives éprouvées par la famille prolongent jusquà aujourdhui la dimension du mythe.
Parutions.com : Pensez-vous quil existe aujourdhui un équivalent aux mythe et clan Kennedy , les deux paraissant liés comme vous le signalez ? Peut-on évoquer lexistence dun «clan» Clinton ou Bush ?
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Par rapport à B. Clinton, la différence est dans laccent, la manière : les Kennedy, on la dit, sont «British». B. Clinton incarne lAmérique profonde, et fière de son américanité un peu vulgaire ou populaire, en même temps quil symbolise la génération «cool» du baby-boom. Il y a loin de la Nouvelle-Angleterre
Mais cest aussi un représentant de la génération Kennedy. Comme on le constate pp.240-1, il a rencontré JFK en 1963, et peut se revendiquer sinon de sa paternité du moins de son héritage.
Sagissant des Bush, la différence est aussi largement dans laccent, le physique et la manière, même si le père a un côté Nouvelle-Angleterre très marqué (qui la desservi dailleurs). Mais surtout, à leur sujet, ce sont les réalisations quil faut considérer. Certes, JFK a dû gérer des situations de très forte tension, et faire preuve dune grande fermeté, mettant le monde au bord de la guerre nucléaire, comme à propos de Cuba ou de Berlin, mais ce quon retient à présent, cest surtout son uvre en faveur de la paix, du désarmement, et en tout cas de la détente. Il y a aussi la recherche de consensus avec les Alliés, un multilatéralisme qui fait long feu actuellement. Or la collusion Etat-industrie militaire flagrante sous G.W. Bush, avec tous les profits réalisés par ses collaborateurs na rien à voir avec le temps et lentourage de Kennedy. Pour nous, il ne sagit pas du tout des mêmes types de clan.
Parutions.com : Même si du temps de Kennedy, le complexe militaro-industriel dénoncé par son prédécesseur D. Eisenhower lors de son message dadieu, ne cessait de prendre du poids et de se faire influent. Au point peut-être dengager peu à peu le pays dans le conflit vietnamien.
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : En outre, JFK a pris soin de se démarquer de son père, notamment des penchants extrémistes de droite que ce dernier avait pu manifester. Il la dailleurs tenu à lécart une fois quil a accédé au sommet de lexécutif. Dans le cas de G.W. Bush, on a limpression que ce que son père na pas fini, cest à lui de le faire, voire quil obéit à ses injonctions.
Parutions.com : Toutefois, force est de constater les différences dopinion et de stratégie entre le 41 et le 43ème Présidents. «W» semploie à éviter les erreurs politiques de son père
De ce point de vue, son mandat se démarque nettement de celui de «H».
A propos des extraits des discours qui ponctuent louvrage, comment avez-vous opéré vos choix ?
Y-B. Dherbier et P.-H. Verlhac : Nous avons sélectionné des extraits de ses discours les plus célèbres ou populaires. Il y a un certain nombre de phrases incontournables. Ainsi nous avons reproduit le manuscrit de son allocution dinauguration, avec la légendaire : «Dont ask what your country can do for you, ask what you can do for your counrty.» Nous avons aussi été surpris de voir à quel point il sétait rendu populaire à Berlin, à lissue de sa mémorable intervention de 1963. Une salle du musée de Boston présente en continu son discours «Ich bin ein Berliner» : il faut voir comment il fait monter la pression jusquau moment où il lâche cette petite et si grande phrase. Cétait comme à présent lors de grands concerts. Le rayonnement que sa personne dégageait était proprement immense. Dans pareilles conditions et avec pareille maestria, lovation était inéluctable. Nous avons visionné un grand nombre de vidéos, dont beaucoup sont splendides, et son charisme nous a à chaque fois surpris.
Il convient de souligner lincroyable aisance dont il faisait preuve. En particulier lors des conférences de presse, quil a multipliées, et quil a été le premier à rendre publiques, en direct, sans aucun différé. Il établissait un véritable jeu avec les journalistes, et la succession des questions et des réponses constituaient autant de mouvements daikido dont il était comme le maître duvre : il renvoyait lénergie du journalisme avec une fluidité et une aisance exceptionnelles. Dailleurs, les salles étaient captivées, béates. Cétait une véritable présidence spectacle, un show idéal pour la télévision. Il est de façon évidente le 1er «Président télévision». Dailleurs, le timbre de sa voix, une sorte daccent un peu nasillard et avec des intonations légèrement irlandaises, enfin le mouvement de sa bouche avec des dents un peu en avant passaient parfaitement à lécran. Il le savait et en jouait. Cétait un séducteur. Il savait mettre une foule sous son charme. Notamment en préparant des bons mots et saisissant loccasion de les placer. Lors de sa visite à Paris en mai-juin 1963, daprès ce que nous avons vu, il avait réussi à faire rire aux éclats des salles entières. Il savait retourner ses auditeurs comme de très rares individus peuvent le faire.
Nous avons aussi appris à décoder sa grammaire gestuelle, grâce aux commentaires et à la grille de lecture proposés par son porte-parole, P. Salinger : sil se tapotait les dents, cest quil sennuyait
A la fin de louvrage, nous avons évoqué cet aspect anecdotique et très humain du personnage avec les magnifiques photos de lagence Magnum, qui de fait présente sans conteste un autre regard sur lhomme quil était (pp.280-3).
Pour les raisons déjà évoquées, nous avons préféré terminer sur limage du fauteuil de dos, plutôt que de montrer des pièces à conviction, comme lune des balles tirées à Dallas, ou le corps nu du président défunt. Cela nous a semblé plus digne de lhomme que nous avions appris à respecter et admirer. Et puis participer de ce que nous voulions rendre, le mythe quil a incarné et incarne manifestement toujours sur quoi les événements conjoncturels nous semblent encore glisser sans réelle prise.
Propos recueillis le 22 décembre 2003 par Adrien Lherm ( Mis en ligne le 23/01/2004 ) Imprimer
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