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Histoire & Sciences sociales -> Poches |
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Incorrect (au sens premier du terme) | | | Stéphane Giocanti Une histoire politique de la littérature - De Victor Hugo à Richard Millet Flammarion - Champs 2011 / 9 € - 58.95 ffr. / 333 pages ISBN : 978-2-08-124956-1 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en septembre 2009 (Flammarion) Imprimer
Biographe hors pair de Charles Maurras, Stéphane Giocanti publie cette fois un ouvrage qui en contient dix, peut-être cent en germe, et savère au final très décevant. Partant du constat (qui reste dailleurs à prouver) que «dans aucun autre pays du monde, le mariage de la politique avec la littérature na été célébré avec plus de pompe [
]», Giocanti propose déclairer les relations étroites entre lécrivain français et le pouvoir. Il déploie un fatras de références, de noms et de titres, quil coule vaille que vaille dans les moules dune quinzaine de catégories élastiques et poreuses à souhait.
Il est certes indéniable que les prosateurs des deux derniers siècles, de gauche ou de droite, quils fussent suiveurs, opposants, opportunistes, trublions ou apparatchiks, ont souvent pris soin de se positionner par rapport au régime sous lequel ils vivaient. Les contours du projet de Giocanti apparaissent cependant assez flous dès le moment où il prétend, grâce à ce «livre aventurier», dépoussiérer les visions sclérosées des manuels scolaires et des ouvrages historiques. Louable ambition, qui requiert hélas de solides moyens et, sous ses dehors de décloisonnante fraîcheur, un minimum de rigueur pour tenir debout. Ne défrise pas les perruques de Lagarde et Michard qui veut.
Comme pour se persuader quil pouvait écrire de lhistoire littéraire générale, Giocanti se met à évoquer des personnages et des épisodes archi-connus, confer louverture où sont relatées les engagements de Hugo et de Zola. Il sy hausse au niveau dun passable vulgarisateur, accès de subjectivité en sus. Et les fioritures dont il adorne les données brutes quil amoncelle relèvent davantage du bavardage que de la réelle analyse.
Le sautillement discursif constitue lun des défauts majeurs de cet essai, dont les chapitres prennent des allures dauthentiques «Cherchez lintrus». Dans la section réservée aux Courtisans, on démarre avec Valéry et on aboutit à
Erik Orsenna, après avoir successivement rencontré en chemin le versatile Claudel, une succincte brochette de collabos et Mauriac ! Chez les Fonctionnaires et Schizophrènes (!), les ambassadeurs Morand, Gary et Rufin cèdent sans transition la place aux enseignants (des écoles comme des universités), dépeints en créateurs étouffés que torture ce dilemme : signer une uvre novatrice et tapageuse tout en servant lÉtat sans faire de vague
Le pinacle est atteint lorsque lon aborde Céline, classé parmi les Faux maudits. Giocanti rappelle à raison que cette figure est réhabilitée et encensée par des auteurs ou des critiques envieux de son envergure, et qui se placent sous légide de cet immense spectre en nourrissant le fantasme de se voir imprégnés du soufre quil dégage. Mais les pages que Giocanti lui consacre sont tout bonnement affligeantes. Maints passages ne valent que si on les parcourt à la hâte ; mieux vaudrait les éluder car sy attarder en fait apparaître lincongruité absolue. On lit ainsi que (on souligne, eu égard aux yeux distraits) «lécrivain relève à la fois de lanarchisme de droite et de la psychologie de gauche», une discipline à inventer. Bagatelles pour un massacre est caractérisé par, sublime et sibyllin oxymore, sa «compassion exterminatrice». Céline était animé dune «paranoïa antisémite, qui lui fit assimiler le monde entier au Juif, jusquà se qualifier de Juif lui-même» (en quels termes au juste, dans quel contexte précis et avec quelle intention sous-jacente, voilà ce quil aurait fallu expliciter). «Linfâme génie est entré dans la collection de la Pléiade en 1974» : caramba, encore raté ! Cétait en 1962, un an après sa mort. Le pseudo-pamphlet dAndré Rossel-Kirschen est invoqué comme lun des démontages de la «falsification autobiographique» célinienne, alors quil mérite de figurer, au palmarès des navets, parmi les cinq essais les plus ineptes jamais commis sur lauteur du Voyage. Céline aurait donné plusieurs contributions à LEthnie française de Montandon, ce qui est faux, sur-faux et archi-faux, puisquil ny signa rien du tout, pas même une de ces lettres fulminantes et délirantes comme il en adressa à divers journaux ultras. Et sa préface à létude (jamais éditée) dArmand Bernardini sur les patronymes juifs, si elle a bien existé, est irrémédiablement perdue ; autant gloser sur la folie dArtaud à travers trois poèmes égarés et de composition incertaine, alors que lon a sous le coude trente volumes duvres qui en attestent noir sur blanc. Dans une formule que lui aurait jalousée le pharmacien Homais, Giocanti conclut : «Le cas Céline a de quoi occuper la conscience littéraire et morale pour longtemps».
Comment, après une telle pêche de perles métonymiques, prêter crédit aux stations de cette «promenade inédite dans lhistoire littéraire» ? Grappillons la pudique reformulation des propos tenus par Genet dans Notre-Dame des fleurs, jubilant devant «la force mâle des blonds donnant la fessée aux pauvres crétins français», alors que lauteur des Bonnes comparait lexode de 40, non à un châtiment corporel pour gosse capricieux, mais à une sodomie à dimension nationale. Ou encore linénarrable classement de lantimilitarisme de Darien ou de Descaves au rang des «petites causes», aux côtés de la défense des droits homosexuels et
de lamour inconditionnel que Colette vouait à ses chats ! Enfin, face à langélisme triomphant de cette information convexe, qui semble justifier en creux le peloton dexécution pour les vilains méchants pas beaux : «Pascal Bruckner fournit lexemple dun écrivain charitable, puisquil a été membre du conseil dadministration dAction contre la faim» ; le coup de grâce est porté. Toute rate saine devrait définitivement se dilater ici.
À moins de se convaincre que la sympathie quil éprouve envers un auteur a dû, de-ci de-là, insuffler une once de qualité à la démonstration de Giocanti, on sen tient à lidée quil a voulu trop embrasser, et quil a donc fort mal étreint. À refaire.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 22/03/2011 ) Imprimer | | |
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