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Histoire de la Nouvelle France | | | Gilles Havard Cécile Vidal Histoire de l'Amérique française Flammarion - Champs 2008 / 13 € - 85.15 ffr. / 731 pages ISBN : 978-2-08-121295-4 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en septembre 2003 (Flammarion).
Edition revue et corrigée.
L'auteur du compte rendu : Hugues Marsat, agrégé d'histoire, est enseignant dans le secondaire. Il mène parallèlement des recherches sur le protestantisme aux XVIe-XVIIe siècles. Imprimer
Que reste-t-il du premier empire colonial de la France, dépecé au traité de Paris de 1763 ? Pour les Français, des îles autrefois à sucre et toujours au vent, des noms dans la mémoire nationale ; de lautre côté de lAtlantique, les traces nen sont pas moins réelles pour ceux qui parlent une langue qui est encore celle de Molière et dont laccent nous prête à sourire sans méchanceté aucune, ou qui portent des noms dont lorigine ne permet aucun doute. Mais avant la guerre de Sept Ans, la majeure partie de lAmérique du Nord était revendiquée par le Roi de France. Cest cette Amérique méconnue, où la monarchie française espérait construire une nouvelle France, que Gilles Havard et Cécile Vidal, prenant la suite du regretté Philippe Jacquin, nous invitent à découvrir, laissant de côté les Antilles à lévolution différente.
Quon ne sy trompe pas cependant. Histoire de lAmérique française nest pas une énième narration de la geste coloniale, une succession de faits détachés des hommes qui les font, pas plus quelle nest une accusation, un livre noir du colonialisme. Son projet est autre, bien plus ambitieux et scientifique : une réconciliation des «deux tendances majeures de lhistoire coloniale : lhistoire diplomatique, militaire et économique (
) et lhistoire socioculturelle attachée à létude des populations allochtones et autochtones du "Nouveau Monde"», létude dun vaste projet dont les objectifs ont pu varier au grès des monarques et de leurs ministres, et qui finalement a été sacrifié au profit de la conservation des Antilles, au sucre alors plus rémunérateur.
De fait, sans être oubliée ni négligée, lhistoire diplomatique et militaire borne louvrage. A un bout, les grandes découvertes du XVIe siècle, temps des tâtonnements, (chapitre 1), et les étapes de la colonisation (chapitre 2) fixent les nécessaires jalons de lextension spatiale, uvre des Cartier, Champlain, Cadillac et autre Cavelier de la Salle, prenant ainsi la mesure dun espace dilaté et disparate sétendant de la froide Acadie, devenue Nouvelle-Ecosse, à létouffante Louisiane, en passant par la vallée du Saint-Laurent, les Grands Lacs et le bassin du Mississippi. A lautre bout, un empire seffrite plutôt quil ne choit (chapitre 12) entre le traité dUtrecht (1713) qui le prive de lAcadie, Terre-Neuve et la baie dHudson, et le traité de Paris déjà cité, dans lequel disparaissent le Canada français et la Louisiane, cédée à lallié espagnol pour compenser la perte de la Floride. Lespoir ne fut cependant jamais abandonné de voir renaître la Nouvelle France dans le demi-siècle qui suivit (chapitre 13).
Dans cette immensité viennent se diluer les institutions et le pouvoir royaux (chapitre 3), qui administrent les colonies, divisées en cinq gouvernements, comme des provinces de France, sur lesquelles le gouverneur général et lintendant de la Nouvelle France, siégeant à Québec, sont censés exercer leurs autorités. Vient surtout se diluer une population multiethnique (chapitre 4) composée dIndiens durement éprouvés par le choc épidémiologique, dEuropéens arrivés en petits contingents et, en Louisiane pour lessentiel, dAfricains réduits en esclavage. De cette immensité et de sa faible densité de peuplement procède loriginalité du colonialisme français en Amérique du Nord.
Cécile Vidal et Gilles Havard mettent donc un soin particulier dans létude des rapports entre les différentes composantes de cette société, de la nécessaire alliance avec les Indiens (chapitre 5), indispensables pourvoyeurs de fourrures et défenseurs contre lennemi anglais, qui appellent Onontio (Grande Montagne) le gouverneur du Canada, et le considèrent avec le roi son maître comme un père nourricier et protecteur, symbole ambigu, les deux cultures nayant pas la même conception en matière dautorité parentale (p.178). LAmérique française est un monde franco-indien (chapitre 6), ce que ne furent pas les colonies anglaises à la même époque.
Louvrage donne loccasion de dépoussiérer et soumettre à la critique historique la fameuse thèse du génie colonial français, diamétralement opposée à lattitude des colons britanniques face à lindigène. Par bien des points, ces chapitres sont les plus révélateurs du livre, tant par les éclairages quils procurent sur la vision des Européens par les Indiens que par ceux quils donnent sur la conception dune société idéale entretenue par la monarchie absolue. La Nouvelle France, laboratoire de labsolutisme ?
De cette originalité résultent des colonies faiblement urbanisées (chapitre 7), dont les villes sont autant de relais administratifs, pôles de défense et de commerce, interfaces entre léconomie atlantique et les différents espaces des territoires exploités (chapitre 8). A bien des regards, la mise en valeur agricole (rang canadien ou plantation louisianaise), relativement faible, napparaît que comme une activité nécessaire pour permettre lexploitation des ressources halieutiques et cynégétiques, seules à faire lobjet dun véritable commerce vers la métropole tandis que se tissent des relations commerciales difficilement contrôlées avec les autres colonies (chapitre 9). Il en résulte aussi des sociétés nouvelles, créoles, qui ne sont pas pour autant des modèles (chapitres 10 et 11) mais nen ont pas moins des identités qui se construisent.
Au terme de cette histoire, aucun aspect naura été négligé par ses auteurs qui ont su concilier lanecdote utile et la scientificité quil convenait davoir pour un ouvrage aussi ambitieux. Empreinte danalyses éclairantes que viennent supporter des cartes aussi claires quutiles, des notes le plus souvent bibliographiques rejetées en fin de volume, une chronologie nécessaire et surtout une bibliographie impressionnante humblement qualifiée de sélective, cette Histoire de lAmérique française est une somme qui a su garder une vision densemble de son sujet sans sombrer dans lérudition. Un ouvrage incontournable.
Hugues Marsat ( Mis en ligne le 04/03/2008 ) Imprimer | | |