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L’érotisme « soft » à Rome | | | Paul Veyne L'élégie érotique romaine - L'amour, la poesie et l'Occident Seuil - Points essais 2003 / 7.95 € - 52.07 ffr. / 308 pages ISBN : 2-02-062171-1 FORMAT : 11x18 cm
Ouvrage publié une première fois en 1983 (Seuil).
Lauteur du compte rendu: Yann Le Bohec enseigne lhistoire romaine à la Sorbonne. Il est lauteur de plusieurs ouvrages adressés tant aux érudits quau grand public. En dernier lieu, il a publié Larmée romaine sous le Haut-Empire (Picard, 3e édit., 2002), César, chef de guerre (Éditions du Rocher, 2001), et Urbs. Rome de César à Commode (Le Temps, 2001).
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Pour beaucoup détudiants, la question de lamour à Rome a été traitée de manière très accessible dans le célèbre livre de P. Grimal qui portait ce titre et qui a été publié à Paris en 1963. Ils y découvraient une société qui, loin des fameuses orgies romaines, partageait les valeurs les plus banales du XXe siècle, et sans doute du XXIe : un homme rencontre une femme (ou linverse !) ; ils se plaisent, se marient, essaient dêtre fidèles lun à lautre, et font des enfants avant linévitable désenchantement.
P. Veyne propose maintenant une nouvelle édition dun ouvrage déjà publié en 1983, rédigé davantage pour des littéraires que pour des historiens, bien que ces derniers aient des éléments à y glaner au fil des pages. Il nous plonge dans un milieu particulier, à la fois mythique et élitiste, celui des poètes amoureux. Il faut prévenir le lecteur que, si certains passages sont gentiment coquins, le ton reste en général moins osé que, par exemple, dans luvre dHorace, un homme au demeurant très fréquentable. Il est ici davantage question de cur que danatomie.
Lintroduction propose une vraie anthologie, un choix de textes traduits en français, qui permettront de suivre le cheminement de la pensée. Trois auteurs, qui ont voulu célébrer leur passion pour trois femmes cachées derrière des pseudonymes, sont ainsi présentés : Properce a souffert pour Cynthie, Tibulle pour Délie et Ovide pour Corinne ; de bien jolis noms ! Par touches successives, P. Veyne nous mène vers une définition de lélégie. Cest «une poésie pseudo-autobiographique» (p.79) ; «une poésie sans action» (p.88) ; «une fiction non moins systématique que la lyrique érotique des troubadours» (p.148). Les Romains nont rien inventé, comme on sait, sauf dans lart de la guerre. Pour la poésie amoureuse, ils suivirent évidemment un Grec, en loccurrence Callimaque. Comme disait peu ou prou Horace, Graecia capta ferum victorem cepit et artes intulit agresti Latio, ce qui, traduit librement donne : «La Grèce conquise a conquis son farouche vainqueur, et apporta la civilisation aux paysans latins».
Un des intérêts de louvrage est de montrer loriginalité de ces derniers, ou du moins de leurs poètes. Certes, comme tous les humains de lAntiquité, ils croyaient aux dieux, à Amour en particulier et dans ce cas. Mais on voit, dans le chapitre 8 notamment, quils avaient élaboré un bataillon céleste qui leur était propre et qui protégeait leurs entreprises, sans beaucoup defficacité dailleurs, si lon en croit Properce, Tibulle et Ovide. Luvre de ces trois auteurs se caractérise ensuite par le maniérisme. Elle est également empreinte dun humour qui est un des traits fondamentaux de la mentalité romaine et qui échappe souvent aux lecteurs, car il faut bien connaître le latin pour saisir tous les jeux de mots quil cache. Cest ainsi quon verra, p. 106 par exemple, comment le poète explique que lamour est esclavage et quil ne peut se passer de cet esclavage. Les passions de ces écrivains avaient un décor naturel, si lon peut dire, la ville, où ils transposaient souvent la campagne, les murs des ruraux leur paraissant plus propres à lamour. Mais ils ne pouvaient se passer de Rome, de ses plaisirs et de ses habitants. Ils y trouvaient en règle normale des femmes de milieux sociaux assez bas, qui ne les en faisaient pas moins souffrir. Il eût sans doute été mal vu de mettre en scène des dames. Comme dit Ovide, «Jamais je nai pris pour cibles les couches légitimes» (p.121). Pour conclure son propos, P. Veyne se demande «pourquoi lancienne poésie nous ennuie» (p.292). Il est à craindre que les élèves des lycées actuels soient davantage privés de cet ennui que par le passé. Et pourtant, lauteur fait comprendre que cet ennui, si ennui il y a, nest pas sans charmes ni sans utilité.
Yann Le Bohec ( Mis en ligne le 11/02/2004 ) Imprimer
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