Robert Solé Seuil - Points histoire 2006 / 6.50 € - 42.58 ffr. / 291 pages ISBN : 2-02-086865-2 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en février 2004 (Seuil).
L'auteur du compte rendu: maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université de Paris-I, Sylvain Venayre a publié La Gloire de l'aventure. Genèse d'une mystique moderne.
1850-1940 (Aubier, 2002). Imprimer
Voici très exactement lhistoire du plus vieux monument de Paris, cest-à-dire de lobélisque de la place de la Concorde. Grand connaisseur de lEgypte et, plus encore, de ce quil a naguère appelé la «passion française» pour lEgypte, Robert Solé raconte en effet, dans ce court livre écrit dans un style vif et clair, de quelle façon lun des deux obélisques du Temple de Louqsor, édifié au treizième siècle avant Jésus-Christ, est devenu monument en devenant parisien, entre 1830 et 1836.
Lhistoire est extraordinaire, qui fait intervenir, outre le principal architecte de louvrage, lingénieur de Marine Jean-Baptiste Apollinaire Lebas, le déchiffreur des hiéroglyphes Jean-François Champollion, qui fit le choix de lobélisque de Louqsor, le pacha dEgypte Méhémet-Ali, qui en fit don à la France, Louis-Philippe, Adolphe Thiers et bien dautres, qui soutinrent lentreprise, Chateaubriand, Pétrus Borel ou Théophile Gautier, qui la commentèrent sans parler dun jeune garçon de douze ans qui, à Rouen, vit le gigantesque monolithe (230 tonnes) reposant dans les cales du bateau qui lapportait dEgypte, et ne loublia jamais, Gustave Flaubert.
Robert Solé sait faire revivre les difficultés dun voyage en Egypte au début du XIXe siècle. Il rappelle les périls de la navigation en Méditerranée, ladresse nécessaire au franchissement de la barre à Rosette et les conditions de la remontée du Nil, entre vents favorables et bancs de sable problématiques. Le voyage du navire Le Luxor, construit tout exprès pour recevoir lobélisque, a duré ainsi vingt mois, du 15 avril 1831 (départ de Toulon) au 23 décembre 1833 (arrivée à Paris) ! Robert Solé sait aussi évoquer létrangeté égyptienne aux yeux de ces Français, leurs émerveillements et leurs dégoûts (où lon retrouve limage de férocité des Turcs et celle de la misère des fellahs, dont Sarga Moussa a souligné quelles constituaient un des topoï du récit de voyage en Egypte au XIXe siècle). Il sait aussi dresser linventaire des dangers du voyage en Egypte, de la dysenterie au choléra. En vingt mois de campagne, le Luxor perd vingt hommes. Cest un des coûts humains de lobélisque de la Concorde.
Et pourquoi de la Concorde, au fait ? Robert Solé retrace également les débats qui agitèrent les gazettes parisiennes du début des années 1830 au sujet de lemplacement à donner au monolithe. Son installation parisienne est à relier à la progression de la nostalgie napoléonienne (lArc de triomphe est inauguré peu de temps avant lérection de lobélisque ; la statue de Napoléon a été réinstallée au somment de la colonne Vendôme ; les travaux de la Madeleine, initiés par Napoléon, se poursuivent). Lobélisque doit donc aussi commémorer lExpédition dEgypte, élément parmi dautres de la légende napoléonienne et moment fondateur de légyptomanie française. Un Paris napoléonien commence à prendre forme ; mais faut-il lui dédier aussi la place de la Concorde, ancienne place Louis XV et surtout ancienne place de la Révolution, sur laquelle Louis XVI, parmi bien dautres, fut exécuté ? Le débat fait rage, mais la Concorde lemporte. Au moins, une fois ce gigantesque objet érigé en son centre, ne pensera-t-on plus à multiplier les projets contradictoires
En ce sens, lObélisque de la Concorde reflète bien la volonté de réconciliation des Français qui anime la Monarchie de Juillet.
Paris se dote donc de son monolithe égyptien, de même que Rome autrefois (celle de lAntiquité, puis celle de la Renaissance), de même que Constantinople et en attendant lémigration des «aiguilles de Cléopâtre», obélisques dAlexandrie, partis à Londres et à New-York, dans la seconde moitié du XIXe siècle. La gloire de lEgypte des Pharaons vient donc sajouter à celle que les Français veulent pour leur capitale. Chose amusante pourtant, nul ne peut encore répondre avec certitude à la grande question des égyptologues : quest-ce que cest, au juste, un obélisque ?
Sylvain Venayre ( Mis en ligne le 27/04/2006 ) Imprimer
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