| Hamit Bozarslan Histoire de la Turquie contemporaine La Découverte - Repères 2004 / 7.95 € - 52.07 ffr. / 130 pages ISBN : 2-7071-4188-7 FORMAT : 11x18 cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris-I-Sorbonne, Thierry Sarmant est conservateur en chef du patrimoine au Service historique de l'armée de Terre. Il prépare, sous la direction du professeur Daniel Roche, une habilitation à diriger des recherches consacrée à "Louis XIV et ses ministres, 1661-1715". Il a publié une vingtaine d'articles sur l'histoire politique et culturelle de la France moderne et contemporaine et six ouvrages dont Les Demeures du Soleil : Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003)et La Roumanie dans la Grande Guerre et l'effondrement de l'armée russe (1999). Imprimer
Loriginalité de cette Histoire de la Turquie contemporaine, centrée sur la politique intérieure, est de remettre en perspective luvre et la postérité de Mustafa Kemal et de nuancer le bilan par trop flatteur qui en est souvent dressé en Occident.
Pour ce faire, lauteur remonte presque un siècle avant la dislocation de lEmpire ottoman et ouvre son récit sur le Tanzimat, lère de réformes qui souvre à Istanbul en 1839. Héritier direct des «Jeunes Turcs», Kemal reprend à son compte leur idée dun repli sur une Anatolie ethniquement «purifiée», et leur hostilité farouche à légard des minorités. La Turquie actuelle est lhéritière directe de ce repli, puisque près de 40% des Turcs actuels seraient issus de populations évacuées des Balkans ou du Caucase. Par réalisme, le réformateur abandonne les rêves pan-touraniens dexpansion vers lAsie centrale, mais il en conserve le mythe dune «race turque» supérieure. Car le régime du «Pierre le Grand de la Turquie» entretient avec la nébuleuse des totalitarismes du premier XXe siècle des liens de parenté étroite : ultra-nationalisme, étatisme, dirigisme. La politique hésitante de la Turquie pendant la Seconde Guerre mondiale est la suite de ces affinités originelles. Dabord neutre, elle laisse les Allemands disposer des Détroits, retourne sa veste après Stalingrad, mais ne déclare la guerre au Reich quen février 1945.
Le post-kémalisme, ouvert après 1950, est marqué par des cycles politiques décennaux, où instabilité et blocages sachèvent en général par lintervention de larmée, gardienne de lorthodoxie kémaliste, tandis que des partis aux noms et aux contours divers alternent au pouvoir. Malgré cette instabilité, de grandes tendances se perpétuent : droite nationaliste pan-touranienne, droite «justicialiste» islamisante, centre-gauche de tradition kémaliste. Le personnel politique, où priment les Demirel, Ecevit, Erbakan et autres «inoxydables», se renouvelle fort peu, la palme de la longévité revenant à lultra-nationaliste colonel Turkes, actif de 1942
à 1997 !
Pour lauteur, dans cet édifice politique, seule la façade est démocratique.
La Turquie kémaliste se vit comme assiégée par les ennemis de lextérieur et de lintérieur, quils soient communistes, Kurdes, Alévis ou islamistes, et se livre, pour les réduire, à tous les excès. De même, la «laïcité» turque na que peu à voir avec ce que lEurope occidentale comprend sous ce vocable : elle nest que la mise en tutelle par lEtat de la religion dominante qui reste lislam sunnite, considéré comme élément constitutif de lidentité nationale , non la neutralité de lEtat à légard des différentes confessions.
Hamit Bozarslan ne nie pas les évolutions récentes. À lextérieur, la dislocation de lURSS a privé la Turquie dun ennemi potentiel, tout en montrant que les Républiques dAsie centrale restaient indifférentes au mythe pan-touranien ; lhyper-nationalisme a connu de graves revers (adhésion de Chypre à lEurope, autonomie du Kurdistan irakien). À lintérieur, les gérontocrates, qui occupaient les premières loges depuis des décennies, se sont retirés peu à peu ; lislamisme modéré na pas glissé sur le pente de lextrémisme. Lémergence de classes moyennes occidentalisées est indéniable.
Pour autant, à lintérieur comme à lextérieur, la violence, retenue ou déchaînée, est toujours présente. Elle imprègne la tradition politique dune nation formée par la main de fer dAtaturk, maintenue au prix dune longue suite dépurations et de répressions. Cest dire que lauteur ne cache pas un certain pessimisme quant à lintégration de la Turquie dans lEurope : une Europe confondue, sans doute abusivement, avec la modernité
mais c'est une autre histoire.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 22/09/2004 ) Imprimer
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