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Philosophies en action ou comment les idées mènent le monde
Lucien Jerphagnon   Les Divins Césars - Idéologie et pouvoir dans la Rome impériale
Hachette - Pluriel 2009 /  12 € - 78.6 ffr. / 587 pages
ISBN : 978-2-01-279442-9
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en septembre 2004 (Tallandier).

L’auteur du compte rendu : Christophe Badel, professeur d'histoire romaine à l'Université de Rennes II, est un spécialiste des structures politiques et sociales de la Rome impériale. Il a dirigé un recueil de documents, Sources d'histoire romaine, Ier siècle av. J.-C.-début du Ve siècle apr. J.-C, (Larousse, 1993), et rédigé plusieurs ouvrages liés au programme de l'agrégation et du CAPES (dont L'Empire romain au IIIe siècle après J.-C., Textes et documents, SEDES, 1998).

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Avec ce livre, nous ne disposons pas d'une énième histoire de Rome mais d'une histoire intellectuelle des empereurs romains. Nul n'était mieux placé pour l'entreprendre que L. Jerphagnon, professeur émérite des Universités, spécialiste de la pensée antique. Commentateur de Saint Augustin, il a déjà fait paraître une Histoire de la Rome antique (2002).

Placé dans le sillage de "l'histoire non philosophique de la philosophie", son but est de montrer l'influence de la philosophie sur le gouvernement des empereurs romains à travers les conceptions des souverains eux-mêmes comme des cercles philosophiques qui les entouraient. Il est courant d'appeler idéologie un tel phénomène - et l'auteur ne s'en prive pas à l’occasion - mais il préfère lui laisser son beau nom antique de philosophia, une "philosophie en action" qu'il traque derrière les grands choix politiques jusqu'au début du règne de Justinien (529).

Dans une telle histoire, une première césure apparaît évidente, en raison de la personnalité des souverains. Jusqu'à la fin des Antonins (192), les empereurs sont des gens cultivés, formés à la philosophie grecque, auxquels ont peut prêter des conceptions idéologiques personnelles. En général, leur culture philosophique est éclectique, telle celle d'Auguste, mais il est vraisemblable de lui prêter un rôle d'inspiration politique. Il est ainsi possible que le stoïcisme, même sous une forme vague, ait inspiré à Claude (41-54) ses mesures généreuses envers les provinciaux. Par ailleurs, une série de souverains, dont les plus marquants furent Caligula (37-41) et Néron (54-68), tirent leur idéologie de l'imitation des pharaons égyptiens. L. Jerphagnon est de ceux qui - avec raison à notre avis - expliquent les "folies" de Caligula et l'idéologie solaire de Néron par la référence à la tradition monarchique égyptienne. De la même façon, les exhibitions de Commode (180-192) dans le Colisée se comprennent mieux si l'on songe qu'il se livrait à "l'imitation d'Hercule", posture traditionnelle chez les souverains de l'Antiquité.

Mais le tableau change à partir du IIIe siècle et le discours du livre s'en ressent fortement. À l'exception de Julien (361-363), les empereurs, en général sortis des rangs inférieurs de l'armée, ne sont plus des "intellectuels", et leur portrait culturel n'est plus à faire. Du coup, l'ouvrage donne plus de place à la présentation des cercles intellectuels de l'époque, tel le courant néo-platonicien au IIIe siècle. Mais ces cercles ont-ils vraiment influencé la politique impériale ? La réponse n'est pas évidente et l'auteur lui-même n'y croit pas trop. Il minore ainsi les liens entre Plotin et la cour de Gallien (253-268). À partir de Constantin (306-337), le christianisme va peu à peu s'imposer comme la nouvelle idéologie du pouvoir et les empereurs vont s'investir dans les querelles théologiques. Mais peut-on les gratifier d'une véritable culture théologique ?

Une telle remarque amène à se demander si l'irruption du christianisme a constitué une autre césure marquante dans ce domaine. En dépit des apparences, la question ne peut engendrer une réponse tranchée. Les philosophes des IIe-IIIe siècles ont voué au christianisme une animosité durable et les penseurs chrétiens n'ont cessé d'affirmer la supériorité du message évangélique sur la philosophie païenne. Mais ces mêmes chrétiens tentèrent aussi de récupérer l'héritage de la sagesse antique pour le mettre au service de la nouvelle foi et qualifièrent le christianisme de seule et véritable philosophia. Les traités ou discours politiques des évêques s'inspirèrent étroitement des conceptions païennes sur le "bon roi", héritées de la philosophie hellénistique. L'empereur était toujours comparé au "bon berger" et la "providence" impériale, sa prévoyance, était toujours à l'image de la providence divine. Dieu avait certes remplacé les dieux mais les grands principes de l'idéologie politique restaient sensiblement les mêmes.

Tout en insistant sur ces aspects de continuité, L. Jerphagnon préfère au final mettre en valeur la rupture par le choix même de son terminus chronologique. C'est en 529, en effet, que l'empereur Justinien ferme l’École d'Athènes, le dernier centre de philosophie païenne du monde romain. La philosophie païenne est bien morte et l'on devine l'auteur peu convaincu par les prétentions du christianisme à incarner la véritable philosophia.

Cette fresque intellectuelle de cinq siècles, à la langue élégante, témoigne d'un puissant esprit de synthèse. On pourra toujours chipoter sur les contours du sujet : les conceptions solaires de Néron ou d'Aurélien appartiennent-elles à la philosophie ? Comment distinguer les théories personnelles des souverains et l'idéologie officielle de l’État ? Il n'en reste pas moins que cet ouvrage montre comment les idées mènent le monde.


Christophe Badel
( Mis en ligne le 24/03/2009 )
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