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Histoire & Sciences sociales -> Poches |
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Premier livre, déjà magistral | | | Ian Kershaw Le Mythe Hitler - Image et réalité sous le IIIe Reich Flammarion - Champs 2008 / 11 € - 72.05 ffr. / 415 pages ISBN : 978-2-08-121781-2 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Traduction de Paul Chemla.
Lauteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université de Marne-la-vallée et à l'IEP de Paris. Imprimer
Dernier ouvrage du spécialiste du Nazisme sur les tables des librairies françaises, Le Mythe Hitler est en réalité le premier livre de Ian Kershaw sur ce sujet. Cest à la fin des années 70 que le chercheur, abandonnant ses premières amours qui lavaient porté à étudier léconomie monastique dans lAngleterre médiévale, se rend en Bavière pour une étude de lopinion publique pendant le nazisme, et plus précisément de lopposition politique. La fréquentation des sources le confronte rapidement à lampleur de lengouement porté à Hitler, à sa puissance et à sa résistance dans le temps. Il choisit de mener de front une étude de limage publique du Führer, entamant ainsi le début dun chemin qui, sur deux décennies, allait le conduire de plus en plus près du dictateur. La première version du livre sort ainsi en 1980, en Allemagne. Une deuxième version remaniée (lauteur a ajouté une introduction, une conclusion, et une troisième partie sur la place de lantisémitisme dans le mythe) est publiée en 1987 aux presses universitaires dOxford. Louvrage publié chez Flammarion en est la traduction.
I. Kershaw porte donc son attention sur limage publique de Hitler, et sur lengouement pour le Führer, qui débordait de loin les rangs des nazis convaincus. Il en analyse la fabrication (soit le travail de la propagande, le rôle de Goebbels, mais aussi celui de Hitler dans la construction de son personnage public), la composition (détaillant ainsi ce qui compose le mythe, en confrontant limage publique à la réalité des obsessions hitlériennes), la réception (en nuançant selon les milieux sociaux, les sous cultures politiques ou religieuses, et en sattachant particulièrement à suivre les évolutions de lopinion publique) et son rôle dans le système nazi (une fonction dintégration, de fabrication du consensus pour contrer les forces centrifuges et désamorcer les oppositions et les mécontentements).
L'historien travaille ce faisant essentiellement sur les sources disponibles pour scruter lopinion publique, confrontant les rapports des autorités allemandes (administrations politiques, judiciaires, et service de sécurité) et les précieux rapports exfiltrés dAllemagne qui parvenaient aux antinazis en exil, principalement ceux que recevait le Sopade (SPD en exil). Le plan sarticule en deux grandes parties chronologiques, la première suivant lascension du mythe Hitler jusquà ses sommets de popularité à la veille de la guerre, la seconde traitant de leffondrement progressif puis brutal du mythe dans le contexte de la défaite. Une dernière partie (quil aurait pu aisément distribuer dans la progression chronologique, mais qui doit à lhistoire de la recherche de Kershaw de faire lobjet dun ajout) traite de la place de la question juive dans le mythe.
Lhistorien montre dabord comment, dans le contexte politique allemand, dans la pensée de la droite nationaliste et völkisch, et dans la république de Weimar fragilisée, la population était prête à adhérer au mythe du chef. Hitler a cru un temps nêtre que le «tambour» qui annoncerait larrivée de ce chef providentiel, avant que den relever lui même le flambeau. Le culte de Hitler se construit dabord dans la minorité fanatique des nazis de la première heure. Dès le début, le mythe est utilisé pour compenser le manque dunité et de clarté idéologique des diverses fractions du NSDAP. A la faveur de la crise, et grâce à un travail de propagande sans précédent, il gagne un large électorat entre 1930 et 1933 ce que sous-estiment largement les oppositions politiques, de gauche comme de droite, qui persistent à ne voir en lui quun bravache aux idées courtes. Aux élections de 1933, on retient généralement que presque un électeur sur deux a soutenu le parti de Hitler, ce qui signifie que la même proportion résistait encore au mythe. Kershaw analyse donc ensuite, dans les mois et les années suivant la prise du pouvoir, comment le culte du Führer sétablit en tant que phénomène de masse. Hitler devient «un chef adoré, auquel son peuple témoignait adulation et servilité à un degré sans précédent». Pour preuve, ces milliers de lettres (dont Kershaw nous livre quelques extraits édifiants), cette ferveur à ses anniversaires.
Désormais, pour la grande majorité des Allemands, Hitler est perçu comme «le noble champion de lintérêt national», mais aussi comme le seul architecte du «miracle économique». Il apparaît comme incorruptible, mais aussi profondément humain, simple, proche du peuple. Cette acclamation de Hitler offre au régime une légitimation, tant en Allemagne quà létranger. Le Mythe apparaît comme «le moteur central de lintégration, de la mobilisation et de la légitimation au sein du système nazi». Kershaw montre magistralement comment la popularité de Hitler permet de contrer les mécontentements suscités par les difficultés de la vie quotidienne, mais également les critiques que suscitent les brutalités, les corruptions des dirigeants nazis locaux. Mieux, cest même limpopularité des dirigeants locaux qui protège le mythe Hitler des mécontentements ! Au point de parvenir à retourner à son profit la nuit des Longs Couteaux. Le Führer peut alors apparaître comme un «modéré» face aux éléments extrémistes du parti, que ce soit dans la lutte qui oppose le nazisme aux Églises, et même au sujet de la question juive. De fait, Kershaw démontre que limage publique de Hitler ne reflétait guère létendue de son antisémitisme, qui na joué quun rôle mineur dans les liens entre le Führer et son peuple. Son charisme tient dabord à lextraordinaire série de succès diplomatiques, du rétablissement du service militaire à la conférence de Munich, succès suivis de grandes fièvres dadulation nationale pour le Führer. Hitler apparaissait alors comme le défenseur intraitable des droits légitimes de lAllemagne, comme le reconstructeur de la puissance de la nation, mais les Allemands lui étaient particulièrement reconnaissants de réussir tout cela sans verser une goutte de sang, sans entraîner lAllemagne dans une guerre que la très grande majorité de lopinion ne souhaitait aucunement.
Kershaw fait donc clairement apparaître linversion grossière de la réalité que constitue cette image dun Hitler modéré et irénique, image produite par les distorsions délibérées de la propagande, et à double destination de lopinion intérieure et des puissances extérieures. Reste que, et cest là aussi une des conclusions majeures de louvrage, cette popularité reste fragile, soumise à la stimulation récurrente, et éminemment dépendante des succès enregistrés.
Les débuts de la guerre et les succès du Blitzkrieg permettent au culte datteindre ses sommets et dajouter au mythe son ultime composante : celle du chef militaire génial. Mais face à la montée des malheurs, des défaites, des sacrifices quotidiens, la fonction compensatoire de limage du chef perd de son efficacité, puis seffondre totalement. Hitler, qui sisole de plus en plus, apparaît désormais «comme un personnage dune dureté inflexible, à la limite de lhumain, perdant tout contact avec les problèmes des Allemands ordinaires, prêt à perdre la nation pour assouvir ses obsessions». Par ailleurs, lassociation publique croissante de Hitler à la «solution de la question juive», en dépit dun silence officiel sur les modalités précises de lextermination (que lopinion se refuse à connaître), apporte un nouveau trait négatif à son image (surtout dans les milieux chrétiens). En 45, avant la découverte des camps, les Allemands se croient encore la principale victime de Hitler.
Dans Le Mythe Hitler, I. Kershaw livre une magnifique étude de la représentation du pouvoir nazi, de la fabrication du personnage public de Hitler. Mais cest également une analyse magistrale de lopinion publique allemande, des années 20 à la fin de la guerre, bien à rebours de quelques idées convenues. Car, aussi étrange que cela paraisse, lénorme popularité de Hitler avait, pour lessentiel, peu à voir avec une adhésion fanatique aux principes centraux de la vision du monde raciste et impérialiste hitlérienne, et moins encore avec la confiance dans le parti dont il était le chef.
Certes, la majorité des conclusions de louvrage ont ensuite été reprises et développées par Kershaw lui-même dans ses écrits postérieurs sur le nazisme et Hitler (notamment dans son incomparable biographie du dictateur), ainsi que par nombre des historiens du nazisme. Il est vrai également que ce qui apparaissait comme neuf en 1980 est admis de nos jours : Kershaw avait alors été le premier à montrer aussi clairement quil ny avait pas que des nazis fanatiques qui avaient adulé Hitler, mais bien des pans entiers de la société, et que cette popularité expliquait en grande partie le maintien du nazisme au pouvoir, à rebours dune historiographie dominante pour laquelle le nazisme était dabord fondé sur la terreur. Enfin, les emprunts que lhistorien fait dans Le Mythe Hitler au concept de «pouvoir charismatique» chez Max Weber pour les appliquer au pouvoir de Hitler sont ici largement à létat dintuition quand on connaît leur développement dans son Essai sur le charisme en politique (Gallimard, 1992).
Est-ce pour autant quil faille négliger cette réédition en français de ses premiers travaux ? Loin de là. Louvrage rassemble clairement des thématiques ailleurs éparses et offre le dossier nécessaire aux conclusions quil reprend ailleurs. Le Mythe Hitler est de ces livres dHistoire que lon referme plus savant mais aussi avec la sensation plus rare dêtre plus intelligent tant Kershaw parvient à nous faire partager les étapes de sa pensée et de sa réflexion. On se demande vraiment pourquoi il a fallu attendre 26 ans pour pouvoir le lire en français !
Mathilde Larrère ( Mis en ligne le 09/09/2008 ) Imprimer
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