| Régis F. Martin Les Douze Césars - Du mythe à la réalité Perrin - Tempus 2007 / 10.50 € - 68.78 ffr. / 479 pages ISBN : 978-2-262-02637-0 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
L'auteur du compte rendu : Yann Le Bohec enseigne lhistoire romaine à luniversité Paris IV-Sorbonne. Il est lauteur de plusieurs ouvrages destinés tant aux érudits quau grand public, notamment LArmée romaine sous le Haut-Empire (Picard, 3e édit., 2002), César, chef de guerre (Éditions du Rocher, 2001) et Histoire de lAfrique romaine (Picard, 2005) ; une Armée romaine sous le Bas-Empire est sortie à lautomne 2006 (Picard). Imprimer
Depuis Suétone, les douze Césars sont connus, bien connus et même très bien connus. Dailleurs, «Tout est dit,
». Ce livre, toutefois, ne propose pas au lecteur une nouvelle édition, ni même un commentaire de luvre célèbre du non moins célèbre historien latin. Il pose un problème, au demeurant bien étudié, la relation entre pouvoir et folie, et il propose une solution en conclusion.
Avant den arriver là, il faut reprendre le fil. La folie des Césars est dentrée de jeu considérée comme un mythe, fondé sur un autre mythe, celui du pouvoir corrupteur, ce qui fait que, dans les listes des «bons» et des «mauvais» empereurs, les premiers sont beaucoup moins nombreux que les seconds. Pourtant, si lon visitait une galerie où se trouveraient les portraits des personnages concernés, on ne trouverait rien dextraordinaire ; et, au moral, la diversité lemporterait également. Il faut donc chercher ailleurs. Cest la vie quotidienne menée par les princes, avec ses fastes, ses excès et ses bizarreries, qui livre une première clef pour percer le mystère : ils avaient un comportement de désaxés.
Mais la vraie explication, «le cur du mythe» (p.131), se trouve dans leur vie sexuelle. Les folies attribuées à Tibère durant son exil à Capri, lattitude de Caligula à légard de ses surs et les relations que lon prête à Néron avec sa mère ont fait fantasmer les esprits. Lauteur rappelle justement le nombre incroyable de films qui, pour appâter le chaland, mentionnent dans leur titre le nom de Caligula ou de Néron. À notre avis, il vaut mieux se montrer prudent sur ce sujet. Il ne faut pas oublier que les Romains étaient des Méditerranéens, et que les injures et les accusations concernant la vie sexuelle de ladversaire faisaient partie de leurs traditions. Aussi, quand Monsieur Martin dit que huit Césars sur douze étaient homosexuels (p.184), il suscite en nous un certain scepticisme car, dans tous les cas, les accusations étaient formulées par des écrivains appartenant à la frange du parti sénatorial hostile à la monarchie. Jacques Gascou a bien montré que Suétone, bien quil ait été chevalier, ne représentait pas une idéologie équestre qui nexistait pas ; il était lié au clan sénatorial de Tacite et Pline le Jeune et, dans ses écrits, il exprimait leurs idées et non les siennes, car il nen avait pas (ce dernier point, cest notre avis personnel, et pas celui qua exprimé par Jacques Gascou). Il critiquait les empereurs pour faire ressortir les qualités des aristocrates.
Une autre source du mythe se trouve dans les maladies quont eues ou quauraient eues les Julio-claudiens ; notons que, à notre avis du moins, lépilepsie de César (pp.190-198 et 225) fait elle aussi partie des
mythes (cf. notre César, 2001, p.71). Et ce nest pas tout. Certes, on admet en général que chaque empereur a eu son caractère propre ; mais beaucoup dauteurs plaident pour une thèse qui voudrait que les Césars aient été des dégénérés, analyse qui ne repose sur aucun argument solide. Finalement, et bien sûr, placés là où ils létaient, ils goûtaient à livresse du pouvoir. Mais ce nest pas une raison pour leur attribuer la corruption que ce dernier engendre, autre mythe répandu dans la littérature moralisante et qui na rien à voir avec lhistoire (p.317). Il nest pas jusquà la mort des empereurs qui nait été utilisée pour justifier cette théorie de la folie. En résumé, et en conclusion, toutes ces accusations sont sans fondements, tout nest quinvention, et «la césarite
nexiste pas» (p.421). Il faut pourtant constater que les Julio-claudiens étaient tous, à des degrés divers, des névrosés, ce qui sexplique par le poids des responsabilités qui pesaient sur leurs épaules. Peut-être serons-nous un peu plus réservé que Monsieur Martin car il nous semble incontestable que Caligula était bien fou, et que Néron nétait pas très équilibré.
Cet ouvrage, «remake» dune thèse de latiniste, présente lavantage dêtre bien écrit et de se lire sans difficulté et parfois avec plaisir. Certes, le plan nest pas chronologique : tant pis pour les historiens ! Mais ce choix sexplique par la volonté de traiter un thème et pas une politique. Pour appuyer sa démonstration, lauteur propose de nombreuses citations duvres littéraires (en traduction française) et il utilise des références bibliographiques assez nombreuses (près de trente pages de notes), montrant une érudition certaine, même si elle est parfois dépassée (par exemple, on nutilise plus guère les ouvrages de Léon Homo).
Au total, donc, on peut affirmer que les Césars nétaient pas fous (du moins, pas tous), mais quils menaient une vie de fou.
Yann Le Bohec ( Mis en ligne le 11/06/2007 ) Imprimer
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