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Pourvu que cette histoire ait une fin
John Dickie   Cosa Nostra - La mafia sicilienne de 1860 à nos jours
Perrin - Tempus 2008 /  11 € - 72.05 ffr. / 509 pages
ISBN : 978-2-262-02727-8
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Traduction d'Anne-Marie Carrière.

L'auteur du compte rendu : Agrégé d’histoire et titulaire d’un DESS d’études stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à l’Institut catholique de Paris, à l’université de Marne la Vallée et ATER en histoire à l’IEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense.

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Qui n’a pas vu Le Parrain ou Les Affranchis ? Ces deux grands films ont beaucoup fait pour faire connaître la mafia, au moins dans sa version américaine. On y voit des truands, un peu soupe au lait, qui jouent du couteau ou font parler la poudre, mais uniquement pour régler leurs histoires internes. Ils prennent soin de leur famille, défendent leur honneur, laissent les honnêtes gens tranquilles et tout le monde est content. Qui n’a pas entendu parler du général Dalla Chiesa, assassiné par Cosa Nostra en 1982 ? Ou des juges Falcone et Borsellino, assassinés à quelques mois d’intervalle avec femme et escorte dix ans plus tard ? Ces tragédies, ces «cadavres illustres», rappellent que, loin de l’image enjolivée et fascinante présentée par le cinéma, la mafia est une organisation criminelle, violente et qui n’hésite pas à tuer ceux qui lui résistent.

Le juge Giovanni Falcone a déclaré un jour, que, comme toute entreprise humaine, la mafia avait une histoire, et qui si elle avait une histoire, elle avait eu un commencement et qu’elle aurait une fin. C’est ce que l’on souhaite, presque à chaque page de Cosa Nostra. La mafia sicilienne de 1860 à nos jours. L’histoire racontée par John Dickie, publiée en 2004, qui paraît en poche chez Tempus dans une version augmentée des derniers rebondissements concernant la mafia, est assez déprimante et souvent écœurante. Elle est en effet dominée par une espèce de fatalité du mal, d’impuissance face au crime, et il faut bien toute la foi de Giovanni Falcone pour se dire que tout ceci aura une fin.

Contrairement à certaines légendes, que les mafieux eux-mêmes, ou certains de leurs admirateurs inconscients, répandent parfois, la mafia a une histoire récente. Elle est née vers 1860, dans les plantations d’agrumes qui entouraient alors Palerme, et qui en faisaient une région d’une beauté enchanteresse. Ni le lieu, ni la date de sa naissance ne sont le fait du hasard. La mafia est née en Sicile, dans une société où la violence était assez répandue, où le clientélisme, hérité de la féodalité, était omniprésent et où l’obéissance à la loi était un concept exotique. Elle est née au moment de l’unification italienne, comme une réaction à l’émergence d’un État de type moderne. En tous cas plus moderne que le royaume de Naples, vestige de l’époque pré-absolutiste.

Même si ses origines demeurent mal connues, même si l’alchimie, qui, à partir de circonstances propices, transforma le possible en réel, demeure mystérieuse, ces faits semblent aujourd’hui reconnus par tous ceux qui étudient la mafia. Ce qui tord le cou à des mythes flatteurs, faisant de la mafia, au choix ou tout ensemble, une version moderne de la chevalerie, une manifestation du tempérament ombrageux des Siciliens ou un acteur, au côté de Garibaldi, de l’unité italienne.

Les mafieux appellent leur organisation Cosa Nostra. C’est à dire «Notre chose», celle qui les unit et les différencie du reste de l’humanité. Elle est née en Sicile et n’en est jamais partie. C’est ce que montre bien John Dickie. Depuis un siècle et demi, son fief se situe autour de Palerme, c’est de là que sont issus ses chefs, c’est là qu’ils se cachent, c’est souvent là qu’ils meurent, c’est de là qu’elle tire les bases de sa puissance : une assise territoriale et un esprit qui se transmet de génération en génération. Si John Dickie s’intéresse parfois aux ramifications américaines, celles que le cinéma et les figures de Al Capone ou Lucky Luciano ont rendu célèbres, c’est toujours pour mieux revenir à Palerme.

Unité de lieu donc, presque unité d’action, il ne manque que l’unité de temps dans l’histoire tragique que raconte John Dickie. La base des affaires, pour Cosa Nostra, a été et reste aujourd’hui le racket. À l’origine, ce fut le racket des propriétaires terriens, des éleveurs de bétail et des producteurs d’agrumes. Aujourd’hui, c’est le racket des commerçants et des entreprises. Base des affaires, ce racket est aussi la base du contrôle du territoire, donc des hommes. Au fur et à mesure, se sont ajoutés la fausse monnaie, la spéculation immobilière, le détournement de fonds publics et de fonds structurels européens, le trafic d’héroïne et sans doute désormais la nouvelle économie du capitalisme financier et de l’internet.

Finalement, on en arrive presque à l’unité de temps. Parce que le renouvellement permanent des hommes et des pratiques confine à cette histoire une sorte d’immobilité dynamique. La violence, la pratique du secret, les rites d’initiation, l’obéissance, les trahisons, les luttes acharnées pour le pouvoir, tout cela se retrouve à chaque phase de l’histoire. Mais la mafia démontre aussi d’incroyables capacités d’adaptation à son environnement. Née dans la Sicile post-féodale du milieu du XIXe s., elle a su épouser tous les mouvements de l’histoire et résister à tous les assauts. Elle s’est adaptée à la naissance de l’État, aux débuts de la démocratie, à l’émigration massive, au capitalisme, à l’urbanisation, à la construction européenne et à la mondialisation. Elle a même résisté au fascisme, qui pendant près de vingt ans l’a pourtant forcée à rentrer sous terre pour survivre. Elle semble increvable ! Cette souplesse, cette résilience, à partir de bases intangibles, voilà sa grande force. La rusticité de ses chefs ne doit pas induire en erreur : Cosa Nostra est d’une intelligence redoutable.

Face à cette force redoutable, le moins que l’on puisse dire est que l’État italien a tardé a prendre conscience du danger. L’a-t-il d’ailleurs jamais fait ? Les différentes étapes des démêlés avec la justice de l’ancien président du Conseil, Guilio Andreotti, coupable de complicité avec Cosa Nostra, mais qui poursuit une paisible carrière de sénateur à vie, illustrent les faiblesses de l’attitude de l’État. Il a toujours oscillé entre nier tout simplement l’existence de la mafia et ne s’y attaquer que de manière sporadique et insuffisante. La première législation anti-mafia ne date que de 1982 ! Et il faut tout de suite préciser qu’elle est régulièrement remise en cause, par de bonnes âmes… qui prétendent que la mafia n’existe pas. Avec un État faible et une classe politique indifférente, corrompue ou carrément affiliée, les juges, fonctionnaires ou policiers qui luttent contre Cosa Nostra, les prêtres, syndicalistes, journalistes, qui veulent lui résister, les commerçants qui refusent de payer le pizzo, le racket, sont bien isolés.

Jamais complaisant, toujours nuancé, essayant de mettre en évidence la complexité des faits, mêlant le récit à l’analyse, le livre de John Dickie est passionnant. Malheureusement, il laisse beaucoup d’angoissantes questions sans réponses. Parce que la fin de son livre n’est pas la fin de l’histoire.


Antoine Picardat
( Mis en ligne le 04/03/2008 )
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