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Voyage au cœur d’un lobby | | | John-J Mearsheimer Stephen M. Walt Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine La Découverte - Poche 2009 / 12 € - 78.6 ffr. / 497 pages ISBN : 978-2-7071-5701-0 FORMAT : 13,30x20,00 cm
Première publication en septembre 2007 (La Découverte).
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
A lorigine de ce gros ouvrage, il y a tout à la fois un article à la destinée contrariée, et un débat qui a du mal à éclore sous nos cieux. En 2002, The Atlantic Monthly commandait à deux universitaires américains, spécialistes de science politique et de relations internationales, un article portant sur le lobby pro-israélien et son influence sur les affaires étrangères américaines, sujet porteur. Lidée des promoteurs de larticle était alors dévaluer linfluence du lobby pro-israélien dans la définition même de la politique étrangère, autant que limpact de la-dite politique sur le destin de lAmérique. En effet, depuis quils se sont substitués à la France gaullienne (après la crise de Suez, en 1956) dans le soutien à Israël, les États-Unis sont tout à la fois lun des meilleurs alliés dIsraël, un rempart efficace et un soutien constant
au risque de réveiller lanti-américanisme arabe. Car la politique dIsraël, et en particulier la question palestinienne, lui aliène nombre dEtats et de nations. Au confluent de la politique intérieure américaine et de létude des relations internationales, cette étude entreprend donc de saisir lune de ces «forces profondes» qui définissent la politique extérieure de «lhyperpuissance».
Cest sur ce postulat que John M. Mearsheimer, professeur à luniversité de Chicago et Stephen M. Walt, professeurs à Harvard, se sont mis à travailler pendant deux années, rendant en 2004 un texte dense
et refusé par «The Atlantic Monthly». Problème, discussion, débats
larticle est finalement hébergé par la London Review of Books et, parallèlement, laissé sur un site universitaire
Succès immédiat pour un texte solide, informé, bien éloigné dun pamphlet, et qui mêle habilement analyse scientifique et réflexion citoyenne. Un débat finalement arrivé jusquau public francophone, via cette édition. Écartons-en demblée laccusation (facile) dencourager lantisémitisme : si tabou il y a, cest plutôt au sujet du communautarisme dans la société américaine et de son influence à tous les niveaux (cf. lélection présidentielle et le duel du camp démocrate). Contester cette influence relève dune forme daveuglement conscient qui, pour le coup, serait très idéologique.
Louvrage étudie donc lobjet «lobby» : il ne sagit pas de retracer lhistoire des relations israélo-américaines, mais bien de se placer aux sources de la décision en politique étrangère, dans ce qui relève encore, à ce stade, dune politique intérieure. Pour cela, les auteurs ont divisé leur étude en deux parties. Une première partie, «Les États-unis, Israël et le lobby», se penche sur le fonctionnement du lobby en soi, avec une attention soutenue pour les activités de lAIPAC (American Israel Public Affairs Committee), fondé en 1951 et lun des lobbies les plus puissants du Congrès. Après avoir brièvement évoqué les enjeux des relations israélo-américaines premier niveau dexplication pour saisir le domaine dintervention du lobby, les auteurs plongent au cur du lobby, en examinant son histoire et ses multiples composantes (80 associations diverses en 1992 : outre une part mineure de la communauté juive, on y croise également des néoconservateurs, des sionistes chrétiens bien étudiés par Sebastien Fath dans Dieu bénisse lAmérique, au Seuil -), le tout au service dobjectifs à la fois idéologiques, nationalistes, et parfois très pragmatiques. Encore faut-il peser sur lélaboration de la politique : via les administrations présidentielles et le Congrès, mais également par des structures originales comme les think tanks (on se reportera alors aux travaux incontournables de Justin Vaïsse sur les composantes de la politique extérieure américaine). On passe ainsi à une réflexion de stratégie politique qui définit les buts à atteindre et les moyens dy parvenir, les institutions à toucher (la Maison blanche en particulier), les modalités diverses (médias, recherche, discours parfois réducteurs instrumentalisant lantisémitisme, voire intimidation, jusquà un ancien président comme Jimmy Carter par exemple) : la mécanique du lobby démontée efficacement.
Dans une deuxième partie, «Le lobby en action», on passe du catalogue des moyens, à linventaire des objectifs, un inventaire en forme de bilan historique récent revu et corrigé par le 11 septembre : la question palestinienne, la politique irakienne (le bourbier, oui !), les États voyous (Syrie et Iran) et enfin limbroglio libanais. Cest toute la politique proche orientale américaine que les auteurs revisitent au prisme du regard lobbyiste avec, en guise de conclusion, une longue réflexion où les chercheurs seffacent devant les citoyens, qui, eux, prennent parti et dénoncent une influence quils jugent désastreuse. Il sagit alors de proposer une alternative à la logique du lobby (et à ses impasses manifestes), et somme toute une nouvelle politique étrangère (voire même des solutions pour la question palestinienne !!!)
Ambitieux ? Ou irréaliste, face à un lobby dont les auteurs conviennent quil est lun des plus puissants, à peine concurrencé par des contre-lobbies pourtant importants comme le lobby du pétrole (on écarte les lobbies arabe-américains, à linfluence mineure).
Destiné aux chercheurs autant quaux amateurs dactualité, politistes et autres curieux, Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine est une forte étude, nourrie par lactualité des médias (il est encore un peu tôt pour rêver à des archives) et qui démonte autant quelle démontre
Au risque de quelques écueils inhérents ? La prise de position, en deuxième partie, qui se veut inspirée par une logique de politiste, demeure
une prise de position, qui transforme létude (la première partie) en essai (assumé). Les citations saccumulent, pour étayer, mais on se méfie toujours un peu des morceaux choisis, qui peuvent vite se muer en cadavres exquis. Par ailleurs, les auteurs ne cherchent sans doute pas à révolutionner le système américain des lobbies, institutionnalisé, mais juste à réfléchir à son fonctionnement, à partir dun cas despèce, indéniablement efficace. Autre écueil possible, celui qui consiste à ne lire la politique extérieure que par le biais du lobby pro-israélien : il ne sagit certes pas dune vision globale de la politique extérieure américaine, laquelle, comme dautres, est traversée par des forces profondes ou de surface, au sein desquelles Israël et ses réseaux est un faisceau parmi dautres. De fait, tout ne sexplique pas par le lobby pro-israélien, ce qui serait caricatural, et si louvrage présente une faiblesse, cest justement - du fait de lobjet scientifique disséqué - de provoquer un effet de loupe, une faiblesse inhérente à un bon essai de macro-politique.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 27/01/2009 ) Imprimer | | |