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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
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Gérer sa maison en bon père de famille | | | Xénophon Economique - Edition bilingue français-grec Les Belles Lettres - Classiques en poche 2008 / 8 € - 52.4 ffr. / 182 pages ISBN : 978-2-251-79997-1 FORMAT : 11cm x 18cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Si Hérodote passe pour le père de lhistoire, Xénophon est invoqué par certains comme le premier des économistes. Il faut entendre ici économie au sens premier de «gestion de la maison» (oikos), et cest bien une sorte de manuel de la bonne gestion domestique que nous présente ici le disciple de Platon.
Luvre se présente comme un double dialogue socratique. En effet, Socrate rencontre Critobule, un de ses familiers, qui lui fait part des soucis de gestion de son domaine et du désir quil a den accroître les revenus pour faire face aux nombreuses charges qui pèsent sur lui. Socrate lui répond en rapportant la conversation quil a eue avec un certain Ischomaque, dont les préoccupations étaient voisines. Ce second dialogue occupe en fait la plus grande partie du texte, sans que Critobule ne réapparaisse, y compris à la fin. Il est plus spécialement centré sur loikonomikè, le savoir nécessaire à la bonne gestion dun oikos, dun domaine foncier. Plusieurs thèmes sont abordés : la place de la femme dans la maison, le rôle du gestionnaire, les relations avec les esclaves, lart de lagriculture et les conditions de réussite de laccroissement des richesses. Apparaît aussi le thème, cher à Xénophon, du pouvoir et du commandement : celui du mari, du maître, plus largement du chef, celui qui est investi dune charge politique ou militaire. Il sagit surtout de définir les moyens quil lui faut mettre en uvre pour se faire obéir et respecter. LEconomique de Xénophon dépasse ainsi le seul domaine économique.
Ce qui préoccupe dabord Socrate, cest la nécessité de définir ce que lon entend par biens : pas seulement ce que lon possède, mais aussi ce dont on sait se servir. Cela inclut ainsi les savoir-faire. Cest donc de ce que lon possède quil faut savoir se servir. Cest ainsi par une bonne gestion de ses biens fonciers que Critobule pourra faire face aux nombreuses dépenses qui lui incombent, ces liturgies qui pèsent sur les plus riches et leur valent la reconnaissance de la cité, mais peuvent aussi les acculer à la misère sils ny prennent garde. Cest en cela que le jeune Critobule a besoin de laide de Socrate, citoyen pauvre qui na pas appris à gérer des biens quil na jamais possédés, mais qui sait sur quels principes repose un bon usage des biens que lon possède.
Il sagit de privilégier lagriculture et la gestion dun domaine qui sapparente à celle dune cité ou dun royaume. On ne saurait en effet mettre sur le même plan les métiers de lartisanat et le travail de la terre. Selon Socrate, les premiers contraignent ceux qui sy livrent à une vie casanière qui amollit le corps et lâme et en fait de piètres défenseurs de leur patrie. Dès lors, seules deux activités sont permises aux citoyens : lagriculture et la guerre. Est introduite alors une référence au roi des Perses, qui peut surprendre ici. En réalité, cette référence se justifie dans la mesure où les qualités quil met en uvre afin de veiller à la défense de son immense empire sont les mêmes que celles quil utilise pour sassurer de la mise en valeur des terres quil contrôle. Il sagit de faire en sorte que ceux auxquels il confie les différentes charges concernant ces deux domaines lui soient fidèles, et pour cela recourir aux bienfaits et aux honneurs dune part, aux punitions de lautre. Socrate évoque alors le grand Cyrus, fondateur de lempire perse, mais aussi son lointain homonyme, celui qui avait rassemblé contre son frère une armée de mercenaires grecs, dont Xénophon lui-même avait pris le commandement après le désastre de Cunaxa, et dont il a raconté le retour dans lAnabase. Ce nest pas le rebelle au pouvoir de son frère que Socrate prend ainsi en exemple, mais plutôt le satrape des provinces occidentales de lempire, qui prenait plaisir à entretenir lui-même son «paradis».
Pour Xénophon, celui qui pratique lagriculture est apte à se défendre et à commander. Par là même, lagriculture est ainsi supérieure aux autres activités, tout en relevant dun savoir. Le texte introduit alors le personnage dIschomaque. Débute à partir de là le second dialogue, où le rapport sinverse entre les deux interlocuteurs. Dans la première partie, cétait Critobule qui posait les questions et Socrate qui y répondait ; dorénavant, cest Socrate qui interroge et Ischomaque qui apparaît comme détenteur dun certain savoir. Ischomaque parle dabord de sa femme et des fonctions de cette dernière au sein de loikos. Il sagit de répondre à létonnement de Socrate de rencontrer en ville un grand propriétaire. Cest que la première définition du rôle respectif de lhomme et de la femme est en effet fondée sur lopposition extérieur/intérieur. Ischomaque peut se rendre en ville car il peut confier à son épouse la garde de loikos. Cela consiste essentiellement pour elle à soccuper des enfants nouveaux-nés, à garder les provisions et à veiller à ce que tous soient correctement vêtus (en filant la laine et tissant les étoffes). Assimilée à la reine des abeilles dans sa ruche, la femme dIschomaque dispose ainsi dun véritable pouvoir de commandement qui doit combiner sens de lorganisation, souci de lordre et bienveillance envers les serviteurs. Cet éloge de lordre est illustré par une description de la maison et des différents lieux où sont entreposés mobilier, richesses et provisions diverses.
Un nouveau développement fournit un véritable «manuel» dagriculture. Est évoquée la nécessité dentretenir son corps par de longues promenades qui permettent en même temps de parcourir le domaine et de veiller à sa mise en valeur. Ischomaque traite ensuite de la nécessité de choisir et former un bon intendant, homme de confiance à qui sera déléguée la surveillance de lensemble des esclaves. Il sagit surtout de gagner sa fidélité en faisant naître en lui lamour du profit. Pour ce qui est de la masse des esclaves, il convient de recourir aux récompenses et félicitations pour ceux qui se comportent bien, et au blâme pour les autres. La technique de lagriculture est quant à elle facile à apprendre, et Ischomaque en donne des illustrations en traitant tour à tour de la jachère, des semailles, du sarclage, de la moisson, du battage, du vannage ou de la culture des arbres fruitiers, de la vigne et de lolivier. Mais, sinterroge Socrate, si lagriculture est une technique facile à acquérir, comment se fait-il que certains agriculteurs narrivent pas à se procurer le nécessaire et sont même contraints de sendetter ?
Cette question introduit la dernière partie du texte, qui débouche sur une réflexion sur lart de commander. Sil existe des agriculteurs pauvres et endettés, cela tient surtout à un défaut de direction et dorganisation du travail. La conclusion dIschomaque revient donc à une véritable réflexion politique : chez tous ceux qui possèdent lart du commandement, on retrouve les mêmes qualités ; le chef idéal est celui qui sait donner à ceux quil commande le fierté de lui obéir, et cela est vrai aussi bien du propriétaire dun grand domaine que du roi des Perses. Cest dans cette thèse que lon peut trouver lunité de luvre variée de Xénophon, si précieuse pour lhistorien tentant de comprendre la spécificité du IVe siècle av. J.-C. par rapport au siècle précédent. Dès lors se fait jour lidée de la supériorité du pouvoir dun seul, de lindividu qui, respectueux de la volonté des dieux, ferait régner la justice dans la cité et, par son charisme, simposerait à tous.
Cette édition de poche reprend le texte et la traduction de Pierre Chantraine dans la Collection des Universités de France des Belles Lettres, avec une introduction de Claude Mossé, qui a également revu et complété les notes. Une courte bibliographie de deux pages permettra daller plus loin à celui qui sintéresse à luvre de Xénophon, mais aussi à lagriculture en Grèce ancienne.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 23/12/2008 ) Imprimer | | |
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