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Les mythes grecs d’Homère à Nonnos de Panopolis | | | Suzanne Saïd Approches de la mythologie grecque - Lectures anciennes et modernes Les Belles Lettres 2008 / 17 € - 111.35 ffr. / 168 pages ISBN : 978-2-251-44351-5 FORMAT : 13,5cm x 21cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Les éditions des Belles Lettres ont eu lexcellente idée de rééditer le petit ouvrage de Suzanne Saïd, professeur à la Columbia University de New York après avoir enseigné à Nanterre, précédemment publié dans la collection «128» chez Nathan, en 1993, et depuis longtemps épuisé. Il ne sagit pas dune simple réimpression, mais dune deuxième édition, considérablement revue et augmentée, passant de 128 à 168 pages.
Après une introduction sinterrogeant sur la définition de la notion de mythe, la première partie de louvrage tente un essai de typologie, distinguant plusieurs types de discours. Viennent en premier lieu les récits des origines : les différentes cosmogonies (dont la plus célèbre est celle de la Théogonie du poète béotien Hésiode), les mythes de combats pour la souveraineté (Titanomachie, Gigantomachie, Typhonomachie), les récits de création de lhomme (mythe de Prométhée et Pandore chez Hésiode qui est plutôt un mythe sur lorigine de la condition humaine , mythe des races, mythes locaux de Phoroneus, Pélasgos, Lycaon ou Cécrops
) et les récits dorigine des peuples et des cités (qui sintègrent dans des généalogies héroïques).
Un deuxième type de mythes est constitué par la geste des dieux, racontant leur généalogie, leurs domaines dintervention, leurs relations dopposition et de complémentarité et leurs aventures (telles que contées dans certains hymnes homériques, ceux consacrés à Déméter, Hermès, Apollon ou Aphrodite, par exemple). Un troisième type de récits narre la geste des héros, qui prend souvent la forme dépreuves et de combats contre des monstres, comme on le voit pour Héraclès et Thésée. Il ne faut cependant pas négliger les récits mettant en scène des héroïnes, qui sont généralement avant tout des filles, épouses ou mères de héros, même si certaines refusent la condition féminine (Callisto, Atalante, les Amazones). Les récits héroïques sarticulent également dans de grands cycles légendaires : celui de Thèbes autour des Labdacides (dipe, Antigone, le duel fratricide entre Etéocle et Polynice), celui dArgos (débutant avec Io et se poursuivant avec les aventures des Danaïdes, de Persée, puis des Atrides issus de Pélops), lexpédition des Argonautes (avec Jason et Médée), lexpédition des Grecs contre Troie et leurs retours mouvementés dans leurs patries (dont le plus connu est celui dUlysse).
La seconde partie est consacrée aux écritures du mythe chez les poètes et les prosateurs, examinant tour à tour lépopée et la lyrique archaïques, la tragédie attique, la comédie, la poésie hellénistique et lépopée tardive, puis la rhétorique, lhistoire, les mythographes et les «nouveaux mythes» des philosophes. Le plan reste identique à lédition de 1993, à lexception de lajout dun développement sur «la comédie dAristophane», mais de nombreuses sous-parties ont été étoffées. Il en va ainsi de celle consacrée à la poésie hellénistique, qui ne se contente plus de présenter Callimaque et Apollonios de Rhodes, mais consacre des développements plus substantiels aux epyllia (épopées miniatures), à lAlexandra de Lycophron ou aux Phénomènes dAratos. La partie consacrée aux prosateurs senrichit dune présentation des rhéteurs et sophistes dans lEmpire romain (Dion Chrysostome, Aelius Aristide, Philostrate, Lucien de Samosate), qui ont abondamment utilisé le mythe dans leurs discours et leurs écrits, ainsi que dun paragraphe sur lhistoriographie hellénistique (Ephore, Théopompe
), connue uniquement à travers des fragments et des témoignages indirects. La présentation des «nouveaux mythes» des philosophes ne se contente plus dévoquer Platon, mais fait une place aux mythes philosophiques dans la littérature de lEmpire, tels que développés par Dion Chrysostome ou Plutarque.
La troisième partie sintéresse aux lectures du mythe en Grèce ancienne. En effet, les Grecs ne se sont pas contentés dassembler et dorganiser une série de récits mythiques ; ils ont aussi inventé une véritable «science des mythes». Certains auteurs ont tâché den extraire le fond de vérité quils contenaient, se livrant à une véritable lecture historique. Les premiers historiens (Hécatée, Hérodote, Thucydide) ont tenté de donner une version rationnelle de certaines légendes, de même que des auteurs comme Plutarque ; pour Evhémère de Messène, les dieux nétaient autres que des humains des anciens temps, divinisés pour leurs qualités remarquables. Des philosophes (comme Xénophane de Colophon ou, plus tard, les apologètes chrétiens) ont au contraire critiqué les mythes traditionnels au nom de la raison ou de la morale. Dautres ont tenté de les sauver par une lecture allégorique (Théagène de Rhégium, Métrodore de Lampsaque, les Allégories dHomère dHéraclite, lAntre des Nymphes de Porphyre ou même des auteurs chrétiens comme Clément dAlexandrie ou le Byzantin Michel Psellos).
La quatrième et dernière partie se compose dun survol rapide des interprétations des mythes grecs par les Modernes : naissance de la mythologie comparée à la fin du XVIIIe et au XIXe siècles (Christian Gottlob Heyne, Friedrich Creuzer, Friedrich Max Müller) ; école anthropologique anglaise (avec Edward Tyler, Andrew Lang et, au début du XXe siècle, James George Frazer) ; naissance de la mythologie historique avec Karl Otfried Müller, ; école ritualiste de Cambridge (Jane Harrison, Gilbert Murray, A.B. Cook, Francis M. Cornford) ; avatars de la mythologie historique (Karl Robert, Angelo Brelich) cherchant à remonter aux origines mycéniennes (Martin P. Nilsson), indo-européennes (Georges Dumézil), proche-orientales ou même paléolithiques (Walter Burkert) de la mythologie grecque, ou tentant didentifier lévolution historique et les différentes couches historiques dun mythe (école de Rome) ; lectures structurales inspirées par la linguistique (Claude Calame) ou lethnologie de Lévi-Strauss (école de Paris autour de Jean-Pierre Vernant, Marcel Detienne, Pierre Vidal-Naquet ou Nicole Loraux) ; lectures psychanalytiques (Sigmund Freud, Otto Rank, Carl Gustav Jung, mais aussi André Green, R. Caldwell, Charles Segal ou Philip Slater). Aujourdhui, lheure des grands affrontements méthodologiques est passée. On a renoncé à trouver une clé unique et universelle dinterprétation, et lon préfère combiner, à linstar de Jan Bremmer dans son analyse du mythe ddipe, des méthodes aussi diverses que la lecture historique, le structuralisme lévi-straussien ou la psychanalyse freudienne.
Le livre de Suzanne Saïd est fort utile également pour son répertoire des écrivains de lAntiquité, précisant pour chacun sil a fait lobjet dune traduction aux éditions des Belles Lettres («Collection des universités de France», «Collection byzantine», «La Roue à livres», «Aux sources de la tradition», «Fragments»), du Cerf («Sources chrétiennes») ou dans la «Loeb classical library» (en Anglais). On consultera aussi avec profit sa bibliographie organisée thématiquement en fonction du plan du livre, qui ne néglige cependant pas les ouvrages de référence comme les dictionnaires, introductions générales ou recueils darticles fondamentaux.
Ce manuel clair, concis et rigoureux, rédigé par lune des meilleures spécialistes de la littérature grecque, rendra ainsi service aux étudiants sinitiant à la mythologie, mais aussi, plus largement, à tout lecteur curieux de ces questions.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 06/05/2009 ) Imprimer | | |