| Hésiode Théogonie Les Belles Lettres - Classiques en poche 2008 / 8 € - 52.4 ffr. / 121 pages ISBN : 978-2-251-79999-5 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Après les poèmes dHomère lIliade en 1998 et lOdyssée en 2001 , la collection «Classiques en poche» des éditions des Belles Lettres édite enfin, en 2008, la Théogonie, lautre uvre fondatrice de la mythologie grecque.
En effet, dès le Ve siècle av J.-C., Hérodote soulignait que ce sont ces auteurs qui avaient «doté les Grecs dune théogonie, donné aux dieux leurs épithètes, défini à la fois leurs honneurs et compétences, et montré leurs figures» (Histoires, II, 53). On se réjouit de trouver enfin à un format abordable ce poème majeur et sa traduction par Paul Mazon. Il est vrai que lon disposait néanmoins déjà, depuis 1993, grâce à Annie Bonnafé, dune autre édition bilingue de poche aux éditions Rivages, sans parler des traductions de Claude Terreaux (Arléa, 1998), Philippe Brunet (le Livre de Poche, 1999) et Jean-Louis Backès (Folio, 2001). La nouveauté de cette édition, qui reprend le texte et la traduction publiée dans la Collection des Universités de France, tient dans lintroduction et les notes de Gabriella Pironti, enseignante à lUniversité Federico II de Naples, fine connaisseuse de luvre du poète béotien, notamment de lépisode de la naissance dAphrodite, quelle a magistralement analysé dans le premier chapitre de sa thèse (Entre ciel et guerre : figures dAphrodite en Grèce ancienne, Liège, Kernos, suppl. 18, 2007).
Ce que lon sait de la vie et de la famille dHésiode provient de Les Travaux et les Jours où il raconte que son père était originaire de Cumes, cité éolienne dAsie Mineure, mais quil sétait installé dans le bourg dAscra, en Béotie, au pied du mont Hélicon. Cest là que lauteur de la Théogonie a vécu et composé ses poèmes, ne prenant semble-t-il quune seule fois la mer, pour se rendre dans la proche île dEubée, dans la ville de Chalcis, où il participa aux jeux funèbres en lhonneur du puissant seigneur local Amphidamas, remportant même le prix (certains disent quHomère fut alors son rival malheureux). Dans la Théogonie, le poète se met lui-même en scène dans le prologue, narrant sa rencontre avec les Muses, divinités de linspiration poétique, pendant quil gardait ses troupeaux dans la montagne.
La présence de ces éléments biographiques a été mise en rapport avec le passage de loralité à lécriture, mais les uvres hésiodiques semblent bien avoir été composées pour être entendues, non pour être lues, de la même manière que les poèmes dHomère. Il ne faut pas non plus perdre de vue que les éléments personnels donnés par le poème peuvent aussi être envisagés comme des fictions (le nom dHésiode est dailleurs signifiant, puisquon pourrait le traduire par «celui qui émet la voix»). Plusieurs uvres ont été attribuées dans lAntiquité à Hésiode : la Théogonie, le poème didactique Les Travaux et les Jours (qui sadresse à son frère Persès), le Bouclier (décrivant celui dHéraclès, lors de son duel avec Kycnos), ou bien le Catalogue des femmes (lauthenticité hésiodique des deux derniers est mise en doute par de nombreux philologues).
Dans la Théogonie, Hésiode raconte la naissance des dieux (cest la signification du titre grec du poème) et retrace leur arbre généalogique. Cet exposé est entrecoupé de récits mettant en scène la structuration progressive du cosmos et du monde des dieux, avec comme perspective laffirmation du pouvoir de Zeus, aboutissement du processus théogonique. Le poème est introduit par un prologue qui prend la forme dune invocation aux Muses, véritable hymne aux déesses de linspiration poétique. Cette rencontre du poète avec les Muses est bien plus quune métaphore poétique, elle manifeste une véritable épiphanie divine.
Lexposé généalogique commence avec lapparition de Chaos, la Béance originelle, un espace privé de forme et de direction. Vient ensuite Gaïa, qui représente au contraire une assise sûre et stable, puis Eros, qui enclenche la dynamique dengendrement chez les deux autres entités. Chaos donne ainsi naissance à Erèbe et Nuit (qui saccouplent pour enfanter lEther et la Lumière du Jour), tandis que Gaïa tire delle-même Ouranos (le Ciel), Pontos (le Flot Marin) et les Montagnes. Elle sunit ensuite à Ouranos et engendre les Titans, les Cyclopes et les Cent-Bras. A cette généalogie succède le récit de la mise en place de la souveraineté de Kronos, le plus jeune des Titans, émasculant son père qui maintenait ses enfants enfermés dans le sein de la Terre, provoquant les souffrances de Gaïa. Les conséquences de ce geste violent se manifestent sur le plan généalogique, par la naissance, à partir des gouttes de sang tombées sur le sol, des divinités de la vengeance (les Erinyes) et de la guerre (les belliqueux Géants et les Nymphes des Frênes, bois à partir duquel on fabriquait les lances). Les parties génitales dOuranos tombées dans la mer produisent Aphrodite, puissance divine qui relaie lélan générateur de son père, et préside, avec Eros et Himéros, à la pulsion sexuelle et à laccouplement. Les effets de la castration dOuranos se font également sentir dans la lignée de Chaos, puisque Nuit répond à cette agression en donnant naissance aux puissances de mort, de violence, de tromperie ou doubli. Cette généalogie nocturne met ainsi en place la condition des hommes mortels, dont le poème ne raconte pas la naissance. Lexposé généalogique se poursuit avec les enfants de Gaïa et Pontos, qui manifestent la puissance multiforme de la mer, tantôt bénéfique (Nérée et les Néréides), tantôt terrible (les monstres hybrides issus de Kéto et Phorkys
).
Hésiode développe ensuite la descendance des Titans. Il commence par les puissances aquatiques Okéanos (le Fleuve-Océan qui entoure la Terre) et Téthys, parents des Fleuves et des Océanines, déesses des sources. Hypérion et Théia engendrent les divinités lumineuses Hélios (Soleil), Séléné (Lune) et Eos (Aurore), tandis que le Titan Crios et la Pontide Eurybié donnent notamment naissance à Astraios et Pallas, qui épouse laînée des Océanines, Styx, qui lui donne Zélos (lesprit de compétition), Kratos (le pouvoir), Bia (la Force) et Nikè (la Victoire). Le poète interrompt alors lexposé généalogique pour raconter comment Styx et ses enfants se sont rangés du côté de Zeus dans sa lutte contre les Titans. Il le poursuit ensuite avec Coios et Phoibè, qui donnent naissance à Léto et Astérie. Cette dernière est la mère dHécate, puissance médiatrice qui fait lobjet dun nouveau développement prenant la forme dun véritable hymne. Hécate assure en effet le passage entre les différentes générations divines, met en communication les dieux et les hommes, et constitue un lien entre les différentes régions de lunivers (ciel, terre, mer).
Vient ensuite lexposé de la descendance de Kronos et Rhéa, le couple détenant lautorité royale chez les Titans. Souvre alors le mythe de souveraineté suivant lequel Kronos, pour garder le pouvoir, avale ses enfants. Rhéa réussit à substituer à Zeus une pierre emmaillotée de langes, et plus tard, celui-ci, devenu adulte, oblige son père à régurgiter ses frères et surs. Zeus poursuit son action en libérant les Cyclopes, que Kronos navait pas délivrés de lenchaînement perpétré par Ouranos. Pour remercier leur bienfaiteur, ils lui offrent la foudre, le tonnerre et léclair. Hésiode achève sa généalogie des Titans en présentant la descendance de Japet et de lOcéanine Clymène : Atlas, Ménoitios, Prométhée et Epiméthée. Vient ensuite lépisode de la dispute entre Zeus et Prométhée, à propos du statut des hommes mortels, que le Titan souhaite favoriser. Ce conflit sarticule en trois temps : partage du buf (qui peut apparaître comme le premier sacrifice), vol du feu et création de la femme (comme châtiment !), et permet de définir la condition humaine (même si aucune anthropogonie explicite napparaît dans le poème).
Succède à cet épisode le récit de la Titanomachie, combat des Olympiens contre les Titans, ces derniers étant finalement vaincus grâce à lassistance des Cent-Bras, et précipités dans le Tartare. Cest alors loccasion pour Hésiode de décrire cette région infernale qui nest pas sans évoquer lintangibilité du Chaos originel. Mais lau-delà dessiné par Hésiode se compose de plusieurs espaces. Après la description du Tartare, la prison des dieux vaincus, vient celle du palais dHadès, puis celle de la demeure de Nuit. Ces descriptions sont suivies par le récit de la lutte entre Zeus et Typhon, son dernier adversaire, né du Tartare et de Gaïa. La mise en avant de lordre de Zeus se manifeste aussi par sa politique matrimoniale. La présentation de ses épouses et de leur progéniture vient enrichir le panthéon, de même que la mention des unions dautres Olympiens lui permet dasseoir son autorité, tout en se tournant vers le monde héroïque (avec lexposé de la descendance dHélios, parmi laquelle on trouve les figures épiques de Médée et Circé).
Une nouvelle invocation aux Muses introduit la dernière partie du poème, un catalogue consacré aux unions entre déesses et hommes mortels (catalogue considéré comme une interpolation par de nombreux philologues). Suit un autre exposé du même genre (non considéré comme hésiodique par de nombreux commentateurs) : le Catalogue des femmes. Mais quoi quil en soit de lauthenticité de ses derniers vers, la Théogonie constitue un témoignage indispensable pour étudier le fonctionnement du polythéisme grec, et se doit dêtre analysée comme un tout, sans perdre de vue le contexte culturel et historique qui a présidé à sa composition.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 19/05/2009 ) Imprimer | | |