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Transformations mythologiques | | | Ovide Les Métamorphoses Les Belles Lettres - Classiques en poche 2009 / 19 € - 124.45 ffr. / 782 pages ISBN : 978-2-251-80008-0 FORMAT : 11cm x 18cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Après les Métamorphoses ou lÂne dor dApulée en 2007, Olivier Sers nous offre une traduction nouvelle dautres Métamorphoses, celles dOvide. On lui doit également, dans la même collection, le Satiricon de Pétrone (2001) et les Satires de Juvénal (2002). Mais sa traduction des 11 995 vers dOvide a été réalisée en alexandrins, vers à vers, tentant ainsi de restituer le phrasé et la frappe poétique des hexamètres latins. Le texte latin, établi par Georges Lafaye, est le même que celui de la Collection des Universités de France, à peine retouché. On trouve à la fin du volume une courte bibliographie de cinq pages, ainsi quun utile index des noms propres.
Les Métamorphoses dOvide sont lun des plus longs poèmes de lAntiquité, avec quinze livres narrant 250 métamorphoses en quelque 150 épisodes. Il couvre toute lhistoire du monde, depuis le chaos originel (conçu, de façon bien différente de la Théogonie dHésiode, comme un mélange désordonné de tous les éléments) jusquau temps dAuguste où écrit le poète sachevant en effet, après un long prêche philosophique prononcé par Pythagore devant Numa, futur successeur de Romulus, sur la promesse de divinisation de lempereur régnant et dimmortalité du poète. Entre les deux, Ovide nous offre une multitude de récits épiques et de contes burlesques, variant les genres, les styles et les procédés narratifs (avec notamment de nombreux retours en arrière) au sein dune même uvre protéiforme. On nen attendrait pas moins de ce condensé de mythologie privilégiant les récits de métamorphoses, lesquelles apparaissent tour à tour comme une récompense ou un châtiment. La première partie (livres I à V) conduit le lecteur du chaos originel à Persée, fondateur légendaire de Mycènes. Les cinq livres suivants nous mènent, à travers lexpédition des Argonautes, les guerres égéennes et les exploits dHercule, jusquà la génération antérieure à la guerre de Troie. Les cinq derniers livres (11 à 15) couvrent la période qui sétend de la guerre de Troie à Auguste, via les errances dEnée et les premiers temps de Rome sous Romulus et Numa. Chacune des trois parties a son cadre géographique et sa dominante thématique propres : la première, qui présente la genèse du monde, la naissance des dieux, des hommes, des géants et des monstres, les quatre âges, le déluge, la chute de Phaéton, les amours des dieux et leurs vengeances contre les impies et les insolents, soriente au sud : Phocide, Arcadie, Phénicie, Babylonie, Afrique, Ethiopie, Carie. La deuxième partie, vouée essentiellement aux crimes, exploits, guerres, inventions, prodiges et amours interdites des hommes, est tournée vers le nord et lEgée : Phrygie, Lycie, Thrace, Colchide, Thessalie, Athènes, Egine, Mégare, la Crète, lEtolie, lArgolide, Milet et Chypre. La troisième partie, enfin, nous fait passer de la Phrygie à lItalie.
Ovide va sur ses quarante-quatre ans lorsquil entame, en 3 ap. J.-C., la rédaction de cette uvre quil achève en lan 8, année de sa relégation par Auguste sur les rives de la mer Noire, sans que lon sache au juste de quel crime il fut ainsi condamné. Il nen demeure pas moins un survivant, le dernier des grands poètes du «siècle dAuguste» à avoir connu les guerres civiles (Tibulle, Virgile, Properce et Horace étaient morts dès avant lère chrétienne). Comme celle de Virgile, sa vocation épique a été tardive et imprévue. Rien dans son uvre antérieure ne la laissait pressentir, ni ses Héroïdes, recueil de lettres imaginaires damoureuses ou damoureux de la fable, ni sa Médée, perdue, qui devait plus relever des exercices de rhétorique que du véritable jeu scénique, ni ses Amours, juvénile manifeste dun séducteur, ni sa trilogie de la quarantaine lArt daimer, précis de séduction à lusage des deux sexes, Les Produits de beauté pour le visage de la femme, court traité des fards, et Les Remèdes à lamour. Ce revirement est peut-être à mettre en rapport avec son troisième mariage avec une jeune veuve, amie denfance de la cousine germaine de lempereur ; ce changement de statut mondain nest ainsi peut-être pas étranger à sa conversion à la poésie «sérieuse» ; de surcroît, Ovide, passant le cap des quarante-cinq ans, sacheminait vers le statut de senex. Le chemin parcouru avait été long, depuis sa naissance, le 23 mars 43 av. J.-C., à Sulmo, dans une ancienne famille équestre, mais de fortune médiocre. Il avait été le brillant élève des rhéteurs Arellius Fuscus et Porcius Latro, refusant la carrière du barreau et celle des armes pour se consacrer à la poésie.
Ce qui est inédit dans la démarche dOvide, cest davoir combiné une histoire universelle depuis la création du monde jusquà son époque, un peu à la manière dun Diodore de Sicile avec des légendes de métamorphoses comme lavaient fait les auteurs hellénistiques Nicandre de Colophon et Boeo, dont le compilateur grec Antoninus Libéralis, contemporain de Marc Aurèle, a laissé des résumés. Lenchaînement des métamorphoses apparaît ainsi comme la clé de lhistoire, ce qui semble être lindice dune autre conversion, philosophique cette fois, au pythagorisme, qui professe la doctrine du changement perpétuel et de la migration des âmes. Ovide nous laisse ainsi des descriptions précises du processus de métamorphose. Sa volonté datteindre limmortalité par son uvre a été exaucée. Les Métamorphoses sont connues en plein Moyen Âge, inspirant même liconographie. Cette fortune se poursuit sous la Renaissance et à Versailles. Enfin, le XXe siècle finissant et le XXIe siècle naissant se sont passionnés pour les arrière-plans symboliques, mythico-poétiques, psychanalytiques, stylistiques et narratologiques de luvre. Elle semble encore fasciner, être lue, louée, et recyclée, notamment dans le théâtre contemporain ainsi lépisode de Procné et Philomèle mis en scène par Marcial di Fonzo Bo en 2008 au théâtre de Gennevilliers, sans compter des adaptations pour le jeune public.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 03/11/2009 ) Imprimer | | |