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Histoire & Sciences sociales  ->  Antiquité & préhistoire  
 

Mort aux barbares !
Michael Kulikowski   Rome et les Goths - IIIe-Ve siècle - Invasions et intégration
Autrement - Mémoires/Histoire 2009 /  23 € - 150.65 ffr. / 237 pages
ISBN : 978-2-7467-1261-4
FORMAT : 15,1cm x 23cm

Traduction de Marie-Anne de Kisch et Yves de Kisch

L'auteur du compte rendu : Yann Le Bohec enseigne l’histoire romaine à la Sorbonne. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages adressés tant aux érudits qu’au grand public. Il a notamment publié L’Armée romaine sous le Haut-Empire (Picard, 3e édit., 2002), L’Armée romaine sous le Bas-Empire (Picard, 2006, prix Millepierres de l’Académie française), César, chef de guerre (Éditions du Rocher, 2001), La Bataille du Teutoburg (Les Éditions Maisons, 2008) et L’Afrique romaine (Picard, 2005).

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En prenant en main cet ouvrage, le lecteur potentiel a l’œil attiré par son sous-titre, et il devine que M. Kulikowski a voulu développer une thèse qui s’inscrit dans un courant de pensée très moderne : réhabiliter ceux qu’on a critiqués et montrer qu’aucun être humain n’est insensible à l’intégration. Après tout, on a bien «réhabilité» Caligula. Alors, pourquoi pas les Goths ?

Le livre s’ouvre sur le sac de Rome en 410 : il faisait chaud et les Goths de base avaient faim (p.21), ce qui s’explique mal (la faim, pas la chaleur) : en août, les blés viennent d’être coupés et, même si la récolte a été médiocre, les greniers sont encore pleins. Il est vrai que la faim des Germains est un lieu commun dont nous avons nous-même abusé (voir notre Armée romaine sous le Bas-Empire), en sorte qu’il n’est pas possible de la reprocher à l’auteur. Passons sur cette invraisemblance rustique. Mais, dans ce tableau, les raisons pour lesquelles les hommes faisaient la guerre dans l’Antiquité semblent singulièrement négligées, ignorées ou oubliées. Rappelons donc, pour simplifier à l’extrême, que la guerre antique s’expliquait par des raisons économiques (le pillage), politiques (commander pour ne pas avoir à obéir) et psychologiques (la peur et la haine de l’autre) ; et ajoutons qu’il n’y a pas de raison majeure, connue de nous, pour exempter les Goths de ces sentiments. On se demande d’ailleurs s’il faisait toujours chaud et si les Goths avaient toujours faim quand ils ont de nouveau pillé Rome sur le chemin du retour.

L’ouvrage revient ensuite sur le vrai début, sur le IIIe siècle, et il commence par le récit d’«invasions» qui n’ont jamais existé : les Goths menaient des raids, ne pratiquaient pas alors l’invasion ; certes, ils l’ont pratiquée, mais plus tard (peut-être ce mot est-il une maladresse des traducteurs ?). On trouve un heureux paragraphe sur l’érudition moderne et sur ce qu’il faut penser des absurdités de l’idéologie nazie sur ce peuple (pp.57-61). Une étude des migrations gothiques, qui suit, permet de poser la question fondamentale : «Qu’est-ce qu’un Goth ?» (pp.82-84). Les erreurs et maladresses de la politique impériale, dans les années 285-332, sont examinées ensuite ; à vrai dire, il est probable que les Romains de l’époque pensaient que ces erreurs n’auraient jamais été commises si les Goths étaient restés chez eux, d’autant que ces derniers avaient élaboré une civilisation originale appelée «culture de Santana de Mures-Tchernjakov», du nom de deux sites où elle a été analysée par des archéologues (on écrit aussi Cernjakov).

Les relations entre Goths et Romains, entre 332 et 378, sont ensuite analysées. Nous approuvons tout à fait l’éloge d’Ammien Marcellin (p.120), sans doute un des plus grands historiens de tous les temps (il suffit, pour s’en convaincre, de lire l’admirable conclusion de son œuvre). L’auteur, pour nous faire comprendre ce qui s’est passé, nous explique que «l’accueil bien organisé des Goths tourna au fiasco» (p.142). Là-dessus, nous renvoyons à ce que nous avons dit plus haut des sentiments que les Romains éprouvaient devant l’arrivée de barbares qui pillaient, tuaient, violaient et détruisaient ce qu’ils ne pouvaient pas prendre. Ces horreurs ont provoqué un fort courant d’anti-germanisme qui a affecté tout l’empire, même l’Occident (on lira là-dessus M. Waas, Germanen im römischen Dienst, 1971, pp.50-51, auteur qui semble avoir été négligé). Il est même possible qu’il y a eu des Goths «probablement innocents» et qui ont donc, d’après l’auteur, été injustement massacrés (p.167). Nous approuvons tout à fait M. Kulikowski quand il constate l’incompétence militaire de Théodose Ier («Théodose s’inclina donc devant l’inévitable» : p.173). Quant à l’intégration des Goths, elle n’est finalement pas montrée, ce qui n’est pas surprenant car les Goths n’ont pas voulu être «intégrés» : ils ont conservé leurs lois, leur langue, leurs mœurs, leur religion, toute leur culture. Ce qu’ils voulaient, c’était s’emparer de riches domaines pour y faire travailler les Romains comme esclaves et, éventuellement, toucher les salaires qui étaient versés aux soldats.

En fait, nous regrettons deux lacunes, les unes de sources, les autres de bibliographie. Pour les sources, M. Kulikowski n’a pas lu d’assez près le livre I de La Cité de Dieu ; saint Augustin n’apparaît pas dans les deux listes de sources (pp.7-11 et 209-213) ; il est seulement mentionné au passage (p.202). Or tout ce livre I n’a rien à voir avec la théologie : c’est une consolation adressée aux Chrétiens de Rome qui ont eu la chance - c’est du moins l’avis du saint évêque — d’avoir été les victimes d’autres bons Chrétiens ; mais saint Augustin ne peut pas cacher que les Goths ont pillé, violé (même des femmes consacrées à Dieu : oui, il l’a écrit) ; ils ont aussi tué des innocents et incendié des bâtiments pour le plaisir. Il est un autre auteur que M. Kulikowski a négligé, peut-être parce qu’il le connaît mal, sans doute parce qu’il le jugeait trop tardif, c’est Hydace ; or Hydace a laissé des descriptions qui confirment toutes ces pratiques guerrières, sans les nuances de style propres au grand érudit qu’était saint Augustin. Les lecteurs sceptiques peuvent lire Hydace dans une traduction française appuyée du texte latin ; elle existe (il est dommage, d’ailleurs, que les traducteurs, pour la bibliographie, se soient bornés à recopier les références à des versions allemandes ou anglaises utilisées par M. Kulikowski ; nous leur signalons que la collection des Sources Chrétiennes, basée à Lyon, a donné des textes et des traductions qui ne sont pas médiocres). Ajoutons que la thèse de la cruauté des Goths, étayée par saint Augustin et Hydace, a été développée dans un article de la Rivista Storica dell’Antichità (37, 2007, pp.160-165).

Pour la bibliographie, il est regrettable qu’ait été oublié le livre de R. Batty, Rome and the Nomads. The Pontic-Danubian Realm in Antiquity (Oxford, 2007, 652p.), où il est beaucoup question des Goths et de la diversité des peuples que cache ce nom. Il est surtout regrettable que M. Kulikowski n’ait pas lu un ouvrage très célèbre : John Keegan, The Face of Battle (Londres, 1976, 354p.), traduit en français, mais avec un titre mal rendu, Anatomie de la bataille, (Paris, 1993, 324p.). On y voit que tous les hommes, de l’Antiquité aux temps modernes, terminaient les guerres de la même façon, par un cortège d’horreurs : vols, viols, meurtres et incendies. Il y est aussi rappelé que tous les hommes, de tous les temps, n’aiment pas les ennemis qui mènent contre eux des raids de pillage et encore moins ceux qui se transforment en envahisseurs. Oui, les habitants de l’empire ont crié : «Mort aux barbares !». Et, même si on ne les approuve pas, il faut bien admettre qu’ils avaient des raisons de pousser ce cri.


Yann Le Bohec
( Mis en ligne le 17/11/2009 )
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