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Le plus vieux métier du monde | | | Marella Nappi Professionnelles de l'amour - Antiques & impudiques Les Belles Lettres - Signets 2009 / 13 € - 85.15 ffr. / 334 pages ISBN : 978-2-251-03008-1 FORMAT : 11cm x 18cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Lhelléniste Marella Nappi, docteur de lUniversité Paris X Nanterre où elle a soutenu en 2006 une thèse sur La Parole des femmes dans lIliade, sintéresse ici à une catégorie paradoxalement absente des poèmes homériques, celle des courtisanes et autres prostituées, des femmes de divers statuts et de diverses conditions qui ont comme point commun le fait de vivre de leurs charmes. Le recueil de textes est précédé dun entretien avec Claude Calame, dont les éditions Belin viennent de rééditer en poche, fin 2009, le désormais classique LEros dans la Grèce antique, précédemment paru en 1996 dans la collection ''LAntiquité au présent''.
Les professionnelles de lamour tarifé sont aux antipodes de la bonne épouse, chaste et tempérante, sobre et vertueuse, fidèle gardienne du foyer. A cette femme honorable tournée vers lintérieur soppose la femme impudique, orientée vers le monde extérieur. Mais les courtisanes constituent un groupe difficilement définissable, qui réunit plusieurs catégories dont le statut a pu évoluer au cours du temps. En termes de vocabulaire, on constate lemploi dune multitude de mots, tant en grec (hetaira, pornè
) quen latin (lupa, meretrix, prostibulum
). Il convient de prendre en compte plusieurs paramètres : les lieux fréquentés, le mode de rétribution des prestations (en argent ou en cadeaux), le nombre de clients, la nature et la durée des relations. Mais les courtisanes et prostituées occupaient une place marginale dans la société. Lintimité sexuelle quelles offraient navait dautre objectif que la pure jouissance, bien quelle nait parfois pas été dénuée daffection.
Pour ces femmes sans droits et généralement de basse extraction, le commerce de leurs charmes est souvent la seule chance de survie. Mais la condition des courtisanes est très fluctuante. La majorité des filles de joie sont à lorigine des esclaves, provenant dhorizons géographiques variés, mais lon trouve également des courtisanes de naissance libre, réduites au métier en conséquence de quelque accident. Tout en haut de la hiérarchie, les courtisanes du grand monde monnaient très cher leurs services, tandis que dautres restent sous la coupe dun proxénète ou dun tenancier de maisons, métiers au demeurant méprisés et pourvus de tous les défauts possibles dans la comédie. Les maquerelles, pour leur part, sont souvent danciennes courtisanes que lâge a obligées à cette reconversion. Elles remplissent parfois ce rôle auprès de leurs propres filles.
Les professionnelles de lamour étaient soumises à des mesures restrictives destinées à réprimer leurs excès et à corriger leurs abus, mais leur fréquentation était considérée avec la plus grande indulgence, surtout à légard des jeunes gens. Les procès contre les courtisanes à Athènes visent la plupart du temps des tentatives dusurpation des droits civiques de la part de femmes devenues trop puissantes et trop influentes (comme dans le cas de Nééra dont une fille avait épousé larchonte-roi), quand elles ne sont pas accusées de corrompre les jeunes ou dintroduire des cultes étrangers non autorisés (comme Phryné). A Rome, les peines concernent surtout la prostitution clandestine et les adultères des matrones. En 180 av. J.-C est mise en place une autorisation légale de prostitution, qui assure une reconnaissance professionnelle aux filles publiques, qui restent toutefois frappées dinfamie. Les femmes qui pratiquent la profession sans senregistrer sont exposées à des sanctions (amendes, exil). La plupart des prostituées inscrites sur les registres étaient des esclaves officiant dans les lupanars, mais on trouvait aussi parmi elles des femmes appartenant aux plus hautes sphères de la société, assurées de mener ainsi une vie libre, sans être inquiétées.
Les origines de la prostitution sont très lointaines. La présence des courtisanes est déjà attestée en Ionie au VIe s. av. J.-C. A Rome, la prostitution se développe dès la République, mais la première prostituée romaine, selon le témoignage de Tite Live, fut Acca Larentia, nourrice de Romulus et Rémus. La «prostitution sacrée», quant à elle, demeure un sujet plutôt controversé, et semble peu probable en Grèce. Mais on reconnaissait le rôle dAphrodite (et Vénus chez les Romains) dans la vie galante, la célébrant comme patronne de lamour tarifé. A Athènes, la mainmise de la cité sur les maisons de prostitution visait entre autres à rendre la satisfaction sexuelle accessible à tous, indépendamment du niveau de richesse, dans un esprit démocratique. Cependant, safficher en compagnie dune courtisane de haut niveau était un luxe que tout le monde ne pouvait pas se permettre.
Les lieux du marché du sexe étaient fort divers, allant des zones interlopes (carrefours, bouges près du port, rues ou mêmes nécropoles) aux maisons de passe (comme le célèbre lupanar de Pompéi avec ses murs décorés de scènes érotiques). Les banquets, fêtes et spectacles étaient aussi loccasion de sabandonner aux plaisirs de la chair. Les tarifs nétaient généralement pas rédhibitoires, sauf pour les courtisanes de haut vol (Laïs réclama ainsi à Démosthène dix mille drachmes pour une nuit). Les prostituées étaient réputées cupides, vénales, toujours intéressées, et largent apparaît ainsi comme un ressort fréquent des pièces comiques de Plaute. Leur portrait dans les sources littéraires mettait en avant dautres défauts, comme la gourmandise, la frivolité, le goût de la luxure ou la jalousie envers leurs collègues plus chanceuses. Néanmoins, certaines se montraient généreuses et bienveillantes, capables de compassion, dévouement et amitié, comme dans certaines comédies de Ménandre. On peut aussi citer quelques rares tableaux de courtisanes amoureuses, comme Laïs délaissant ses innombrables amants pour un Thessalien quelconque.
Les professionnelles de lamour se distinguaient le plus souvent par des bijoux et des vêtements caractéristiques, souvent très voyants. Elles usaient de toute une série dartifices, comme les parfums, onguents et autres produits de beauté, cherchant à dissimuler ainsi leurs défauts naturels. Ces soins cosmétiques étaient cependant considérés comme typiquement barbares et indignes de la femme grecque. A Rome, sous la République, seules les femmes de mauvaise vie utilisaient de tels produits : le maquillage fonctionnait donc comme un marqueur social de la femme qui fait commerce de son corps. Les courtisanes devaient également maîtriser le chant et la danse, de même que lart de la conversation.
On décèle la présence de certaines courtisanes à lombre des hommes célèbres : artistes, philosophes, hommes politiques, orateurs, poètes et comédiens. En Grèce les noms dAspasie (compagne de Périclès), Laïs ou Phryné évoquent laristocratie superbe et raffinée de la galanterie. A Rome, on connaît les Muses inspiratrices des poètes élégiaques : Cynthia, Lesbia, Délia ou Corinna, dont certaines étaient des femmes de laristocratie sexposant au scandale à cause de leur conduite libertine, transgressive et provocatrice, comme Clodia qui fut aimée de Catulle et vilipendée par Cicéron. Les historiens et poètes romains nous ont ensuite donné quelques portraits inoubliables dimpératrices lubriques et insatiables, comme Messaline, troisième épouse de Claude. Selon Juvénal, elle se prostituait même dans des bordels crasseux sous le nom de Lycisca (petite louve).
Cet ensemble varié de textes riches et suggestifs est complété, en fin de volume, par un utile lexique des auteurs anciens cités, un rappel des unités monétaires athéniennes et romaines, douze pages de bibliographie, un index des auteurs et des uvres, ainsi quun autre récapitulant les trente courtisanes les plus célèbres, dAcca Larentia à Timandra, en passant par Aspasie, Laïs, Lamia, Nééra, Phryné, Thaïs ou Théodoté. Des noms qui prennent vie à la lecture de ces textes connus ou moins connus évoquant les professionnelles de lamour grecques ou romaines.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 23/02/2010 ) Imprimer
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