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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
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La triple vie de Césaire d’Arles | | | Marie-José Delage Marc Heijmans Vie de Césaire d’Arles Cerf - Sources chrétiennes 2010 / 38 € - 248.9 ffr. / 357 pages ISBN : 978-2-204-09407-8 FORMAT : 12,5cm x 19,5cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé dhistoire et docteur en histoire médiévale. Sa thèse a porté sur «Église, richesse et pauvreté dans lOccident médiéval. Lexégèse des Évangiles aux XIIe-XIIIe siècles». Imprimer
Césaire dArles fait partie de ces grands évêques provençaux de lAntiquité tardive qui ont connu la vie monastique avant lordination épiscopale, et se sont mêlés de controverses doctrinales avant de laisser une uvre importante et influente.
Né dans la ville qui est devenue Chalon-sur-Saône vers 470, Césaire se rend, après sêtre tourné vers lévêque, dans le fameux monastère de Lérins au large de Cannes, qui est alors un des principaux centres monastiques occidentaux. Il le quitte quelques années plus tard pour Arles afin, dit-on, dy soigner une maladie. Il retrouve là par hasard cest du moins ce que voudrait accréditer son hagiographe un parent, Éone, évêque de cette grande et florissante cité. Césaire se met à son service, puis est nommé abbé dun monastère suburbain, avant quÉone ne fasse son possible pour quil lui succède à lépiscopat. Cest ce qui se produit, non sans quelques difficultés, en 502.
En ces temps belliqueux du début du VIe siècle, Arles, qui occupe une situation frontalière, est convoitée par les Wisigoths à lOuest, par les Francs de Clovis au Nord et par lostrogoth Théodoric, roi dItalie. La ville passe alors dune domination wisigothique à une tutelle ostrogothique, le siège mis par les Francs ayant échoué. Ce contexte explique probablement les difficultés des débuts de lépiscopat de Césaire, qui est par deux fois accusé de trahison et momentanément exilé ou emprisonné. Ses origines chalonnaises lont privé dune clientèle locale, mais lont aussi sans aucun doute rendu suspect de sympathie envers les Francs.
Lors dun voyage en Italie, vers 513, il reçoit le soutien du pape et surtout de Théodoric, dont le pouvoir est désormais bien installé. Il peut donc alors se livrer pleinement à son activité épiscopale. Trois aspects retiennent particulièrement lattention de ses hagiographes. La fondation du monastère féminin de Saint-Jean, à la tête duquel il place sa sur Césarie, est dautant plus présente dans sa vita que celle-ci a précisément été commanditée par ces moniales. Le second aspect récurrent est laide accordée aux pauvres et plus particulièrement aux captifs, soit pour les nourrir soit pour les libérer uvre pour laquelle il vend la vaisselle sacrée et se voit reprocher de dilapider les richesses de lÉglise. La troisième facette de son action concerne lenseignement des laïcs. Il entend que ceux-ci participent activement à la vie spirituelle en chantant la messe ou en lisant la Bible. Mais surtout il veut quils soient régulièrement enseignés. Cest pourquoi il répète à lenvie le devoir de la prédication, interdit de quitter léglise pendant le sermon, autorise chose qui nétait pas alors évidente les prêtres et les diacres à prêcher, au moins en lisant des homélies déjà rédigées. Pour cela, il est attentif à la formation de ces clercs. Césaire meurt en 542, en odeur de sainteté.
Sobrement intitulé Vie de Césaire dArles, le nouveau volume des "Sources Chrétiennes" aurait aussi pu porter la marque du pluriel, car ce sont trois perspectives sur un même personnage que présente cet ouvrage. En effet, à la vita ancienne, elle-même composée de deux parties bien différentes, sajoute la longue introduction due à Marie-José Delage, qui constitue une biographie historique de lévêque dArles. Cette première partie - quune écriture claire et efficace rend dune lecture fort agréable reconstitue, à partir des diverses sources disponibles, litinéraire biographique de Césaire, tout en lintégrant dans son contexte. Elle offre ainsi limage que peut conserver un historien actuel de Césaire. À cela sajoute, en fin de volume, une notice de Marc Heijmans à propos des bâtiments cités dans la vita, qui livre ainsi un résumé des résultats des fouilles menées à Arles dans les dix dernières années.
Cette introduction est suivie de la vita en tant que telle. Elle a été rédigée peu après la mort de Césaire par un ensemble de cinq personnes qui lont côtoyé et revendiquent donc une position de témoins. Mais elle se compose de deux parties bien distinctes. La première, rédigée par trois évêques, relate les étapes de la vie de lévêque et son action institutionnelle. La seconde, due à un prêtre et à un diacre qui lui ont été très proches, livre une approche plus intime du personnage, même si, comme le veut la loi du genre hagiographique, ce sont surtout les miracles quils évoquent. De cette vita est donné le texte latin, qui a été corrigé sur lédition scientifique la plus récente (2002), et bien sûr une traduction. Celle-ci est étonnamment conforme au style que défendaient Césaire et les rédacteurs de sa vie, tous méfiants devant les effets de la rhétorique : elle est claire et sobre, élégante sans lourdeur ou fioriture ; dune lecture, comme lintroduction, fort plaisante.
Ce volume répond donc à un projet intéressant, qui fournit trois éclairages différents sur Césaire dArles et offre une biographie historique suivie de lédition et de la traduction de sa principale source. Il est certes possible de mentionner quelques lacunes : la bibliographie, pour ce qui concerne le contexte historique, est assez datée et ne mentionne pas, à propos de Lérins, les débats qui subsistent au sujet des règles. De même lapproche demeure parfois ecclésiastique plus que critique, et certains aspects de laction de Césaire auraient peut-être mérité dêtre plus longuement examinés. Ainsi le rachat des captifs est certes une bonne uvre quil est aisé de justifier par des citations bibliques, mais ce sont avant tout des ennemis que rachète Césaire, et lon peut se demander si cest seulement pour obéir au précepte évangélique de lamour des ennemis, ou pour se constituer une clientèle dans des territoires qui échappent à son autorité. À moins que ce ne soit à cause de liens plus anciens
Ces quelques remarques nôtent toutefois rien du plaisir et de lenrichissement que lon peut éprouver à cette lecture !
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 15/02/2011 ) Imprimer | | |
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