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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
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Aux premiers temps de l'histoire | | | Jean Guilaine Caïn, Abel, Otzi - L'héritage néolithique Gallimard - Bibliothèque des histoires 2011 / 26 € - 170.3 ffr. / 284 pages ISBN : 978-2-07-013238-6 FORMAT : 14,2cm x 22,6cm Imprimer
Larchéologue Jean Guilaine, auteur de nombreux ouvrages spécialisés sur la préhistoire et la protohistoire, propose ici de livrer au grand public une synthèse des connaissances actuelles sur le néolithique, sous forme dun plaidoyer pour une période finalement mal connue.
Mal connue dabord parce que, coincée entre le paléolithique et les débuts de lAntiquité, la période du néolithique a souffert dêtre à la fois bien plus courte que la précédente le paléolithique se déroulant sur des dizaines de milliers dannées tandis que le néolithique au sens strict seulement sur trois ou quatre et en même temps suffisamment longue pour quon ne puisse en faire la synthèse aisément ; ensuite, parce quelle a longtemps été perçue comme la fin de la préhistoire, et donc négligée au profit des périodes qui lont immédiatement succédée.
Conscient de la difficulté de synthétiser en un seul volume des connaissances éparses et encore souvent objets de débats, Guilaine entreprend de faire le tri entre ce qui est aujourdhui avéré et ce qui pose encore question, soit parce quinsuffisamment corroboré par des traces trop maigres, soit parce quobjet de conflits idéologiques très contemporains et fortement éloignés de lHistoire objective si tant est quil y en ait une.
Une définition dabord : on résume généralement le néolithique à la période au cours de laquelle les populations de chasseurs-cueilleurs du paléolithique choisissent de se sédentariser et découvrent lagriculture et lélevage. Guilaine montre que la réalité est plus complexe et mérite dêtre précisée dans le temps comme dans lespace. En ce qui concerne la datation, Guilaine rappelle quen létat toujours provisoire de données, lémergence du néolithique seffectue probablement sur une très longue durée, entre lapparition entre -12000 et 10000 dun phénomène de sédentarisation de quelques groupes de chasseurs cueilleurs au Proche-Orient, et le quatrième millénaire, période au cours de laquelle apparaît lécriture, et avec elle le début de ce quon nomme traditionnellement lHistoire.
A ce propos, lauteur nhésite pas à tordre le cou à un certain nombre didées reçues : on a souvent pensé que durant ces quelques 8000 ans, lévolution vers la sédentarisation et la pratique de lagriculture et lélevage avait été linéaire ; or au contraire, le processus de néolithisation que Guilaine a qualifié d«arythmique» inclut des périodes dextensions rapides de la propagation, des arrêts ou des pauses plus ou moins longues, puis des reprises, avec lexistence de terres de résistance. Ainsi, il note par exemple quau Japon eut bien lieu une sédentarisation des populations mais quelles ne connurent pas lagriculture et lélevage avant le 3ème siècle avant notre ère. Par ailleurs, difficile encore aujourdhui daffirmer de quelle manière eut lieu la propagation géographique de la pratique de lagriculture et de lélevage. Sil semble bien que le néolithique soit né au Proche-Orient, on ne peut être certain de la façon dont il a affecté le reste du monde : doit-on linduire à des migrations de populations déjà converties ou sagit-il dun phénomène suffisamment propre à lévolution pour que la plupart des peuples sen soient emparés ?
De la même manière, Guilaine se montre très sceptique quant au fait de lier lévolution des langues au développement de lagriculture : à ceux qui chercheraient encore à reconstruire la fameuse protolangue de lindo-européen à lorigine de nos langues actuelles, Guilaine affirme quil ne sagit là que dune construction intellectuelle. En effet, lhypothèse de lexistence dune telle langue originelle ne résiste pas lorsque lon constate par exemple que des populations du Caucase ont conservé leurs langues ancestrales bien quayant été converties à lagriculture par des influx du Proche-Orient ; ou encore lorsque lon sinterroge sur lorigine encore mystérieuse de l«eureska», la langue très particulière de laire basque. Pour Guilaine, les similitudes observées entre les langues depuis lInde, le Turkestan chinois jusquà la Baltique et lAtlantique, censées dériver dune souche commune, ne seraient dues quà des emprunts permanents réalisés entre langues différentes.
A côté des questions, certes nombreuses et essentielles, que pose létude dune période dautant plus difficile à percer que lanalyse de traces aussi ténues revient, comme le dit lauteur, «à faire parler les miettes», Guilaine sattache à montrer quil existe cependant un «héritage néolithique» indéniable, auquel on doit la plupart des attributs de lhomme moderne. Il rappelle ainsi que cest avec la sédentarisation quapparaissent la maison - en tant que construction humaine et non plus simple abri naturel -, le village, reconnaissable bientôt à ses enceintes - quelles soient fossés, palissades ou murailles -, la ville enfin, caractérisée par lémergence dune élite clairement déterminée.
Cest aussi au néolithique que les populations se mettent à attacher une importance accrue à leurs défunts : le grand mégalithisme doccident illustre bien le développement de sépultures collectives recueillant les individus liés à un même ancêtre, et sa disparition au cours du 3ème millénaire avec lapparition de tombes individuelles de plus en plus différenciées, où peut se lire la hiérarchisation grandissante des sociétés. Le développement de lagriculture a quant à lui entraîné linvention de nouvelles techniques : on doit au néolithique la construction des premiers puits, barrages et tentatives dirrigation, de même que les premiers bâtons à fouir, les herminettes, les faucilles, fléaux et autres planches à dépiquer.
Dès que les premières communautés simplantent durablement dans une région donnée, leur besoin grandissant en silex les pousse à développer, en plus des exploitations de plein air, de véritables complexes miniers chargés de produire de façon quasi «industrielle» des blocs utilisés localement, mais aussi diffusés sur des distances plus ou moins grandes. Guilaine nhésite pas à en déduire lexistence dès cette époque dun véritable «prolétariat», affecté à un travail déjà extrêmement dur. Car le néolithique est également la période où les sociétés humaines se hiérarchisent de plus en plus : si les tombes retrouvées révèlent surtout la présence de dominants - dans la mesure où limmense majorité des humbles, enterrés plus sommairement, nont guère laissé de traces -, certaines amènent cependant à se poser la question de lexistence desclaves : dans certaines sépultures multiples en effet, certains défunts semblent avoir été placés là pour accompagner dans la mort un personnage plus important. Ces «morts daccompagnement» selon lexpression dAlain Testard, nont sans doute pas tous été des «esclaves», mais on ne peut récuser la possibilité de lexistence de «dépendants» contraints de suivre dans la mort le personnage central.
Poursuivant sa recension de tout ce que lon doit au néolithique, Guilaine explore tous les domaines de la vie quotidienne : si la roue, vraisemblablement apparue vers le milieu du 4ème millénaire, ou les premiers jetons de comptabilité, présents au Proche-Orient dès le 10ème millénaire, sont bien des inventions du néolithique, la céramique en revanche lui est antérieure, puisque vraisemblablement présente dès vers -14000 autour du lac Baïkal, voire vers -17000 en Chine ! Plus surprenant encore est le chapitre concernant la nourriture, tant la variété des produits dont on a retrouvé la trace est impressionnante : aux multiples céréales et légumineuses dont lauteur dresse la liste, viennent sajouter fruits, lait, miel, sel, bières, vins et alcools. On apprend en outre que lhomme du néolithique ne dédaignait pas la pâtisserie : la découverte de restes de ce qui devait sapparenter à de véritables tartes aux fruits fait notamment rêver
Guilaine rappelle enfin que le néolithique correspond à une période de forte hausse démographique, encore difficile à chiffrer précisément, mais qui sest inévitablement accompagnée, du fait de la nouvelle promiscuité des populations, du développement de maladies qui pour certaines existent toujours.
Ce que lon retiendra pourtant au terme de ce stupéfiant voyage dans le temps, cest la priorité du sociocognitif dans la lente émergence du néolithique : cest à ce moment en effet que les hommes affirment leur supériorité sur lanimal, manifeste aussi bien dans limportance quils accordent désormais au sacré, que dans lexpression de leur goût pour linutile : les hommes ne cesseront plus dès lors de construire des sanctuaires pour le culte des ancêtres ou des divinités, mais également des monuments dont la finalité pratique nous échappe, telle la tour de Jéricho, (haute de 9 mètres ), datée de -9000
cest-à-dire bien avant que les hommes naient acquis la maîtrise de lanimal ou du végétal.
Si lon peut regretter que les quelques photos, regroupées au centre de louvrage, manquent de légendes et ne renvoient pas au texte quelles illustrent, on appréciera en revanche la présence de labondante bibliographie classée par chapitres et riche des publications les plus récentes. Le livre parvient de ce fait à concilier lisibilité et érudition pour démontrer à quel point le néolithique représenta une rupture par rapport aux périodes précédentes : en cela il faudrait non plus lenvisager comme la fin du paléolithique, mais comme le réel commencement de lère historique, dont nous sommes encore les témoins et les acteurs principaux.
Natacha Milkoff ( Mis en ligne le 14/06/2011 ) Imprimer | | |
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