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Histoire & Sciences sociales  ->  Antiquité & préhistoire  
 

Le paraître dit l'être
Lydie Bodiou   Florence Gherchanoc   Valérie Huet   Véronique Mehl    Collectif   Parures et artifices : le corps exposé dans l'Antiquité
L'Harmattan 2011 /  30 € - 196.5 ffr. / 304 pages
ISBN : 978-2-296-55464-1
FORMAT : 15,5cm x 23,9cm

L'auteur du compte rendu : Après des études d’histoire-géographie à l’Université du Littoral, Gaëlle Deschodt est ATER à l’université de Paris Est - Marne La Vallée où elle prépare une thèse sur le visible et l’invisible dans la cité grecque.
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À première vue, un livre sur les parures coordonné par quatre femmes pourrait faire sourire. C'est pourtant un ouvrage scientifique très documenté qui est donné à lire. Il s'inscrit dans la lignée de recherches récentes autour du corps et de la beauté, ouvertes par des contemporanéistes comme Alain Corbin ou Georges Vigarello, mais peu développées pour l'Antiquité de façon générale. Cet ouvrage est le résultat d'un programme de recherche commun entre plusieurs laboratoires de Rennes 2 (LAHM-UMR 6566), de Paris 1-Paris 7 (Phéacie) et de l'EHESS (Centre Gernet). La rencontre entre des recherches sur les corps antiques, les parfums et odeurs menées par Lydie Bodiou et Véronique Mehl et des recherches sur le vêtement, la dénudation menées par Florence Gherchanoc et Valérie Huet a produit des réflexions autour des parures et des manières dont le corps est exposé. L'objectif est de comprendre comment tout ce que l'on pose sur le corps (parure, bijoux, tatouages…) agit sur la définition de l'identité des individus et sur leur place dans les sociétés anciennes. L'artifice est signifiant dans des cultures où le paraitre est important. Il s'agit alors d'une histoire du sensible, du paraitre, des perceptions. Ces problématiques ont été abordées dans trois journées d'études, centrées sur trois thématiques, réunies dans ce volume : les parures et la préparation des corps ; les identités entre apparences et ambiguïtés ; les parures et le kosmos, de l'harmonie au désordre.

La première partie regroupe six articles centrés sur la préparation des corps. François Lissarrague, avec «Éros en tête : femme, miroir et bijoux en Grèce ancienne», montre que la parure du corps féminin et celle des objets féminins accordent un rôle majeur à Éros. En effet, Éros est un élément qui fait circuler la séduction et la beauté à l'intérieur d'une scène, souvent au plus près du visage d'une femme. Une série de miroirs reproduit ce schéma avec la présence de cet être ailé en décor autour du disque. Éros, de même que d'autres motifs, donne une connotation érotique au miroir. Il est également un motif de boucles d'oreille, donnant par cette parure une aura érotique à la femme qui les porte.

Florence Gherchanoc, avec «Maquillage et identité : du visage au masque, de la décence à l'outrage, de la parure à l'artifice», analyse l'usage du maquillage en Grèce ancienne, qui doit se faire de façon mesurée et harmonieuse pour rehausser ou parfaire la beauté pour séduire, sous peine de paraître laide ou grotesque. Le maquillage est un signe distinctif mineur face aux vêtements et aux bijoux, mais son usage comme parure peut stigmatiser un comportement indécent, un outrage tout autant pour les femmes que pour les hommes, en particulier un comportement politique indigne. Annie Dubourdieu («Regards romains sur la parure des corps : maquillage, coiffure, bijoux, vêtements, parfums»), s'intéresse à la société et à ses codes à travers la parure et ses usages, qui définissent une identité et une place dans la société romaine. Pour les Romains, la parure est un moyen d'embellir et d'identifier les individus. Selon Cicéron, les corps sont le résultat d'une tension entre nature et culture, en particulier pour les corps d'hommes, produits d'une culture qui se donne les apparences de la nature. Le corps masculin ne doit pas être paré, contrairement au corps féminin nécessitant de nombreux préparatifs. L'excès de parure vient alors définir l'inverti, le gigolo, le parvenu. Les frontières entre masculin et féminin sont brouillées par cet excès. La parure permet d'identifier un individu dans un système d'opposition. La loi Oppia au IIe s. a.C. limite le luxe des femmes, mettant en place une nouvelle opposition entre femmes «naturelles» et hommes parés. L'évolution des normes de parures sert à identifier les individus et reflète l'état de la société qui les fixe.

Lydie Bodiou et Véronique Mehl (««Tel est cet objet de luxe, de tous le plus superflu». De l'envie à l'excès, savoir se parfumer dans le monde gréco-romain»), abordent le parfum en Grèce en montrant que l'apparence doit correspondre à l'attente sociale. Élément perçu comme venant d'ailleurs, le parfum est associé au plaisir, à la duperie et à l'imposture. Il dit un mode de vie ostentatoire, des comportements outranciers. Il fait partie de lieux communs dans son association aux femmes, à la séduction. Ce qui pose problème n'est pas tant l'usage de parfums, que leur mauvais usage : l'excès, le détournement. Le parfum distingue celui ou celle qui le porte ; se faire remarquer par son parfum, c'est se poser comme Autre. Il révèle des pratiques mal assimilées. L'abondance de parfum peut tourner au ridicule, mais peut également être un révélateur de pouvoir et de richesse. Une évolution est notable de l'artifice du plaisir maitrisé au plaisir affiché vers l'époque hellénistique et impériale. Les artifices posés sur le corps font système en un tout cohérent, harmonieux et inutile, créant une certaine distinction. Les critiques du paraitre qui se sont élevées visent l'être en une condamnation politique. La conformité est valorisée, ainsi que l'attendu du naturel. Le mieux est de faire selon son sexe et selon les circonstances, comme si c'était naturel.

Avec «Parer les corps. Choix et usage des contenants (gobelets, flacons et autres) dans les stèles funéraires des provinces gallo-germaniques durant l'Empire», Nicolas Mathieu observe les contenants tenus sur des monuments funéraires pour comprendre la signification de la représentation. Les hommes et les femmes peuvent tenir un gobelet, mais le flacon l'est plus par les femmes. Le corps est paré des objets de la vie quotidienne les plus beaux (instrument de travail ou contenant) ou les plus nécessaires à son bien être, lui permettant de passer la vie au-delà. David Lavergne («L'épilation féminine en Grèce ancienne») explore la pilosité féminine sur les vases. Les scènes d'épilation ne concernent que l'épilation du sexe féminin, par arrachage ou grâce à une flamme. Quelques femmes présentent des poils pubiens ; ce sont des femmes sur-érotisées, dans un contexte extra-conjugal. Les codes adoptés par les peintres ne sont pas forcément révélateurs des pratiques courantes, mais révèlent des statuts différents : épilation des épouses, toison des jeunes filles et des femmes qui maitrisent leur sexualité.

La seconde partie aborde les identités. Vincent Azoulay et Violaine Sébillotte («Parures, genre et politique : le vêtement comme opérateur dans les Persica de Ctésias») partent d'une série d'équivalences entre rois orientaux et parure, artifice, féminisation et décadence, pour montrer les logiques plurielles des jeux de vêtements chez Ctésias. Avec Sémiramis, le travestissement est momentané et positif, le vêtement n'inverse pas le genre, il le dissimule. La construction de sa personne n'inverse pas les normes mais additionne les traits actifs et passifs qui la séparent de l'humanité commune : sa tenue symbolise sa trajectoire personnelle, elle est un marqueur de pouvoir. Pour Sardanapale, le lien entre travestissement en femme et décadence politique n'est pas si simple. Le travestissement appartient à un dispositif politique plus large d'exercice du pouvoir depuis le palais. La parure ne féminise qu'en apparence, elle participe d'une mise en scène du corps et signifie d'autres divisions que celles du sexe : celles de dominant/dominé. La parure féminine portée par un roi est un signe visible de l'indignité à exercer l'archê. La parure n'a pas de signification univoque, elle est associée à la puissance et à la domination et dépend du contexte.

Dominique Frère, dans «Parures et protections du corps en Etrurie archaïque», aborde le parfum comme phénomène de différenciation de l'élite étrusque affichant ses croyances et ses valeurs. Le port d'un flacon affiche les valeurs des cités grecques que l'on partage. Les Étrusques ont emprunté aux Grecs les formes des vases à parfum, et les ont intégrées à leur culture en une acculturation complexe propre à leurs croyances. Patrice Faure («Parures, corps et identités militaires dans l'armée romaine impériales») traite de façon anthropologique le corps militaire romain. Les corps des soldats sont marqués, usés, vieillis, témoins des conditions de service et de la vie militaire. L'altération du vêtement est révélatrice du déclassement social. Ce corps est utilisé dans le dialogue avec la hiérarchie : les cicatrices sont la mémoire du corps. L'absence d'uniforme ne signifie pas l'absence de parure reconnus comme les grades et les décorations militaires. Le casque à panache des centurions légionnaires est un point de repère et impressionne. Les décorations se donnent à voir pour mémoire, mais aussi pour rattacher l'individu à la communauté militaire.

Lætitia La Follette («Se parer en Vestale : un travail de funambule ?») se penche sur les coiffures des vestales. Leur sophistication crée une image publique reflétant leur statut de femmes puissantes au service de l'État, liées à la fertilité. Dans l'art impérial, leur image se rapproche de celle de Vénus Génitrix, ou bien de statues grecques comme Junon Campana ou Fortuna. L'adoption d'un corps de déesse cache leur vrai corps et les rattache au domaine de la fécondité faisant des Vestales les vierges et mariées de Rome, pures et fécondes. Enfin, Stéphanie Wyler («Le phallus sous le péplos : vêtements et travestissements dionysiaques sur les images romaines ») traite du vêtement des mystes, noué à la taille, qui les désigne visuellement comme tel. Sous ce vêtement, un postiche de phallus est placé sur les garçons, qui est dévoilé lors du déshabillage de l'enfant. Symboliquement, il signifie le passage du garçon à la virilité. Le costume est un marqueur de processus religieux en cours. Ces vêtements sont des marqueurs de grades initiatiques et jouent sur le voilement et le dévoilement pour marquer les statuts et les identités, souvent de façon provisoire.

La troisième partie s'intéresse à l'ordre et au désordre du kosmos. Luc Renaut (««Mains peintes et menton brûlé» : la parure tatouée des femmes thraces») montre les différents sens des tatouages chez les Thraces. Selon Hérodote, le tatouage a un sens noble chez les Thraces, là où les autres peuples le voient comme un châtiment. Les Grecs ont des difficultés à penser une culture valorisant les modifications corporelles définitives. Les femmes thraces vendues chez les Athéniens comme esclaves tatouées proviennent de petites communautés soumises aux déprédations des élites guerrières. Des parallèles anthropologiques voient dans les tatouages le parachèvement du développement physiologique de la jeune fille ; la parure des femmes thraces a probablement le même sens.

Michel Briand, avec «De la parure à l'harmonie du monde : esthétique et idéologie du kosmos dans la poésie mélique grecque archaïque», remarque les références constantes aux parures dans la poésie mélique. Le kosmos est la parure, l'arrangement, donc l'ordre du monde. Dans la poésie mélique, il correspond aux atours féminins, aux couronnes des vainqueurs, à l'éclat des armes, mais aussi au chant poétique lui-même, qui est un arrangement harmonieux. Kosmos a un sens individuel et moral et un sens collectif et politique, celui du bon gouvernement. Il est une métaphore efficace de construction de la pensée et du monde. La parure est un objet bon à penser, pendant que la poésie comme parure établit les valeurs de la société. Nikolina Kei («Poikila et kosmos floraux dans la céramique attique du vie et du Ve siècle») établit comment les motifs floraux visualisent les notions de poikilia, bigarrure, de kosmos, parure, et de charis, grâce. Les vêtements parés de fleurs d'or indiquent un pouvoir de séduction. L'or et la fleur ont en effet en point commun l'éclat et la beauté, procurant un plaisir visuel. Les fleurs sont des détails qui rythment la perception des vases, apportant une élévation esthétique et sémantique des objets. La bigarrure, la brillance donnent un effet de vie, propice à la charis.

Adeline Grand-Clément («Du bon usage du vêtement bariolé en Grèce ancienne») aborde la polysémie de la poikilia vestimentaire, entre le diapré et le bariolé, le convenable et l'inconvenant. Les vêtements chamarrés attirent l'œil, tout comme les bijoux, les armes ; ils disent la valeur exceptionnelle de la personne. À l'époque archaïque, le tissu chamarré est un instrument de lien social et un signe de distinction, il peut verser dans l'univers de la séduction de l'habrosunè, le luxe ostentatoire. Au Ve s., il devient un marqueur ethnique renvoyant au monde oriental, puis au barbare, à l'ennemi, à l'altérité, avec des résonances politiques vers le despotisme, l'hybris. Ce tissu permet de penser l'assemblage d'élément hétérogène, comme la cité fait lien entre ses membres. La cité se met à réguler l'usage de l'habit bariolé pour ne pas offenser les déesses, pour identifier une catégorie (les hétaïres portent des fleurs à Athènes) ou pour souligner la charis de la canéphore pendant les processions civiques. L'usage selon les nomoi de la parure est une garante de l'ordre social. Pour terminer, Françoise Frontisi-Ducroux, dans «Les tissus maléfiques», s'intéresse aux tissus qui exposent à des dangers effroyables dans les tragédies. La parure qu’apportent ces tissus agit sur la vue et suscite le désir de la femme. Par l'homologie entre le corps et le vêtement, l'usage de l'étoffe de protection et parure est perverti. Le tissu maléfique devient un instrument féminin de mort.

Cet ouvrage est intéressant : la problématique des parures permet de faire une histoire totale. Seul bémol : l'absence de conclusion, exercice difficile, qui relierait tous les apports de ces recherches, les manques, les flous et les perspectives. Deux thématiques qui apparaissent de façon récurrente en filigrane de nombreux articles sont la question du genre et des identités, qui permettraient peut-être d'apporter un élément de conclusion à ce livre aux thématiques nouvelles et fécondes.


Gaëlle Deschodt
( Mis en ligne le 06/09/2011 )
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