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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
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Variations à partir d’une histoire fondamentale | | | Maurizio Bettini Le Portrait de l'amant(e) Belin - L'antiquité au présent 2011 / 24 € - 157.2 ffr. / 332 pages ISBN : 978-2-7011-5698-9 FORMAT : 14,1cm x 20,4cm
Geneviève Bouffartigue (Traducteur)
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Les éditions Belin publient dans la collection ''LAntiquité au présent'' la traduction française dun ouvrage de Maurizio Bettini, philologue et anthropologue, professeur à lUniversité de Sienne, initialement édité en 1992 et réédité en 2008. Le livre sintéresse à un schéma narratif associant deux amants et un portrait. Les deux amants se trouvant séparés, le portrait devient une sorte de substitut de labsent ou de labsente. Cest ce que Bettini nomme dans son livre l«histoire fondamentale», mais que lon pourrait tout aussi bien qualifier de mythème, pour employer un langage structuraliste.
Si louvrage souvre sur le poète Pétrarque tenant en ses mains un portrait de Laure, cest bien au domaine gréco-romain que sintéresse surtout lauteur. Il commence par narrer lhistoire du premier portrait selon la tradition antique : ce serait, dit-on, celui que traça la fille du potier Boutadès de Sicyone, en suivant sur un mur les contours de lombre de son aimé, projetée par une lampe à huile. Ce dernier devant partir au loin, elle voulait par ce moyen fixer ses traits. Boutadès, ayant vu le dessin de sa fille sur le mur, en tira une figure en argile, quil fit sécher et cuire au four. Le portrait de lamant est ainsi directement à lorigine de la sculpture en argile. De la même manière, Laodamie, épouse du guerrier grec Protésilas, qui fut le premier héros tué à la guerre de Troie, sétait fait fabriquer un simulacre en cire de son époux, quelle était allée jusquà placer dans son lit. Quand son beau-père détruisit limage du guerrier mort en la jetant dans un bûcher, Laodamie se jeta dans les flammes. Le mythe comporte plusieurs versions, où intervient parfois le fantôme de Protésilas. Ainsi, le portrait de lamant semble-t-il équivalent à son ombre ; leffigie de cire est capable de remplir la même fonction quun revenant. On retrouve presque la même thématique dans lAgamemnon dEschyle, quand le chur évoque les traces de labsence dHélène dans le palais de Ménélas. Mais le parallèle est encore plus frappant avec lhistoire dAdmète et dAlceste. Cette dernière a donné sa vie en échange de celle de son époux, qui reste inconsolable de sa perte et fait fabriquer lui aussi un simulacre de la défunte. Mais lhistoire se termine bien, car Héraclès ramène la jeune femme des Enfers.
L«histoire fondamentale» se complique ensuite, dans lhistoire de Tlépolème, Charité et Thrasylle quApulée narre dans ses Métamorphoses, avec lintroduction dun tiers qui tue lamant et dont la jeune fille se venge. Cette fois-ci, le simulacre de laimé mort a les traits du dieu Liber, autrement dit Dionysos. Firmicus Maternus raconte pour sa part que le cur de ce dieu, tué par les Titans comme dans la version orphique de sa légende, fut mis à lintérieur dune statue de plâtre qui fit lobjet dun culte. Le désir de conserver le souvenir des traits dun aimé disparu à travers une statue est présenté comme lorigine de lidolâtrie par des auteurs chrétiens. Dans de nombreux récits, lombre dun individu est conçue comme quelque chose détroitement corrélé à la personne, allant parfois jusquà en exprimer la part la plus vitale ; pour un mort, elle se confond avec son fantôme. Il en va de même pour le portrait dune personne aimée, qui est ainsi équivalent à lombre du corps, à lâme du revenant ou à la trace laissée par labsent. Il est aussi promesse de fidélité, objet concret apparaissant comme un double de laimé. La suite de lenquête consiste en un approfondissement progressif de la performativité de ces images, correspondant aux multiples combinaisons de l«histoire fondamentale».
Les statues peuvent aussi faire lobjet damours incroyables, souvent condamnées. Ainsi, nombre de statues de culte subirent loutrage damoureux transis, comme lAphrodite de Cnide sculptée par Praxitèle. Dans lhistoire célèbre de Pygmalion rapportée par Ovide, les choses rentrent dans lordre car la statue est transformée en jeune femme vivante par Vénus. Mais le désir pour ces images nest pas très éloigné de la théorie de lépicurien Lucrèce sur lamour, où ce nest plus limage qui remplace lêtre aimé, mais lêtre aimé qui fonctionne comme une image. Avec Narcisse, Ovide nous conte le mythe dun jeune homme qui séprend de sa propre image ; amant et aimé se confondent ici, mais une autre version du mythe rapportée par Pausanias dit que Narcisse tomba en réalité amoureux de sa sur jumelle ; quand elle mourut, il sabîma dans la contemplation de son propre reflet dans leau, image de sa sur disparue. Chez Properce se manifeste le thème de loutrage à limage de laimée disparue par une nouvelle épouse. Parfois, la statue se venge elle-même, comme celle du Commandeur chez Don Juan, ou celle de Vénus (parfois même de la Vierge !) qui réclame un anneau à son fiancé humain qui se létait octroyé par jeu ; il est curieux que Bettini ne fasse pas ici référence à La Vénus dIlle, de Prosper Mérimée. On voit ainsi se dégager la thématique dune image-justice ; la statue en particulier semble dotée du pouvoir de faire respecter la loi ou la coutume.
La seconde partie de louvrage sintéresse à d«autres aventures de limage», séloignant ainsi quelque peu de l«histoire fondamentale» précédemment exposée. Lauteur sintéresse dabord à la thématique du regard, si importante dans la vision grecque de lamour. Il évoque lhistoire, contée dans les Métamorphoses dOvide, dune jeune fille, Anaxarète, qui refusa la réciprocité du regard amoureux et fut transformée en statue, après avoir assisté impassible au cortège funèbre de son soupirant Iphis. Puis Maurizio Bettini aborde le thème du respect que lon doit aux images, mais aussi des provocations quelles subissent, pour analyser ensuite celui de la prémonition, quand des images ont une valeur oraculaire ou annoncent le sort de la personne quelles représentent (ainsi de la tête en perles de Pompée, défilant à son triomphe, mais annonçant sa décapitation en Egypte). La thématique qui suit est celle de la ressemblance : des pères et des fils, des doubles ou des doublures avec leurs modèles. Lavant-dernier chapitre traite des poupées, doubles des jeunes filles quespèrent devenir les fillettes, tandis que le dernier chapitre revient sur le thème du miroir.
Louvrage comporte cinq pages dillustrations, où se donnent notamment à voir les mythes de Pygmalion (mais dans un tableau de la fin du XIXe siècle), Protésilas (sur un sarcophage romain), la stèle funéraire dune petite fille tenant une poupée, et deux clichés de la poupée articulée en ivoire trouvée dans une tombe de fillette et datant de 150 à 160 ap. J.-C. Le livre comporte un index fort utile, mais pas de bibliographie récapitulative, les références se trouvant simplement dans les notes. Il nen demeure pas moins un ouvrage important sur lanthropologie de limage et surtout du portrait (de lamant ou de lamante) dans lAntiquité gréco-romaine, avec, qui plus est, quelques incursions dans des périodes plus récentes.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 17/01/2012 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Mythe de Narcisse de Maurizio Bettini , Ezio Pellizer Le Mythe d’Hélène de Maurizio Bettini , Carlo Brillante Le Mythe d'Oedipe de Maurizio Bettini , Giulio Guidorizzi | | |
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