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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
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La jeune fille, la fiancée et la vierge | | | Sophie Malick-Prunier Le Corps féminin dans la poésie latine tardive Les Belles Lettres - Etudes anciennes 2011 / 45.70 € - 299.34 ffr. / 320 pages ISBN : 978-2-251-32887-4 FORMAT : 16,0 cm × 23,9 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE), est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne à Paris, où il est responsable du CADIST Antiquité. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Le livre de Sophie Malick-Prunier, professeur agrégée de lettres classiques au lycée Faidherbe de Lille, est issu de sa thèse de doctorat réalisée sous la direction de Vincent Zarini et soutenue à lUniversité Paris IV Sorbonne en 2008. Couvrant une période large de cinq siècles, l'auteure y étudie de manière synthétique le corps féminin et ses représentations poétiques dans la latinité tardive. Lanalyse porte sur un corpus de vingt-trois auteurs de langue latine (allant de Commodien, au milieu du IIIe siècle, à Venance Fortunat, au VIe siècle ap. J.-C.), ainsi que sur des sources épigraphiques. Lun des intérêts de louvrage réside dans le fait que lon y trouve de nombreuses traductions personnelles de poèmes nayant encore jamais été publiés en français.
Le plan suit au départ la chronologie des grandes étapes de lexistence féminine, passant de la jeune fille à la fiancée ; il traite ensuite de la vierge, qui transcende les autres catégories et se rapproche le plus du modèle ultime de la Vierge Marie. La première partie porte sur la puella, la jeune fille, la seconde sur la sponsa (la fiancée) et la troisième sur la virgo (la vierge). Cette dernière figure permet de mesurer la double perspective de continuité et de rupture entre la tradition classique et la poésie chrétienne. A lintérieur de chaque partie, le propos est organisé par genres littéraires, mais en évitant de plaquer sur les textes anciens des terminologies modernes ou des distinctions souvent inadéquates et anachroniques. Lauteure prend ainsi soin de ne pas opposer systématiquement poésie païenne et poésie chrétienne, les deux se nourrissant bien souvent aux mêmes modèles.
Dans la première partie, la puella est envisagée comme partenaire amoureuse ou objet de désir, oscillant entre sensualité et chasteté. Les poèmes dArborius et dAusone illustrent la façon dont la poésie tardive sest efforcée de jouer avec les thèmes les plus conventionnels en les renouvelant. On y retrouve tous les codes traditionnels liés au corps féminin considéré dabord comme objet de jouissance, avec un certain goût pour lillusion, les artifices de la parure et la métamorphose. Dans les Elégies de Maximianus, le corps féminin occupe une place centrale, enseignant au poète ce que sont la beauté, le plaisir et la vie. Le thème de la passion amoureuse, souvent dans sa dimension la plus charnelle, occupe une place importante chez Claudien (Le Rapt de Proserpine), Dracontius (Hylas, Le Rapt dHélène, Médée, La Tragédie dOreste) et Reposianus (Les Amours de Mars et Vénus). Ces poètes, pour la plupart chrétiens, maintiennent néanmoins une approche profane, voire païenne, dans ces écrits.
Dans la deuxième partie, la sponsa apparaît dabord sous les traits de la première femme, Eve, dans les poèmes de Prudence, Orens dAuch et de Marius Victor, mais également dans Le Centon de Proba, les Louanges de Dieu de Dracontius et lHistoire spirituelle dAvit de Vienne. Même si la culpabilité dEve dans la Chute nest pas niée, laccent est plutôt mis sur un corps féminin associé à la beauté de la création, marquant en cela une nette rupture avec la tradition patristique. Le corps de la fiancée est aussi célébré dans les épithalames de Claudien, poète officiel à la cour dHonorius dont il chanta les noces avec Marie, fille de Stilicon. Paulin de Nole reprend le genre de lépithalame en le christianisant, vantant les vertus de la continence absolue des époux. Les Ve et VIe siècles voient se multiplier les poèmes nuptiaux, avec des auteurs comme Sidoine Apollinaire, Dracontius, Ennode, Luxorius et Venance Fortunat. Sophie Malick-Prunier montre ici la spécificité du discours poétique où la tradition païenne assouplit les positions des poètes chrétiens vis-à-vis de la sexualité, avec notamment une conception étonnamment positive du corps féminin. Les discours funéraires représentent le dernier ensemble cohérent de textes accordant à la figure de la sponsa une place prépondérante. Les Parentales dAusone, lAlceste de Barcelone et les épitaphes de Venance Fortunat en constituent de bons exemples. Mais lauteure noublie pas danalyser également le corpus épigraphique, où les inscriptions latines versifiées ne sont pas rares.
La virgo est au centre de la troisième partie. Lauteure analyse dabord la figure de sainte Agnès, vierge et martyre, dans les Epigrammes de Damase, un hymne dAmbroise et Le Livre des couronnes de Prudence. Il traite ensuite de la permanence de lidéal virginal après la vogue de la figure du martyr au IVe siècle. Avit de Vienne écrit ainsi un traité Sur la virginité, tandis que Venance Fortunat célèbre la figure de la vierge amoureuse du Christ. Mais la figure virginale la plus honorée demeure la Vierge Marie. De Juvencus à Venance Fortunat, les poèmes se font le reflet vivant des tensions en matière de dogme, autant que des progrès du culte marial. La Vierge Marie y a gagné un mélange dhumanité et de souveraineté qui en font une figure exceptionnelle. A la fois transcendé et magnifié, le corps féminin devient lexpression ultime de lamour de Dieu pour une humanité en quête de salut.
Louvrage a le mérite dinsister sur la remarquable stabilité du regard posé sur le corps féminin, depuis la poésie classique jusquà la poésie tardive. Les canons traditionnels de beauté sont sans cesse réutilisés (rougeur des joues, blancheur de la peau), malgré linsistance sur la notion de virginité dans un contexte chrétien. Le corps nest pas vu de manière négative, il apparaît au contraire comme le paradigme de la beauté et de la pureté. Les poètes tardo-antiques, même chrétiens, se démarquent ainsi nettement des discours souvent misogynes des Pères de lEglise. LEve de Dracontius est décrite par exemple comme une émouvante «nymphe de labîme», et non comme la «porte du diable» dénoncée par Tertullien.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 16/10/2012 ) Imprimer | | |
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