|
Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| |
Pline l’Ancien : Entre science et remèdes de sorcières | | | Pline l'ancien Histoire naturelle XXX - Magie et pharmacopée Les Belles Lettres - Classiques en poche 2003 / 6 € - 39.3 ffr. / 111 pages ISBN : 2-251-79971-0 FORMAT : 11x18 cm
Edition bilingue.
L'auteur du compte rendu: Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne (mémoire sur Les représentations du féminin dans les poèmes dHésiode) et dun DEA de Sciences des Religions à lEcole Pratique des Hautes Etudes (mémoire sur Les Nymphes dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia, il est actuellement professeur dhistoire-géographie. Imprimer
On se réjouit de la bonne idée quont eue les éditions des Belles Lettres de publier en format de poche, à un prix tout à fait abordable, un certain nombre dauteurs classiques en édition bilingue, mettant ainsi à la portée des bourses les plus modestes les trésors de la littérature grecque et latine, qui nétaient autrefois accessibles que dans la prestigieuse (et onéreuse) Collection des Universités de France placée sous le patronage de lhumaniste Guillaume Budé.
LHistoire naturelle de Pline, de par son ampleur, fait lobjet de publications fractionnées. La collection des Classiques en Poche nous a déjà offert les livres XXXV (sur la peinture, n° 11) et XXXIII (sur la nature des métaux, n° 43). Le 65e ouvrage de la collection dirigée par Hélène Monsacré met maintenant à notre disposition le livre XXX, qui traite à la fois de la magie et de la pharmacopée. Louvrage reprend le texte établi par Alfred Ernout, ainsi que sa traduction, déjà publiée dans la collection Budé en 1963. Mais il est actualisé par lintroduction et les notes dune jeune chercheuse, Sabina Crippa (qui a soutenu il y a deux ans une thèse sur lanthropologie de la voix en Grèce ancienne, et qui travaille aussi sur les papyrus magiques gréco-égyptiens), qui offre aussi une courte mais utile bibliographie avec des ouvrages publiés depuis 1963.
Pline lAncien nous offre un portrait complexe et fascinant du scientifique dans lAntiquité : archiviste de monstres et de prodiges naturels, fidèlement et méthodiquement classés ; compilateur pragmatique de catalogues ; chercheur essayant de trouver une harmonie dans la nature, mais finissant par en noter surtout les désordres, les raretés, les exceptions et les merveilles philosophiques. Et pour finir martyr de sa curiositas scientifique qui le conduit à périr pour avoir observé de trop près léruption du Vésuve qui engloutira Pompéi, poussant ainsi à lextrême une fusion parfaite entre la vie et luvre.
Le livre XXX de lHistoire Naturelle contient une grande quantité de médicaments et de recettes pour soigner toutes sortes de maux. Au sein de la vaste encyclopédie que représente lensemble de luvre, il appartient à un bloc thématique se composant des volumes XVIII à XXXII, qui exposent, avec une richesse de détails, les remèdes proposés par le monde animal, après ceux qui proviennent du monde végétal. Mais on y trouve aussi un précieux excursus initial sur lhistoire de la magie.
Les termes magus et magia apparaissent assez tardivement dans la langue latine, seulement lorsque se développe, à lintérieur de la culture romaine, une réflexion consciente sur la magie. Les premières attestations de ces deux mots se font jour comme termes ethnographiques (renvoyant à la lointaine Perse) vers le milieu du Ier siècle av. J.-C., dans les ouvrages de Catulle et de Cicéron. En revanche, le terme en usage est veneficium, terme clé de la législation romaine qui désigne les actions provoquant la mort subite, généralement par des drogues ou des empoisonnements. Pline nest pas certain que veneficium et magia soient synonymes. Il prend bien soin de préciser que la magie nest pas romaine, elle est étrangère, dorigine perse (Zoroastre serait son inventeur). Il suit ensuite son expansion à travers le temps et lespace, condamnant les philosophes grecs ou les empereurs romains (notamment Néron) qui se laissent fasciner par elle. Dans limmense panorama quil propose, la sphère de la magie englobe lenchanteresse Circé, Protée, les sirènes homériques et leur chant mortifère, les sorcières thessaliennes (qui font descendre la Lune) mais aussi lart des druides bretons. La magie prétend assumer les deux fonctions de médecine et de divination (elle a un lien privilégié avec lastrologie), mais Pline exclut de sa présentation théorique les pratiques de magie noire.
Lattitude de lauteur par rapport à la magie apparaît contradictoire : dune part elle est méprisée, dautre part plusieurs recettes magiques sont relatées sans aucune critique (il présente ainsi, souvent, de simples amulettes comme des remèdes efficaces). Cest précisément cette apparente ambiguïté qui présente un grand intérêt, car elle révèle la complexité de sa position par rapport à la magie. En réalité, il est le parfait interprète de son époque. Il attaque lart trompeur des magiciens mais, dun autre côté, il se fie aux croyances traditionnelles de type médical provenant des contextes magiques. Cest quà lépoque le respect de la tradition est une valeur sûre, même sil est quelque peu contredit par les observations empiriques.
Quand Pline en vient à énumérer la pharmacopée médico-magique, on est frappé par labondance, la diversité et létrangeté des remèdes suggérés : têtes de chiens, langues de serpents, pattes de grenouilles, araignées et fiente de poule voisinent avec mouches écrasées et vers de terre malaxés dans le miel. La fiente dépervier rendrait les femmes fécondes et le sang de chauve-souris est indiqué pour sépiler. On sourit franchement en lisant la plupart des prescriptions rédigées par Pline, mais lon ne peut sempêcher de les trouver également répugnantes et écoeurantes. Tout se passe comme si cette médecine populaire choisissait la substance repoussante de ces remèdes, non seulement pour impressionner, mais aussi parce que lon savait que le patient ne pourrait sy conformer. Cest limpossibilité même daccéder au remède qui permettait au thérapeute de décliner toute responsabilité en cas déchec. De plus, le remède exigeait souvent une fabrication pratiquement irréalisable. Quon en juge : «on scarifie les gencives avec les os du front dun lézard extraits pendant la pleine lune et sans quils aient touché terre» (p.19). Cependant, ces remèdes, tout abracadabrantesques quils apparaissent, obéissent en réalité à certains principes, comme des critères de «sympathie» ou de ressemblance : ainsi, si un malade souffre de la rate, une rate de chiot le guérira ; si un autre a mal aux dents, il pourra être soigné avec la dent dun serpent
Malgré le côté «livre de recettes» pour ancêtres romains dHarry Potter, le livre XXX de lHistoire naturelle, qui se construit à cheval entre biologie et croyances traditionnelles, sintègre dans une interrogation sur lorganisation des connaissances et larticulation des différents champs du savoir, donc dans une démarche scientifique. De ce point de vue, le lecteur moderne sintéressera à Pline de la même façon quà des études ethnographiques sur la médecine ou à «la connaissance indigène de la santé et du corps».
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 18/11/2003 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les Suppliantes de Eschyle Pline le Jeune ou le refus du pessimisme de Etienne Wolff | | |
|
|
|
|