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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
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De l'origine de l'art pariétal | | | David Lewis-Williams L'Esprit dans la grotte - La conscience et les origines de l'art Editions du Rocher 2003 / 22.50 € - 147.38 ffr. / 384 pages ISBN : 2268048330 FORMAT : 16 x 24 cm
Lauteur du compte-rendu : Sophie Serra est titulaire dun DEA «Préhistoire, Ethnologie et Anthropologie» (Université Paris I). Elle est Attachée de Conservation du Musée d'Art et d'Histoire de Langres. Imprimer
La publication de louvrage de David Lewis-Williams coïncide avec un siècle de recherche sur lart paléolithique : en 1902, Emile Cartailhac reconnaissait lauthenticité des peintures découvertes dans la grotte dAltamira et lexistence dun art préhistorique très ancien. De nombreuses grottes ornées de peintures ont ensuite été découvertes, prouvant que depuis plus de 30 000 ans, lhomme crée des images et évolue dans un univers de symboles. Mais linterprétation de ces symboles na pas véritablement progressé. Aujourdhui, beaucoup de chercheurs se montrent sceptiques sur la possibilité daller au-delà de la collecte des faits pour accéder à une véritable compréhension de la signification de lart au sein des sociétés préhistoriques occidentales. David Lewis-Williams défend lidée quil ne faut pas renoncer à toute tentative dinterprétation. LEsprit dans la grotte est avant tout un «plaidoyer contre les sceptiques» qui saccompagne dune nouvelle interprétation de lart pariétal paléolithique sappuyant à la fois sur des données ethnographiques et sur le résultat détudes neuropsychiatriques.
Après sêtre sattardé sur les circonstances de la découverte de lart préhistorique, sa difficile reconnaissance et les différentes tentatives dinterprétation quil a suscitées depuis labbé Henri Breuil (1877-1961) jusquà André Leroi-Gourhan (1911-1986), lauteur brosse un tableau très synthétique des connaissances actuelles sur le mode de vie des chasseurs-cueilleurs qui peuplaient lEurope de lOuest entre 35 000 et 45 000 ans avant nos jours, cest-à-dire au moment de lémergence des représentations figurées en Occident.
Puis, partant de données ethnographiques, David Lewis-Williams constate lomniprésence des «pratiques chamaniques» dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Il définit le chamane comme un individu doté de pouvoirs spéciaux qui lui permettent, en se plongeant dans des «états de conscience altérée», davoir accès à une réalité alternative à plusieurs niveaux (mondes souterrains, sous-marins ou célestes
). Ces états peuvent être obtenus, selon les cultures, par le jeûne, la fatigue, les stimulations auditives (battements de tambour prolongé), et/ou lutilisation de substances psychotropes. Sappuyant sur des études neuropsychiatriques, lauteur met en avant une troublante similitude entre les expériences vécues par les chamanes et les hallucinations visuelles décrites, lors dexpériences en laboratoire, par des personnes dont létat de conscience était altéré par la prise de substances psychotropes. Au premier stade, des perceptions visuelles géométriques (points, grilles, zig-zags, lignes sinueuses
), dites entoptiques, paraissent projetées sur lenvironnement du sujet. Au second stade, les formes entoptiques sont «décodées» par le cerveau qui les assimile à des objets connus. Au stade 3, la plupart des sujets perçoivent un tunnel tourbillonnant, ou vortex, qui semble les entraîner dans les profondeurs. La capacité daccéder à ces états de conscience altérée semble être une faculté psychobiologique propre à notre espèce ; bien que diversement interprétée selon les cultures, elle est universelle, et devait donc également caractériser les groupes dHomo sapiens préhistoriques.
A travers deux exemples choisis dans des cultures très éloignées (les San dAfrique australe et les populations amérindiennes), David Lewis-Williams montre que des liens étroits peuvent unir les expériences chamaniques et la réalisation de peintures et de gravures rupestres : ainsi les chamanes San illustraient ou recréaient leurs expériences du monde surnaturel à létat de veille à travers les représentations figurées, la surface de la roche représentant linterface tangible entre les deux mondes. Réunissant ces différentes constatations pour élaborer une théorie audacieuse, lauteur suppose que ce sont les états de conscience altérée vécus par les hommes du paléolithique supérieur, dont les possibilités mentales étaient semblables aux nôtres, qui ont donné naissance à un système de représentation imagée. Selon David Lewis-Williams, «les hommes nont pas inventé les images bidimensionnelles, pas plus quils ne les ont découvertes dans les marques naturelles [
]. Au contraire leur monde était déjà investi dimages bidimensionnelles. Ces images dérivaient du fonctionnement du système nerveux dans les états de conscience altérée [
]». A un moment donné, ils auraient ressenti le désir de fixer leurs visions, ce qui aurait donné naissance à lart pariétal.
Certaines caractéristiques des représentations pariétales semblent confirmer cette hypothèse. Limagerie paléolithique a de nombreux points communs avec celle suscitée par des états de conscience altérée : les images sont placées sans considération de taille ou de position les unes par rapport aux autres, elles semblent «flotter» librement, indépendamment de toute référence spatiale, et les images danimaux sont fréquemment associées à des motifs géométriques rappelant les «formes entoptiques».
Compte tenu de lancienneté et de lomniprésence du chamanisme dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, il paraît vraisemblable quune forme de chamanisme ait été pratiquée par les hommes du paléolithique supérieur en Europe. La privation sensorielle des grottes, associée ou non à dautres facteurs, aurait pu induire chez eux des états de conscience altérée : selon lauteur, «lentrée dans les grottes pouvaient sapparenter à la plongée dans le vortex mental qui mène aux expériences et aux hallucinations de la transe profonde. En y pénétrant, on senfonçait physiquement et psychiquement dans lautre monde», dans la grotte de lesprit. Cette hypothèse peut expliquer lutilisation des ombres et des reliefs de la paroi pour suggérer un animal. Aux divers stades des états altérés, les chamanes auraient pu percevoir la roche comme un voile séparant le monde visible du monde des esprits et faire apparaître par le dessin les visions quils percevaient derrière la roche. De même, les tracés de doigts et empreintes de mains coïncident avec des pratiques existantes dans des sociétés pratiquant le chamanisme.
Sappuyant sur deux exemples, les grottes de Lascaux et du Gabillou, lauteur tente de démontrer que sa théorie peut également rendre compte de lorganisation générale des images dans les grottes. Ainsi, les espaces dentrée, où les peintures, de grande dimension, sont soigneusement composées, auraient pu correspondre à des espaces utilisés collectivement. Dautres espaces, plus étroits, rassemblent des figures plus énigmatiques, senchevêtrant parfois de façon très dense, et donnant une impression de confusion : elles pourraient avoir été utilisées par de nombreuses personnes dans le cadre dexpériences chamaniques plus «personnelles». Enfin, les rares représentations de figures anthropomorphes, souvent criblées de traits, pourraient être des représentations de la souffrance qui accompagne le chamane dans ses visions.
Certains éléments de lanalyse sont troublants, comme la pratique vraisemblable du chamanisme par les populations du paléolithique supérieur ou les points communs entre imagerie paléolithique et visions chamaniques. Néanmoins, on ne peut sempêcher dêtre gêné par certaines affirmations péremptoires : comment savoir si «létat de conscience supérieur», caractérisé notamment par la capacité daccéder aux états de conscience altérée, est lexclusif apanage de notre espèce ? Les «états de conscience», altérés ou non, laissent peu de traces archéologiques ; personne na les moyens de prouver que lhomme de Néandertal ne se souvenait pas de ses rêves ! De même, peut-on prétendre que, parce quelles sont rares, les représentations humaines «découlent dune remise en cause du canon iconographique du paléolithique supérieur» ? Les données archéologiques paraissent trop fragmentaires pour atteindre une telle finesse danalyse. Mais surtout, le modèle de David Lewis-Williams est-il applicable à tous les sites du paléolithique supérieur ? La question reste en suspens, ce qui, finalement, valide le présupposé de lauteur : les théories permettent de structurer de manière dynamique la recherche, même si elles sont condamnées à être remises en cause, à plus ou moins brève échéance.
Sophie Serra ( Mis en ligne le 26/01/2004 ) Imprimer | | |
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