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Histoire & Sciences sociales -> Antiquité & préhistoire |
| Richard-E Rubenstein Le jour où Jésus devint Dieu - L'''affaire Arius'' ou la grande querelle sur la divinité du Christ au dernier siècle de l'Empire romain La Découverte - Poche 2004 / 10 € - 65.5 ffr. / 286 pages ISBN : 2-7071-4218-2 FORMAT : 13x19 cm
Édition originale : 1999 1ère édition française : 2001.
Traduit de langlais par Marc Saint-Upéry.
Préface de Michel Vovelle.
L'auteur du compte rendu : docteur en astrophysique, Thomas Lepeltier enseigne actuellement à l'Université de Newcastle (Grande Bretagne) et collabore régulièrement au journal Sciences Humaines. Imprimer
On pourrait presque dire que la notion dhérésie naît en 325 après J.-C. Pour être plus précis : en juin 325, à Nicée, en Asie mineure. Cest en effet la date et le lieu où lEmpereur romain Constantin convoqua le premier concile cuménique pour mettre un terme à la propagation des thèses dun certain Arius qui prétendait que Jésus nétait pas légal de son Père. Jésus serait certes, selon ce simple prêtre, une créature élevée dans la hiérarchie des êtres, certainement divine, mais il serait inférieur à son créateur. Jésus, fils de Dieu, ne serait tout simplement pas Dieu lui-même.
Ces thèses entraient en conflit avec celles, défendues notamment par Alexandre, le puissant évêque dAlexandrie, qui affirmaient que le Fils était consubstantiel au Père. Or, pour lEmpereur Constantin, lunité de lEmpire ne pouvait prendre le risque dune telle division doctrinale au sein de lÉglise. Ayant pris parti pour Alexandre, il rendit clair dès le début du concile quil en attendait une issue défavorable aux thèses dArius. LÉglise chrétienne se définirait désormais par un credo qui affirmait lidentité du Père et du Fils. Une orthodoxie était ainsi clairement posée. Et lhérésie était ce qui la contredisait. Cest ce premier grand tournant de lhistoire du christianisme, lourd de conséquences, que nous présente ici Richard Rubenstein dans un livre très vivant.
La controverse avait commencé peu avant 318 quand les rumeurs circulant à propos dun prêtre dAlexandrie arrivèrent aux oreilles de lévêque de la ville, Alexandre. Arius, le prêtre en question, prêchait quavant le Christ, Dieu nétait pas encore Père ; ou encore, quil y eut un temps où Jésus nétait pas, ce qui signifiait quil nétait pas éternel, comme Dieu. Arius ne niait pas que Jésus était divin. Mais au lieu daffirmer quil était divin par nature, il disait quil l'était par adoption. Alexandre vit tout de suite le danger de tels prêches. En avançant que Jésus était une créature intermédiaire entre lhomme et Dieu, Arius risquait de faire du christianisme un polythéisme. Et puis, si Jésus nétait pas divin par nature, mais par adoption, pourquoi dautres hommes ou femmes ne pourraient-ils pas être les Fils ou Filles de Dieu ? Le Christ finirait par ne pas apparaître essentiellement supérieur aux autres hommes et femmes. Ce qui, dune certaine manière, risquerait dôter son sens au nom même de christianisme. Alexandre ne voulait pas courir le risque de laisser se propager de tels propos et, en 318, il prononça une série de sermons affirmant que Jésus-Christ était le Dieu éternel incarné sous forme humaine. Arius répliqua. Alexandre lui ordonna alors de comparaître. Mais Arius refusa de céder : cétait le début de la querelle qui, rapidement, prit de lampleur.
Constantin perçut la menace que cette controverse grandissante faisait courir à son rêve dunité. Doù son idée de convoquer un concile à Nicée, en juin 325, pour tuer dans luf les germes de la discorde. Mais, si ce concile condamna les ariens et adopta un credo qui est à peu de choses près celui des chrétiens actuels, il ne mit toutefois pas un terme à la controverse. Le consensus qui fut trouvé venait principalement du désir de plaire à un empereur qui voulait affirmer lunité de son Empire en restaurant lunité de son Eglise. Mais les ambiguïtés théologiques sur le statut de Jésus étaient loin dêtre entièrement dissipées. Par exemple, le credo affirmait que le Père et le Fils étaient homoousios, cest-à-dire quils partageaient la même essence. Par une telle formulation, les anti-ariens pensaient obliger leurs adversaires soit à renier leur foi sils signaient ce credo, soit à désobéir à lEmpereur sils refusaient de le signer. Mais pour les ariens ce terme pouvait signifier «ayant une essence commune». Aussi pouvaient-ils laccepter sans se renier, puisquils estimaient que Dieu et Jésus étaient tous les deux de nature divine, quoique de manière différente. Nayant nullement clarifié les débats théologiques, ni supprimé les enjeux politiques, Nicée ne put empêcher que les hostilités ne soient rapidement rallumées entre les deux camps. Mais après maint retournements de situation, au cours desquels on vit notamment les ariens regagner la confiance de Constantin, lEmpereur Théodose interdit définitivement larianisme, en 381, lors du concile de Constantinople qui amenda légèrement le credo de Nicée , avant de faire officiellement du Christianisme de Nicée la religion de lEmpire romain.
Sil faut féliciter Richard Rubenstein pour avoir retracé dans un style alerte les péripéties de ce demi-siècle de controverses politico-théologiques, il ne faut toutefois pas prendre ce livre pour un ouvrage de référence. Il risque en effet de ne pas entièrement satisfaire les spécialistes. Il y a dabord quelques erreurs factuelles : par exemple, Clément dAlexandrie na pas le titre de saint comme c'est écrit p.23 ; et Constantin ne régna pas seul sur lEmpire romain durant sept années, comme c'est avancé p.168, mais pendant treize années. Au-delà de ces détails, les spécialistes pourront également discuter certaines interprétations. Est-il correct, par exemple, dassocier systématiquement la foi nicéenne à une vision pessimiste de la nature humaine ? Ou encore, faut-il voir dans cette controverse le début de la grande rupture entre le christianisme dOccident et le christianisme dOrient ? C'est discutable. Mais la perfection nétant pas de ce monde, il ne faudrait pas sarrêter à ces points litigieux et se priver dun ouvrage par ailleurs dune très bonne facture et toujours agréable à lire. Il faut le prendre pour ce quil est : une très bonne introduction à la querelle de larianisme.
Thomas Lepeltier ( Mis en ligne le 05/05/2004 ) Imprimer
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